Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 24 octobre 2013, 12-26.102, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 juin 2012), que le 27 décembre 1998 est survenu un accident de la circulation impliquant le véhicule conduit par M. X... et celui conduit par M. Y..., tous deux assurés auprès de la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (l'assureur) ; que passagers transportés par M. Y..., son épouse, Mme Z..., et leurs enfants Jessica et Vanessa, ont été blessés, tandis que l'accident a causé le décès de leur enfant Alexandre ; qu'un jugement correctionnel du 1er septembre 1999 a condamné M. X... des chefs notamment de délit de fuite, d'homicide involontaire et de blessures involontaires ; que statuant sur les intérêts civils de Mme Z... et de l'enfant Jessica, un arrêt définitif du 22 février 2007 a ordonné une expertise médicale de Jessica, a condamné M. X... et l'assureur in solidum à verser à Mme Z..., en sa qualité de représentante légale de sa fille Jessica, une provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice corporel subi par cette mineure, et les a condamnés à verser à Mme Z... certaines sommes en réparation de son préjudice personnel corporel, financier et moral ; qu'un arrêt du 11 septembre 2008 a déclaré non admis le pourvoi formé par l'assureur ; qu'après dépôt du rapport d'expertise médicale, les époux Y... ont poursuivi la liquidation du préjudice de Jessica ; qu'entre temps, un jugement du 28 juin 2011 a placé Jessica sous tutelle, et désigné Mme Z... en qualité de tutrice ;

Attendu que l'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer, en deniers ou quittances, à Mme Jessica Y... représentée par sa tutrice, Mme Z..., la somme de 1 894 115,43 euros au titre de son préjudice corporel, et une rente mensuelle de 4 962,30 euros à compter du 7 juin 2012 au titre de la tierce personne, alors selon le moyen, que le préjudice doit être réparé intégralement, sans qu'il en résulte pour les parties une perte ou un profit ; qu'en allouant à Mme Jessica Y... une indemnité au titre de l'assistance pour tierce personne sans déduire les sommes déjà allouées à Mme Z..., sa mère, au titre de son préjudice professionnel et de retraite, quand elle avait pourtant expressément constaté que ces sommes indemnisaient le fait pour la victime par ricochet d'avoir été « contrainte d'abandonner sa profession de gardien de la paix pour s'occuper de Jessica » ce dont il s'évinçait que l'assistance d'une tierce personne rendue nécessaire par l'accident dont Jessica Y... a été victime avait déjà été indemnisée, ne serait-ce que partiellement, la cour d'appel a violé l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de la réparation intégrale ;

Mais attendu que l'arrêt retient que l'assureur ne discute pas que Mme Jessica Y... a besoin de l'assistance d'une personne vingt-quatre heures par jour, dont la charge doit être indemnisée sous la forme d'un capital à compter du 1er juillet 1999 jusqu'à l'arrêt à intervenir, puis sous forme de rente mensuelle, ni que ce poste de préjudice doit être indemnisé bien que l'assistance humaine ait été assurée par Mme Z... ou toute autre personne jusqu'à ce jour ; qu'il rappelle ensuite que la somme de 349 775,05 euros allouée à Mme Z... par l'arrêt irrévocable du 22 février 2007 réparait le préjudice, professionnel et de retraite qu'elle subissait à titre personnel ;

Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, en réparant intégralement le préjudice d'assistance de tierce personne de Mme Jessica Y..., n'a pas procédé à une double indemnisation ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Mutuelle assurance des commerçants industriels de France aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la Mutuelle assurance des commerçants industriels de France à payer Mme Béatrix Z..., agissant tant en son nom personnel qu'ès qualités, M. Y..., Mme Vanessa Y... et Mme A... la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre octobre deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la Mutuelle assurance des commerçants industriels de France

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la MACIF à payer, en deniers ou quittances, à Madame Jessica Y... représentée par sa tutrice, Madame Béatrix Z... la somme de 1.894.115,43 ¿ au titre de son préjudice corporel, et une rente mensuelle de 4962,30 ¿ à compter du 7 juin 2012 au titre de la tierce personne ;

AUX MOTIFS QUE la MACIF ne discute pas que Jessica Y... a besoin de l'assistance d'une personne 24 heures par jour, dont la charge doit être indemnisée sous forme de capital à compter du 1er juillet 1999 jusqu'à l'arrêt à intervenir, puis sous forme de rente mensuelle, ni que ce poste de préjudice doit être indemnisé bien que l'assistance humaine ait été assurée par Mme Béatrix Z..., ou tout autre personne, jusqu'à ce jour ; que toutefois, la MACIF estime que ce chef de préjudice a déjà été partiellement indemnisé du fait de l'allocation à Mme Béatrix Z... de la somme de 349.775,05 ¿ au titre de son préjudice professionnel et de retraite par l'arrêt définitif du 22 février 2007 pour avoir été contrainte d'abandonner sa profession de gardien de la paix pour s'occuper de Jessica et sollicite que cette somme soit déduite du capital devant revenir à la victime au titre de la tierce personne ; que le préjudice qui a été ainsi indemnisé, est celui subi par ricochet par Mme Béatrix Z... qui a été contrainte de s'arrêter de travailler, alors que l'assistance de la tierce personne est le préjudice financier subi par la victime du fait de son impossibilité d'accomplir les actes de la vie courante et de l'obligation qui en découle d'être assistée par un tiers ; que les deux postes de préjudice étant distincts, il n'y a pas lieu de procéder à cette soustraction et la décision déférée qui a déduit cette somme du capital indemnisant la tierce personne de Jessica Y... sera réformée ; qu'en ce qui concerne le taux horaire, la victime sollicite 16 ¿ par heure du 1er juillet 1999 au 31 août 2006, puis 18 ¿ par heure du 1er septembre 2006 au 31 août 2007, puis 20 ¿ par heure du 1er septembre 2007 au 31 décembre 2010, et enfin 20,85 ¿ du 1er janvier 2011 jusqu'à la décision intervenir, ainsi que pour le calcul de la rente mensuelle à allouer pour l'avenir ; qu'à l'appui de ses prétentions, elle produit différentes jurisprudences et un document de Séréna qui est une structure d'aide à la personne d'envergure nationale mais surtout, elle produit un devis établi par L'ADMR, association départementale d'aide à la personne de Chartres où elle demeure, qui indique qu'en 2010, cette association facturait les heures d'intervention au taux de 20,09 ¿ ; que pour sa part, la MACIF propose 11,33 ¿ du 1er juillet 1999 au 31 décembre 1999, puis 11,67 ¿ du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2000, puis 12,14 ¿ du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2001, puis 12,38 ¿ pour 2002, puis 13 ¿ pour 2003, 2004 et 2005, puis 16 ¿ à compter du 1er janvier 2006 ; que la Cour retient le taux horaire de 13 ¿ du 1er juillet 1999 au 31 décembre 2002, de 14,50 ¿ du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2005, et de 16 ¿ du 1er janvier 2006 à la liquidation de ce poste de préjudice le 6 juin 2012 ; que pour la période à venir, il sera appliqué le taux de 20,85 ¿, conformément à la demande de la victime ; qu'alors que Jessica est retournée à son domicile le 16 juin 1999, elle ne sollicite aucune indemnisation pour la période du 16 au 30 juin 1999 ; que du 1er juillet 1999 au 6 septembre 1999, soit 68 jours, Jessica Y... a séjourné au domicile familial ; que l'indemnisation de la tierce personne assurée pendant cette période sera calculée à la somme de 21 216 ¿ (13 ¿ x 24 h x 68 j) ; que du 7 septembre 1999 au 15 juin 2000, Jessica Y... était en internat à Saint-Gilles Croix de Vie et elle rentrait en fin de semaine chez ses parents, soit 36 heures par fin de semaine après déduction des temps de transport, pendant 40 week-ends ; que l'indemnisation de l'assistance humaine assurée pendant cette période est calculée à la somme de 18 720 ¿ (13 ¿ x 36 h x 40 WE) ; que du 16 juin 2000 au 31 août 2000, Jessica était à la maison, soit pendant 77 jours ; que cette période sera indemnisée par la somme de 24 024 ¿ (13 ¿ x 24 h x 77 j) ; que du 1er septembre 2000 au 3 juin 2007, Jessica Y... a intégré un établissement spécialisé en périphérie de Nantes où elle était demi-pensionnaire ; qu'elle se rendait chez son père une fin de semaine sur deux et la moitié des vacances scolaires, les époux Y... s'étant séparés en 2000 avant de divorcer ; que du 1er septembre 2000 au 31 août 2001, compte tenu de la durée de la prise en charge de Jessica Y... le nombre d'heures d'assistance humaine pendant la semaine scolaire est de 133 h 30, et de 168 heures (7 j x 24 h) pendant les vacances scolaires qui sont au nombre de 11 semaines sur l'année (6 semaines en été, une semaine à la Toussaint, deux semaines à Noël, une semaine en février, et une semaine à Pâques) ; que pour cette période, il sera alloué la somme de 95 179,50 ¿ (13 ¿ x 133 h 30 x 41 semaines plus 13 ¿ x 168 h x 11 semaines) ; que du 1er septembre 2001 au 31 août 2006, en raison de la modification de la prise en charge de Jessica Y... par le centre spécialisé, le nombre d'heures d'assistance humaine pendant les 41 semaines scolaires est de 135 h 30 et toujours de 168 h pendant les 11 semaines de vacances ; que pour la période du 1er septembre 2001 au 31 décembre 2002, il sera alloué la somme de 127 458,50 ¿, soit 96 245,50 ¿ du 1er septembre 2001 au 31 août 2002 (13 ¿ x 135 h 30 x 41 semaines plus 13 ¿ x 168 h x 11 semaines) et 31 213 ¿ du 1er septembre 2002 au 31 décembre 2002 (13 ¿ x 135 h 30 x 14 semaines plus 13 ¿ x 168 x 3 semaines) ; que pour la période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2005, il sera alloué la somme de 322 052,25 ¿ (14,50 ¿ x 135 h 30 x 41 semaines x 3 ans plus 14,50 ¿ x 168 h x 11 semaines x 3 ans) ; que pour la période du 1er janvier 2006 au 31 août 2006, il sera alloué la somme de 80 040 ¿ (16 ¿ x 135 h 30 x 27 semaines plus 16 ¿ x 168 h x 8 semaines) ; que Jessica Y... a quitté l'établissement spécialisé de la région de Nantes le 3 juin 2007 ; que pour la période du 1er septembre 2006 au 31 août 2007, elle a effectué 35 semaines dans ce centre et donc semaines chez ses parents, que cette période d'assistance humaine sera donc indemnisée par la somme de 121 576 ¿ (16 ¿ x 135 h 30 x 35 semaines plus 16 C x 168 h x 17 semaines) ; que depuis le 1er septembre 2007, Jessica Y... est interne dans un IME à Mortagne au Perche ; qu'elle rentre à son domicile à Chartres deux fins de semaine par mois, et elle a 11 semaines de vacances dans l'année ; qu'elle est donc à son domicile 21 fins de semaine et 11 semaines ; que pour la période du 1er septembre 2007 au jour de la liquidation, il sera alloué à la victime la somme de 210.048 ¿, soit du 1er septembre 2007 au 31 août 2011 la somme de 182 784 ¿ (16 ¿ x 48 h x 21 WE x 4 ans plus 16 ¿ x 168 h x 11 semaines x 4 ans) et du 1er septembre 2011 au 6 juin 2012 la somme de 27.264 ¿ (16 ¿ x 48 h x 18 we plus 16 ¿ x 168 h x 5 semaines) ; que pour la période antérieure à la liquidation, l'indemnisation de l'assistance humaine est calculée à la somme de 1.020.314,25 euros ; que pour l'avenir, l'indemnisation annuelle de la tierce personne est calculée à la somme de 59 547,60 ¿ (20,85 ¿ x 48 h x 21 we plus 20,85 ¿ x 168 h x 11 semaines), soit une charge mensuelle de 4962,30 ¿ ; que Jessica Y... étant âgée de 19 ans au jour de la liquidation, par capitalisation par l'euro de rente viager publié par la Gazette du Palais du 7 au 9 novembre 2004, le capital représentatif est calculé à la somme de 1.644.823,80 ¿ ; qu'à compter du 7 juin 2012, Jessica Y... percevra une rente mensuelle de 4962,30 ¿, qui sera réévaluée le 1er janvier de chaque année selon les coefficients de revalorisation prévus à l'article L. 434-17 du Code de la sécurité sociale en prenant pour base l'indice en vigueur à la date du présent arrêt ; que cette rente sera suspendue en cas d'hospitalisation de la victime supérieure à 30 jours ainsi qu'en cas d'institutionnalisation d'une période supérieure à 30 jours consécutifs, sans qu'il soit possible d'anticiper de possibles changements de situation de la jeune fille ;

ALORS QUE le préjudice doit être réparé intégralement, sans qu'il en résulte pour les parties une perte ou un profit ; qu'en allouant à Mademoiselle Jessica Y... une indemnité au titre de l'assistance pour tierce personne sans déduire les sommes déjà allouées à Madame Béatrix Z..., sa mère, au titre de son préjudice professionnel et de retraite, quand elle avait pourtant expressément constaté que ces sommes indemnisaient le fait pour la victime par ricochet d'avoir été « contrainte d'abandonner sa profession de gardien de la paix pour s'occuper de Jessica » (arrêt, p. 9, § 2, nous soulignons) ce dont il s'évinçait que l'assistance d'une tierce personne rendue nécessaire par l'accident dont Mademoiselle Y... a été victime avait déjà été indemnisée, ne serait-ce que partiellement, la Cour d'appel a violé l'article 3 de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de la réparation intégrale.

ECLI:FR:CCASS:2013:C201642
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