Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 2 octobre 2013, 12-24.795, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Giat industries a donné à bail à la société Emitech des locaux à usage commercial, qu'il était prévu, aux articles 8, 2°, du contrat du 13 octobre 1999 et de son avenant du 21 mars 2000, que le preneur devrait, en sus du loyer, rembourser au bailleur « sa consommation d'électricité sur la base d'un forfait », fixé à une certaine somme, ce « tant que le bailleur n'aura pas installé, à ses frais, un compteur individuel puis, dans cette hypothèse, selon la consommation réelle sur la base du tarif pratiqué par EDF » ; que contestant les montants qui lui ont été facturés au titre de sa consommation d'électricité par la société Giat industries, après l'installation de compteurs individuels, la société Emitech a engagé une action pour voir prononcer la nullité du commandement de payer que cette dernière lui avait fait délivrer et obtenir le remboursement des sommes versées ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Giat industries fait grief à l'arrêt de déclarer nulles et de nul effet les clauses figurant aux articles précités, de la débouter de ses demandes en paiement et de la condamner à rembourser à la société Emitech la somme de 1 102 780,54 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter de la décision et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil, alors, selon le moyen :

1°/ que l'interdiction de la rétrocession d'électricité est une règle d'ordre public économique destinée à protéger le monopole d'EDF et n'est sanctionnée que par la nullité relative des conventions qui la méconnaissent ; que sa méconnaissance par un contrat conclu entre deux particuliers ne saurait en conséquence être invoquée par l'une des parties à ce contrat pour en obtenir la nullité ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1165 et 1338 du code civil ;

2°/ que par lettre du 7 juin 2007, la société Giat industries avait répondu à la société Emitech : « rien ne vous interdit de demander la faisabilité d'une alimentation électrique autonome à votre nom sous réserve de la compatibilité d'une telle solution avec les aménagements du site » ; que la lettre du 6 février 2006 ne comportait pas davantage d'opposition expresse à la souscription par Emitech d'un abonnement auprès d'EDF ; qu'en énonçant cependant que Giat industries avait refusé, notamment par lettres des 6 février 2006 et 7 juin 2007, les demandes d'Emitech de voir établir un abonnement à son nom, la cour d'appel a méconnu le principe de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause ;

3°/ qu'en tout état de cause, en vertu du monopole d'EDF, la société Emitech était libre de se rapprocher d'EDF pour obtenir un raccordement au réseau d'électricité, nonobstant les stipulations du contrat la liant à Giat industries et peu important que cette société ait ou non donné son accord à un tel raccordement ; que la société Giat industries avait ainsi fait valoir dans ses conclusions devant la cour d'appel qu'il était « loisible à la société Emitech de se rapprocher d'EDF pour avoir une alimentation directe qui soit totalement indépendante de la société Giat industries son bailleur » ; qu'en énonçant cependant, pour dire la société Emitech recevable à invoquer la nullité des clauses contractuelles litigieuses, que l'interdiction de rétrocession de l'énergie n'était pas édictée au seul bénéfice d'EDF pour protéger son monopole mais également au profit des tiers aux contrats passés entre EDF et ses clients, qui peuvent se voir priver, par le biais d'une rétrocession d'électricité prohibée figurant dans une convention les liant avec un de ses clients, de la faculté d'avoir un accès direct à la fourniture d'énergie à un tarif librement négocié avec EDF, sans répondre à ce moyen d'où il résultait qu'il appartenait à la société Emitech de prendre ses dispositions afin d'obtenir un raccordement individuel au réseau d'électricité, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, et méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant énoncé que le fondement juridique de l'interdiction de la rétrocession de l'énergie électrique fournie par Électricité de France (EDF) résidait dans les dispositions d'ordre public instituant à son profit un monopole, la cour d'appel a retenu à bon droit que cette interdiction n'était pas édictée au seul bénéfice d'EDF, pour protéger son monopole, mais également au profit des tiers aux contrats passés entre cet opérateur et ses clients, qui peuvent se voir priver, par le biais d'une rétrocession d'électricité prohibée figurant dans une convention les liant avec l'un de ces clients, de la faculté d'avoir un accès direct à la fourniture d'énergie à un tarif librement négocié avec EDF ; que répondant ainsi aux conclusions prétendument omises, elle en a exactement déduit que la société Emitech était fondée à invoquer cette règle à l'appui de sa demande de nullité des clauses litigieuses ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en sa deuxième branche qui critique un motif surabondant, est pour le surplus mal fondé ;


Mais sur le second moyen, lequel est recevable s'agissant d'un moyen de pur droit :

Vu les articles 1131 et 1234 du code civil ;

Attendu que pour condamner la société Giat industries à rembourser à la société Emitech la somme de 1 102 780,54 euros TTC, avec intérêts au taux légal et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil, et débouter la société Giat industries de ses demandes en paiement, l'arrêt, après avoir décidé que les stipulations contractuelles organisant la rétrocession de l'énergie électrique fournie par EDF étaient illicites, a retenu que la nullité de ces clauses emportait l'obligation pour la société Giat industries de rembourser les sommes payées par la société Emitech depuis l'origine ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'annulation d'un contrat synallagmatique exécuté entraîne des restitutions réciproques et que, lorsque la remise des parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette exécution s'avère impossible, la partie qui a bénéficié d'une prestation en nature qu'elle ne peut restituer doit s'acquitter d'une indemnité équivalente à cette prestation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Giat industries à rembourser à la société Emitech la somme de la somme de 1 102 780,54 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter de la décision et capitalisation des intérêts échus, et en ce qu'il déboute la société Giat industries de ses demandes en paiement, l'arrêt rendu le 19 juin 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société Emitech aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Emitech et la condamne à payer à la société Giat industries la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille treize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Giat industries

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir a déclaré nulles et de nul effet les clauses contractuelles figurant aux articles 8 2°/ des actes des 13 octobre 1999 et 21 mars 2000, d'avoir débouté la société Giat Industries de ses demandes en paiement, et de l'avoir condamnée à rembourser à Emitech la somme de 1.102.780,54 ¿ avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt et capitalisation des intérêts échus ;

AUX MOTIFS QU'à titre principal, Emitech conclut à la nullité des clauses des baux en date des 13 octobre 1999 et 21 mars 2000 ; que la loi du 18 avril 1946 sur la nationalisation de l ¿électricité et du gaz a institué au profit d'EDF un monopole de la distribution d'énergie électrique en France et ce monopole d'EDF sur la distribution d'énergie électrique en sa qualité de gestionnaire du réseau de distribution a été confirmé par la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ; que l'interdiction de rétrocession d'énergie électrique qui se définit comme toute fourniture d'énergie par un client à un tiers que ce soit à titre gratuit ou onéreux et qui constitue donc une opération de distribution privée, est contraire au monopole de la distribution existant au profit d'EDF ; qu'il est établi que cette interdiction figure à l'article 24 du modèle du cahier des charges de concession pour le service public du développement et de l'exploitation du réseau de distribution d'électricité et de la fourniture d'énergie électrique aux tarifs réglementés et qu'elle est reprise dans les conditions générales du contrat Emeraude d'EDF, pour la fourniture d'énergie électrique au tarif vert, à l'article premier : « L'énergie fournie par EDF est utilisée par le client exclusivement pour le besoins de ses installations. Elle ne peut être rétrocédée à des tiers sans autorisation écrite d'EDF» ; qu'il n'est pas discuté par Giat, même si elle ne verse pas aux débats le contrat n° 16284 la liant à EDF, que celui-ci est soumis à ces conditions générales puisque les deux avenants n° 001 du 7 juillet 2005 et n° 002 du 18 mai 2006 à ce contrat, contenant conditions particulières, sont expressément des avenants au contrat Emeraude pour la fourniture d'énergie électrique au tarif vert A5 ; que chacun des baux conclus entre Giat et Emitech contient en son article 8 2°/, la stipulation suivante relative à la consommation d'électricité d'Emitech : sa consommation d'électricité sur la base d'un forfait de 205 000 francs HT par an, tant que le bailleur n'aura pas installé à ses frais, un compteur individuel puis, dans cette hypothèse, selon la consommation réelle sur la base du tarif pratique par EDF ; que cette clause qui prévoit, après l'installation par le bailleur à ses frais d'un compteur individuel, le remboursement par le preneur au bailleur de sa consommation réelle d'électricité sur la base du tarif pratiqué par EDF constitue une rétrocession d'électricité prohibée ; que contrairement à ce que soutient Giat, Emitech est fondée à invoquer à l'appui de sa demande de nullité des clauses des baux précitées, l'interdiction de la rétrocession de l'énergie électrique fournie par EDF dont le fondement juridique réside dans les dispositions d'ordre public instituant le monopole d'EDF, interdiction qui figure expressément des les conditions générales du contrat Emeraude passé entre EDF et Giat ; que cette interdiction de rétrocession de l'énergie n'est pas au demeurant édictée au seul bénéfice d'EDF pour protéger son monopole mais également au profit des tiers aux contrats passés entre EDF et ses clients, qui peuvent se voir priver, par le biais d'une rétrocession d'électricité prohibée figurant dans une convention les liant avec un de ses clients, de la faculté d'avoir un accès direct à la fourniture d'énergie à un tarif librement négocié avec EDF ; qu'en l'espèce, il résulte d'ailleurs des pièces produites qu'Emitech a sollicité par plusieurs courriers adressés à Giat la possibilité de voir établir un abonnement EDF à son nom et a sollicité des réunions contradictoires en présence d'EDF, ce que Giat a refusé notamment par ses courriers des 6 février 2006 et 7 juin 2007, ayant laissé sans réponse les demandes postérieures d'Emitech ; que Giat ne démontre pas qu'Emitech aurait refusé l'installation d'un abonnement électrique à son nom ou même seulement d'un compteur électrique individualisé ; que les clauses en cause sont donc illicites en ce qu'elles violent un texte d'ordre public économique instaurant le monopole de distribution d'EDF en organisant la rétrocession par Giat à Emitech de l'énergie électrique que lui fournit EDF ; qu'il sera donc fait droit à la demande d'Emitech de voir prononcer la nullité des clauses contractuelles figurant aux articles 8 2°/ des baux conclus par actes des 13 octobre 1999 et 21 mars 2000 ;

1) ALORS QUE l'interdiction de la rétrocession d'électricité est une règle d'ordre public économique destinée à protéger le monopole d'EDF et n'est sanctionnée que par la nullité relative des conventions qui la méconnaissent ; que sa méconnaissance par un contrat conclu entre deux particuliers ne saurait en conséquence être invoquée par l'une des parties à ce contrat pour en obtenir la nullité ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1165 et 1338 du code civil ;

2) ALORS QUE par lettre du 7 juin 2007, la société Giat Industries avait répondu à la société Emitech : : « rien ne vous interdit de demander la faisabilité d'une alimentation électrique autonome à votre nom sous réserve de la compatibilité d'une telle solution avec les aménagements du site » ; que la lettre du 6 février 2006 ne comportait pas davantage d'opposition expresse à la souscription par Emitech d'un abonnement auprès d'EDF ; qu'en énonçant cependant que Giat Industries avait refusé, notamment par lettres des 6 février 2006 et 7 juin 2007, les demandes d'Emitech de voir établir un abonnement à son nom, la cour d'appel a méconnu le principe de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause ;

3) ALORS en tout état de cause QU'en vertu du monopole d'EDF, la société Emitech était libre de se rapprocher d'EDF pour obtenir un raccordement au réseau d'électricité, nonobstant les stipulations du contrat la liant à Giat Industries et peu important que cette société ait ou non donné son accord à un tel raccordement ; que la société Giat Industries avait ainsi fait valoir dans ses conclusions devant la cour d'appel qu'il était « loisible à la société Emitech de se rapprocher d'EDF pour avoir une alimentation directe qui soit totalement indépendante de la société Giat Industries, son bailleur » (conclusions p. 7) ; qu'en énonçant cependant, pour dire la société Emitech recevable à invoquer la nullité des clauses contractuelles litigieuses, que l'interdiction de rétrocession de l'énergie n'était pas édictée au seul bénéfice d'EDF pour protéger son monopole mais également au profit des tiers aux contrats passés entre EDF et ses clients, qui peuvent se voir priver, par le biais d'une rétrocession d'électricité prohibée figurant dans une convention les liant avec un de ses clients, de la faculté d'avoir un accès direct à la fourniture d'énergie à un tarif librement négocié avec EDF, sans répondre à ce moyen d'où il résultait qu'il appartenait à la société Emitech de prendre ses dispositions afin d'obtenir un raccordement individuel au réseau d'électricité, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, et méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Giat Industries de ses demandes et de l'avoir condamnée à rembourser à Emitech la somme de 1.102.780,54 ¿ avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt et capitalisation des intérêts échus ;

AUX MOTIFS QUE la nullité des clauses contractuelles de rétrocession d'électricité emporte l'obligation pour Giat de rembourser les sommes payées par Emitech depuis l'origine ; que la nullité prononcée suffit en outre à priver Giat du droit de poursuivre le paiement des sommes de ce chef sans qu'il y ait lieu de prononcer au profit d'Emitech une dispense d'avoir à payer des sommes qu'elle n'a pas réglées ;

ALORS QUE dans le cas où un contrat nul a cependant été exécuté, les parties doivent être remises dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant cette exécution ; que lorsque la remise en état se révèle impossible en raison de la nature des obligations résultant du contrat, la partie qui a bénéficié d'une prestation qu'elle ne peut restituer doit s'acquitter du prix correspondant à cette prestation ; qu'il était constant que la société Emitech ne pouvait restituer l'électricité que lui avait fournie la société Giat Industries ; qu'en déboutant cependant cette dernière de sa demande en paiement au titre des prestations fournies par elle à Emitech, et en la condamnant à rembourser les sommes d'ores et déjà perçues de ce chef, la cour d'appel a violéles articles 1131 et 1234 du code civil.

ECLI:FR:CCASS:2013:C101084
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