Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 25 septembre 2013, 12-17.556, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre civile 1
- N° de pourvoi : 12-17.556
- ECLI:FR:CCASS:2013:C100949
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation
- Président
- M. Charruault
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Raymond X..., est décédé le 28 août 2006 en laissant à sa succession, M. Stéphane X... et Mme Coralie X..., les deux enfants de son fils unique, Michel X... prédécédé le 24 décembre 2005 ; que ceux-ci ont demandé la réduction des donations consenties par Raymond X... à leur père et à Mme Y... l'épouse de ce dernier ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 848 et 752 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006, applicable en la cause ;
Attendu qu'il ressort du second des textes susvisés qu'il ne peut y avoir représentation dans la ligne directe descendante que si le défunt a eu plusieurs enfants ;
Attendu que, pour débouter M. et Mme X... de leur demande tendant à voir juger que les donations consenties par Raymond X... portaient atteinte à leur réserve successorale et devaient, en conséquence, être réduites, l'arrêt retient, d'une part, que si les co-héritiers X... sont les héritiers directs de leur grand-père paternel, il ne peut pour autant être fait abstraction de leur situation particulière, au regard des libéralités octroyées par leur grand-père à leur père, lesquelles sont incluses dans le patrimoine de leur père dont ils ont hérité et, d'autre part, que l'article 848 du code civil prévoit que si le fils ne vient que par représentation, il doit rapporter ce qui avait été donné à son père ; qu'il en déduit que les donations reçues par leur père et celles qu'ils ont reçues excédant la réserve héréditaire, ils ne peuvent prétendre à la réduction de celles consenties à Mme Y... ;
Qu'en statuant ainsi, alors que Michel X... était le fils unique du défunt, de sorte que ses deux enfants, seuls héritiers de leur grand-père, venaient à la succession de celui-ci, non pas en représentation de leur père, mais de leur chef, de sorte qu'ils n'étaient pas tenus de rapporter les donations dont ce dernier avait bénéficié, la cour d'appel a violé par fausse application les textes susvisés ;
Et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 16 du code de procédure civile ;
Attendu que pour statuer ainsi, l'arrêt énonce encore que la prise en charge par le donateur des frais de la donation consentie le 28 mars 2006 à Mme Y... était la contrepartie des services rendus par sa belle-fille qui venait de perdre son mari trois mois plus tôt à la suite d'une maladie, de sorte que leur montant ne peut être qualifié de donation rapportable ;
Qu'en retenant d'office ce moyen qui n'était pas dans le débat, sans inviter les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Enfin, sur le troisième moyen :
Vu l'article 852 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006 ;
Attendu que pour statuer ainsi l'arrêt, après avoir constaté que le défunt avait établi au profit de son fils et de sa belle-fille un chèque de 20 000 euros le 22 mars 2005 et un chèque de 10 000 euros le 22 avril 2005, retient enfin que le défunt prenait soin de rédiger des actes sous seing privé lorsqu'il procédait à des donations, ce qu'il n'a pas fait pour ces deux versements, qu'il ressort de l'acte notarié du 28 mars 2006, que Raymond X... a déclaré qu'il n'avait consenti avant ce jour aucune donation à Mme Y..., à quelque titre que ce soit et sous quelque forme que ce soit, et que, s'agissant de règlements opérés dans le cadre de relations familiales entre un père et son fils unique et son épouse, il convient de juger qu'il n'existe aucun commencement de preuve de l'existence d'une donation rapportable et qu'il s'agit de présents d'usage ;
Qu'en se déterminant ainsi sans préciser à l'occasion de quel événement et selon quel usage Raymond X... avait fait de tels cadeaux à son fils et à sa belle-fille, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 novembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq septembre deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour les consorts X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Madame Coralie X... et Monsieur Stéphane X... de leurs demandes tendant à ce qu'il soit jugé que les libéralités consenties par Raymond X..., décédé le 28 août 2006, portaient atteinte à leur réserve successorale et à ce qu'elles soient en conséquence réduites ;
AUX MOTIFS QUE « aux termes de l'article 922 du code civil, la réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existants au décès du donateur, et les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, afin de calculer sur tous ces biens, eu égard à la qualité des héritiers qu'il laisse, quelle est la quotité disponible dont le défunt a pu disposer. Il est également acquis que la réduction a vocation à jouer pour toutes les libéralités, y compris celles consenties à des personnes qui ne viennent pas à la succession, dès lors qu'il existe des héritiers réservataires au décès, venant à la succession au vu de ce qui précède :- la masse s'élève à 583. 272, 64 euros,- la quotité disponible s'élève à la moitié de la masse, ce qui représente une somme de 291. 636, 21 euros, alors que le montant des libéralités est de 403. 961, 69 euros,- la réserve est de 291. 636, 21 euros soit pour chacun des héritiers, 145. 819, 10 euros ; qu'il n'est pas contesté que la libéralité préciputaire consentie à un tiers, ne s'impute que sur la seule quotité disponible, ce qui s'applique à la donation consentie à Madame Nadia X..., alors que les libéralités rapportables consenties à des héritiers venant à la succession s'imputent sur la part de réserve du gratifié, si 1'héritier gratifié est réservataire, l'article 848 du code civil prévoit que si le fils ne vient que par représentation, il doit rapporter ce qui avait été donné à son père, même dans le cas où il aurait répudié sa succession. Il convient de noter que ce texte contient une exception à la règle de l'ancien article 754 du code civil, qui fixait qu'on ne représente pas le renonçant. S'il est exact que les cohéritiers X... sont les héritiers direct, de leur grand-père paternel, il ne peut être pour autant fait abstraction de leur situation particulière, au regard des libéralités octroyées par leur grand-père à leur père, lesquelles sont incluses dans le patrimoine de leur père dont ils ont hérité. C'est donc à juste titre, que le premier juge a considéré qu'ils venaient nécessairement à la succession de leur grand-père paternel par représentation de leur père décédé, au regard des donations consenties à celui-ci, et que le cumul des donations qu'ils avaient reçues et des donations reçues par leur père, soit la somme de 333. 861, 69 euros excédait la réserve héréditaire. Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE « en application de l'article 848 du Code civil, le don fait au fils qui ne vient que par représentation à la succession du donateur doit être rapporté à cette succession, il sera nécessairement jugé que les demandeurs venant, aux termes de l'article 751 du Code civil, à la succession de leur grand-père paternel par représentation de leur père prédécédé, et donc tenus à rapport des donations consenties à celui-ci, vont percevoir, en cumulant les donations reçues par leur père qu'ils représentent et les donations directes, la somme de 645. 050, 46 euros, excédant la réserve héréditaire, de sorte qu'ils ne peuvent prétendre à réduction des donations effectuées par le de cujus » ;
1°) ALORS QUE la représentation successorale, qui vise à assurer l'égalité des souches, ne peut jouer s'il n'en existe qu'une seule ; que le fils venant de son propre chef à la succession du donateur n'est pas tenu de rapporter la libéralité faite à son père, même quand il aurait accepté la succession de celui-ci ; que la libéralité ainsi consentie doit dès lors s'imputer sur la quotité disponible ; qu'en affirmant, pour juger que les cohéritiers X... devaient rapporter à la succession de leur grand-père paternel les donations qu'il avait consenties à leur père prédécédé et que celles-ci s'imputaient dès lors sur leur réserve, et conclure que les donations consenties à des tiers n'excédaient pas la quotité disponible, qu'ils venaient à la succession par représentation de leur père prédécédé, cependant que celui-ci était fils unique, ce dont il résultait qu'en présence d'une seule souche, les deux petits-enfants venaient à la succession, non par représentation, mais de leur propre chef, et n'étaient dès lors pas tenus de rapporter la libéralité faite à leur père prédécédé, laquelle s'imputait sur la quotité disponible, la Cour d'appel a violé l'article 848 du Code civil, ensemble l'article 740 du même Code dans sa version applicable au litige ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, les donations faites expressément par préciput et hors part successorale s'imputent sur la quotité disponible ; qu'en imputant les donations consenties par Raymond X... à son fils prédécédé sur la part de réserve des consorts X... venant à la succession en représentation de ce dernier, pour rejeter leurs demandes en réduction des libéralités consenties à des tiers et entamant leur réserve, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les donations ainsi rapportées n'avaient pas été consenties hors part successorale et ne devaient pas dès lors s'imputer sur la quotité disponible, afin de ne pas conférer aux représentants moins de droits que n'en aurait eu le représenté, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 843 et 865 du Code civil dans leur version applicable au litige ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, les donations sont imputées par ordre chronologique en commençant par la donation la plus ancienne ; qu'en s'abstenant de rechercher, pour juger qu'il n'y avait pas lieu à réduction des donations consenties à Madame Y... par le de cujus, laquelle des donations consenties à cette dernière et à Michel X... devait s'imputer en priorité sur la quotité disponible, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 923 du Code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Madame Coralie X... et Monsieur Stéphane X... de leurs demandes tendant à ce qu'il soit jugé que les libéralités consenties par Raymond X..., décédé le 28 août 2006, portaient atteinte à leur réserve héréditaire et qu'elles soient en conséquence réduites ;
AUX MOTIFS QUE « par acte notarié en date du 28 mars 2006, M. Raymond X... a fait donation à Mme Y... veuve de Michel X..., de la nue propriété d'une maison d'habitation située à Saint Pompain et il a été convenu « comme condition essentielle et déterminante de l'acceptation du donataire » que les frais et droits de la donation et ceux qui en seront la suite et la conséquence sont à la charge exclusive du donateur qui s'y oblige. Cette clause illustre indiscutablement un accord entre les parties intervenu à la suite d'une négociation, laquelle doit être interprétée comme étant l'acceptation par le donateur d'une prise en charge de ces frais en contrepartie des services rendus par sa belle-fille qui venait de perdre son mari trois mois plus tôt à la suite d'une maladie. Le montant de cette dépense qui s'élève à 28 150 euros ne peut donc être qualifiée de donation rapportable » ;
1°) ALORS QUE le juge ne peut fonder sa décision sur des moyens qu'il a relevés d'office sans avoir, au préalable, invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en refusant d'intégrer au calcul de la masse successorale et d'imputer sur la quotité disponible la somme de 28. 150 euros correspondant aux frais et droits de la donation supportés par Raymond X... aux lieu et place de Madame Y..., au motif qu'il s'agissait d'une libéralité rémunératoire consentie en contrepartie de « services rendus » par la donataire, bien qu'aucune des parties ne l'ait soutenu, la donataire n'ayant jamais prétendu avoir rendu un service au donateur, et sans inviter au préalable celles-ci à présenter leurs observations à cet égard, la Cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, la prise en charge par le donateur des frais et droits d'une donation aux lieu et place du donataire constitue une donation indirecte ; qu'en se bornant à affirmer que le versement, par Raymond X..., de la somme de 28. 150 euros aux lieux et place de Madame Y... avait été consenti « en contrepartie des services rendus », dont elle ne précisait ni la nature ni l'importance, et sans relever d'éléments susceptibles d'établir le caractère rémunératoire de cette libéralité, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 931 du Code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Madame Coralie X... et Monsieur Stéphane X... de leurs demandes tendant à ce qu'il soit jugé que les libéralités consenties par Raymond X..., décédé le 28 août 2006, portaient atteinte à leur réserve héréditaire et à ce qu'elles soient en conséquence réduites ;
AUX MOTIFS QUE « le défunt Raymond X... a rédigé au profit de son fils et de sa belle-fille, un chèque de 20 000 ¿ le 22 mars 2005 et un chèque de 10 000 ¿ le 22 avril 2005 ; que les appelants invoquent l'existence d'une libéralité rapportable alors que l'intimé prétend qu'il s'agirait de présents d'usage ; que les pièces produites à la procédure font apparaître que Raymond X... était un homme fortuné, généreux avec son fils et ses petits enfants, mais qui prenait soin de rédiger des actes sous seing privé lorsqu'il procédait à des donations, ce qu'il n'a pas fait pour ces deux versements que ses relevés de comptes bancaires de l'époque font état de nombreuses opérations, dont des virements portés à son crédit par M. ou Mme X... Michel ; qu'il ressort d'un acte notarié dressé le 28 mars 2006 que M. Raymond X... a déclaré qu'il n'avait consenti avant ce jour aucune donation à Mme Y... veuve X..., à quelque titre et sous quelque forme que ce soit ; que s'agissant de règlements opérés dans le cadre de relations familiales entretenues entre un père et son fils unique et son épouse, il convient de juger qu'il n'existe aucun commencement de preuve de l'existence d'une donation rapportable et qu'il s'agit bien de présents d'usage ».
ALORS QUE le caractère de présent d'usage s'apprécie à la date à laquelle il est consenti en tenant compte de la fortune du disposant ; qu'en qualifiant de présents d'usage les sommes de 20. 000 euros et 10. 000 euros reçues par les époux X... ¿ Y... aux motifs inopérants que le donateur n'avait pas rédigé d'acte sous seing privé constatant le versement de ces dons manuels et avait déclaré plusieurs mois plus tard n'avoir consenti aucune donation à Madame Y..., sans caractériser l'occasion qui justifiait de tels cadeaux, d'une valeur de 30. 000 euros, dans leur principe et leur montant, ni examiner, comme elle y était invitée, s'ils ne revêtaient pas un caractère excessif ou disproportionné par rapport à la situation financière et de fortune du donateur ayant laissé un actif net s'élevant à la somme de 179. 310, 95 euros, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 852 du Code civil dans sa version applicable à l'espèce.