Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 10 juillet 2013, 12-23.746, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 1382 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que suivant un acte du 14 février 2001 reçu par M. X..., notaire associé au sein de la SCP A...- B...- C... (la SCP), aux droits de laquelle vient la SCP C...- D..., M. et Mme Y... ont acquis auprès de la SCI La Corniche (la SCI) un appartement et deux parkings en l'état futur d'achèvement ; qu'ayant prononcé, sur l'action rédhibitoire des acquéreurs, la résolution de cette vente, la cour d'appel a condamné la SCI à la restitution du prix de vente ; que cette dernière ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, M. et Mme Y..., se prévalant de l'impossibilité de recouvrer leur créance, ont assigné M. X... et la SCP en paiement ;

Attendu que pour rejeter la demande de M. et Mme Y..., l'arrêt, après avoir constaté que la SCI a été condamnée à la restitution du prix de vente le 22 novembre 2007, relève que ceux-ci ne justifient d'aucune diligence pour faire exécuter la décision, ou prendre des garanties, avant l'ouverture de la procédure collective le 19 février 2008, de sorte que l'impossibilité d'obtenir ladite restitution résulte de leur passivité et non du manquement reproché au notaire ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que si la restitution du prix, par suite de l'annulation du contrat de vente, ne constitue pas en elle-même un préjudice indemnisable, le notaire peut être condamné à en garantir le paiement en cas d'insolvabilité démontrée des vendeurs, la cour d'appel, qui a constaté que M. et Mme Y... avaient perdu toute possibilité de recouvrer leur créance auprès de la SCI placée en redressement puis liquidation judiciaires, moins de trois mois après le prononcé de la décision en ordonnant le paiement, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 mai 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;

Condamne M. X..., la SCP C...- D... et la société MMA IARD assurances mutuelles aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X..., de la SCP C...- D... et de la société MMA IARD assurances mutuelles ; les condamne à payer à M. et Mme Y... la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix juillet deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour M. et Mme Y...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué :

D'AVOIR débouté les époux Y... de leurs demandes tendant à voir condamner in solidum Maître X..., la SCP C... D... (anciennement SCP A...- B...- C...) et la compagnie MMA à lui payer à titre de dommages et intérêts et sauf à parfaire, la somme de 203. 979, 78 ¿, augmentée des accessoires du prix de vente, comprenant notamment les émoluments, les frais versés à la conservation des hypothèques, les impôts droits et taxes liés à la vente, selon décompte du notaire et des intérêts au taux légal à compter de chacun des règlements reçus par la SCI LA CORNICHE ;

AUX MOTIFS QUE dans le cadre de la présente instance, Monsieur et Madame Y... sollicitent, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, l'indemnisation du préjudice résultant de l'impossibilité d'obtenir le remboursement du prix auprès de la venderesse du fait de la liquidation judiciaire dont elle a fait l'objet, et ce en raison des fautes commises par le notaire, dont la responsabilité a déjà été retenue par les décisions rendues précédemment, notamment l'arrêt du 22 novembre 2007 ; que cette demande ne se heurte pas à l'autorité de la chose jugée dès lors qu'elle un objet différent de celui ayant donné lieu à des décisions définitives, et qui tendait à la condamnation in solidum de la venderesse et des notaires à garantir les époux Y... des condamnations prononcées contre eux au profit de la société BNP Paribas ; qu'en outre l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; que tel est le cas en l'espèce puisque la SCI La Corniche a été placée en redressement puis en liquidation judiciaire postérieurement à l'arrêt du 22 novembre 2007 ; qu'en conséquence, la demande des époux Y... est recevable ; qu'il appartient à ces derniers d'établir que la faute imputée au notaire est l'origine du préjudice qu'ils invoquent, tenant à l'impossibilité pour eux d'obtenir la restitution du prix ; que lors du prononcé de l'arrêt du 22 novembre 2007, la SCI La Corniche ne faisait pas l'objet d'une procédure collective ; que jusqu'à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire le 19 février 2008, ils avaient la possibilité de procéder à l'exécution de l'arrêt du 22 novembre 2007, exécutoire, ou, à tout le moins, de prendre des garanties si les biens de la SCI ; qu'ils ne justifient d'aucune diligence effectuée en ce sens ; qu'en outre ils n'ont pas non plus procédé à la déclaration de leur créance à la procédure collective de la SCI ; que l'impossibilité d'obtenir la restitution du prix provient dès lors, non du manquement reproché au notaire, mais de l'absence de diligence des époux Y... à la suite de l'arrêt du 22 novembre 2007 ; qu'ils doivent en conséquence être déboutés de leurs demandes ;

1°) ALORS QUE chacun des responsables d'un même dommage est tenu d'en réparer la totalité, que, par suite, les notaires sont tenus, in solidum avec le vendeur, du montant de la restitution du prix de vente à l'acquéreur, consécutive à la résolution de la vente due à leur faute, en cas d'insolvabilité du vendeur ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel de LYON, dans un arrêt en date du 22 novembre 2007, définitif sur ce point, a constaté que Maître X... avait commis une faute à l'origine de l'annulation de la vente en l'état futur d'achèvement conclue entre les époux Y... et la SCI LA CORNICHE ; que la Cour d'appel a jugé que Maître X..., en sa qualité de notaire rédacteur de l'acte authentique, avait manqué à son devoir de conseil en n'informant pas les acquéreurs des risques d'annulation encourus par cette opération, alors que lui-même en avait une parfaite connaissance et qu'en outre, alors qu'il ne pouvait ignorer le caractère très sérieux de ces risques, il n'avait pas assuré l'efficacité de l'acte authentique de vente qu'il avait rédigé et soumis à la signature des parties ; que par ailleurs, la Cour d'appel a constaté « l'impossibilité d'obtenir la restitution du prix » auprès de la SCI LA CORNICHE ; que dès lors en déclarant, pour débouter les époux Y... de leur demande indemnitaire à l'encontre des notaires, destinée à compenser l'impossibilité dans laquelle ils se trouvaient d'obtenir la restitution du prix de la vente annulée qu'ils avaient payé sans contrepartie, que l'impossibilité d'obtenir la restitution du prix provenait, non du manquement reproché au notaire, mais de l'absence de diligence des époux Y... après l'arrêt du 22 novembre 2007, la Cour d'appel, qui constatait l'existence du préjudice subi par les époux Y..., né de l'impossibilité dans laquelle ils étaient d'obtenir de la venderesse la restitution du prix de la vente annulée par la faute des notaires, n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales, et a violé l'article 1382 du Code civil ;

2°) ALORS en toute hypothèse QUE la Cour d'appel a déclaré, pour débouter les époux Y... de leurs demandes indemnitaire à l'encontre des notaires, que jusqu'à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire le 19 février 2008, les époux Y... n'avaient pas procédé à l'exécution de l'arrêt du 22 novembre 2007 ayant condamné la SCI LA CORNICHE à restituer aux époux Y... le prix de la vente annulée, et qu'ils n'avaient pas non plus procédé à la déclaration de leur créance à la procédure collective de la SCI LA CORNICHE, de sorte que l'impossibilité d'obtenir la restitution du prix provenait, non du manquement reproché au notaire, mais de l'absence de diligence des époux Y... après l'arrêt du 22 novembre 2007 ; qu'elle n'a pas recherché si la SCI LA CORNICHE, dont les époux Y... soulignaient que l'arrêt du programme de construction, en raison de l'irrégularité de celui-ci, l'avait acculée à la cessation des paiements, et dont la Cour d'appel constatait qu'elle avait été déclarée en redressement judiciaire dès le 19 février 2008, soit trois mois après l'arrêt du 22 novembre 2007, puis en liquidation judiciaire, aurait été solvable, et en mesure d'exécuter l'arrêt qui l'avait condamnée à payer la somme de 181. 124, 55 ¿ en principal au titre de la restitution du prix, qu'une telle recherche s'imposait d'autant plus que Maître Z... ès-qualités de mandataire judiciaire à la procédure collective de la SCI LA CORNICHE, ne contestait lui-même nullement que la débitrice ne disposait d'aucun actif permettant de désintéresser les époux Y... depuis l'ouverture, à son encontre, de cette procédure collective ; que la Cour d'appel a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

3°) ALORS enfin, et en toute hypothèse, QUE le lien de causalité existant entre une faute et un dommage est établi dès lors qu'il apparaît que cette faute, fut-elle en concurrence avec d'autres, a été une cause nécessaire du dommage, qui sans elle, ne se serait pas produit ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel de LYON, dans un arrêt en date du 22 novembre 2007, définitif sur ce point, a constaté que Maître X... avait commis une faute à l'origine de l'annulation de la vente en l'état futur d'achèvement conclue entre les époux Y... et la SCI LA CORNICHE et partant, des préjudices en résultant ; que la Cour d'appel a en effet jugé que Maître X..., en sa qualité de notaire rédacteur de l'acte authentique, avait manqué à son devoir de conseil en n'informant pas les acquéreurs des risques d'annulation encourus par cette opération, alors que lui-même en avait une parfaite connaissance et qu'en outre, alors qu'il ne pouvait ignorer le caractère très sérieux de ces risques, il n'avait pas assuré l'efficacité de l'acte authentique de vente qu'il avait rédigé et soumis à la signature des parties ; que la Cour d'appel ne pouvait déclarer, pour débouter les époux Y... de leur demande indemnitaire à l'encontre des notaires, que jusqu'à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire le 19 février 2008, les époux Y... n'avaient pas procédé à l'exécution de l'arrêt du 22 novembre 2007 ayant condamné la SCI LA CORNICHE à restituer aux époux Y... le prix de la vente annulée, et qu'ils n'avaient pas non plus procédé à la déclaration de leur créance à la procédure collective de la SCI LA CORNICHE, de sorte que l'impossibilité d'obtenir la restitution du prix provenait, non du manquement reproché au notaire, mais de l'absence de diligence des époux Y... après l'arrêt du 22 novembre 2007, lors même qu'il résultait de ses propres constatations que la faute commise par les notaires avait un rôle nécessaire et déterminant dans la production du dommage ; qu'en effet, si les notaires avaient dûment averti les époux Y... du caractère non viable de l'acquisition envisagée auprès de la SCI LA CORNICHE, qui portait sur une opération manifestement non conforme au permis de construire et au POS, les époux Y... n'auraient pas contracté et ne seraient pas trouvés confrontés à l'annulation de la vente, à la nécessité subséquente de se faire restituer le prix, et à l'insolvabilité de leur vendeur ; que la Cour d'appel n'a donc pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales, et a violé l'article 1382 du Code civil ;

4°) ALORS, également, QUE dans leurs conclusions d'appel (p. 18, 19), les époux Y... faisaient valoir que les fautes lourdes des notaires se trouvaient à l'origine même de la cessation des paiements de la SCI LA CORNICHE, en ce qu'elles avaient précipité l'arrêt de la construction et l'impossibilité pour la venderesse de poursuivre la réalisation de son programme ; que dès lors, en s'abstenant purement et simplement de répondre à ces écritures pertinentes dont il résultait que la faute des notaires, définitivement acquise, se trouvait en lien direct avec l'insolvabilité de la SCI LA CORNICHE, et partant, avec l'impossibilité pour les époux Y... d'obtenir auprès de celle-ci la restitution du prix de la vente annulée, la Cour d'appel a privé sa décision de motifs, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile.

ECLI:FR:CCASS:2013:C100823
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