Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 26 juin 2013, 12-17.476, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles L. 2143-17, L. 2315-3 et L. 2325-7 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé à compter du 5 mai 1998, en qualité de chef d'équipe, par la société ISS Abilis France, aux droits de laquelle se trouve la société ISS Propreté; qu'il a été élu délégué du personnel le 12 décembre 2001 et réélu le 5 décembre 2003 ;qu'il a été désigné en qualité de représentant syndical au comité d'entreprise et délégué syndical le 18 janvier 2002; qu'il a saisi le 27 décembre 2004 la juridiction prud'homale de demandes de paiement des majorations portant sur les heures de délégations prises en dehors de son horaire normal de travail ; que, reconventionnellement, l'employeur a demandé le remboursement d'heures de délégation qu'il estimait indûment payées ;

Attendu que pour rejeter la demande du salarié, l'arrêt retient que les pièces produites par le salarié, qui n'ont pas date certaine, ne précisent ni les mandats de représentation auxquels se rattachent les dates et heures qu'elles mentionnent, ni la nature des activités exercées, qu'elles ne permettent pas à l'employeur de s'assurer que les heures de délégation qui y sont mentionnées ont été utilisées pour l'exercice des mandats du salarié et qu'elles sont également insuffisantes pour mettre la cour en mesure de vérifier que le salarié a consacré à l'exercice de ses mandats des heures supplémentaires excédant celles mentionnées sur ses bulletins de salaire avec les majorations correspondantes ;

Attendu cependant que les heures de délégation peuvent être utilisées en dehors du temps de travail, en raison des nécessités du mandat, et doivent être payées comme heures supplémentaires ; que l'employeur ne peut contester l'usage fait du temps alloué aux représentants du personnel pour l'exercice de leur mandat qu'après l'avoir payé ;



D'où il suit qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans rechercher si toutes les heures de délégation prises en dehors de l'horaire normal de travail et payées au salarié avaient donné lieu aux majorations applicables, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 février 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société ISS Propreté aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six juin deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils pour M. X...

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté les demandes de Monsieur X... tendant d'une part au paiement de la somme de 20 557,28 euros à titre de majorations pour heures supplémentaires, outre les congés payés afférents, d'autre part au paiement de la somme de 85 000 euros au titre des repos compensateur, ainsi qu'au paiement de dommages et intérêts, et de l'avoir condamné aux dépens ;

AUX MOTIFS QUE M. X... fait valoir que les heures de délégation qu'il a effectuées «lui ont été payées aux échéances normale de la paie mais sans les majorations qui leur étaient applicables» et sans le bénéfice des repos compensateurs afférents ; selon lui, en effet, au vu de ses horaires de travail et des heures auxquelles se tenaient les «différentes réunions (CE, CHSCT...)», il ne pouvait effectuer ses heures de délégation qu'en dehors de ses heures de travail ; les mandats détenus par M. X... au titre de son élection comme délégué du personnel et de sa désignation comme délégué syndical et représentant syndical au comité d'entreprise lui permettaient chacun de bénéficier, pour l'exercice de ces fonctions, d'heures de délégation, cumulables entre elles, définies par les articles L. 424-1 devenu L. 2315-1, L. 412-20 devenu L. 2143-13, L. 434-1 devenu L. 2325-6 du code du travail ; aux termes des articles L. 424-1 alinéa 2 devenu L. 2315-1, L. 412-20 alinéa 5 devenu L. 2143-17, L. 434-1, alinéa 3 devenu L. 2325-7 du code du travail, les heures de délégation sont de plein droit considérées comme temps de travail et payées à l'échéance normale ; l'employeur qui entend contester l'utilisation faite des heures de délégation saisit le juge judiciaire ; les heures de délégation étant payées comme temps de travail, il s'ensuit que, lorsqu'elles sont prises en dehors de l'horaire de travail en raison des nécessités du mandat, elles doivent être payées comme heures supplémentaires ; ces heures étant payées à l'échéance normale, si l'employeur entend contester l'usage qui en a été fait, il doit payer les heures de délégation avant de saisir le juge prud'homal ; il lui appartient dès lors d'apporter la preuve que le représentant du personnel n'a pas utilisé tout ou partie de son crédit d'heures conformément à l'objet de son mandat ; toutefois, les textes du code du travail visés ci-dessus, qui imposent à l'employeur de payer à l'échéance normale le temps de délégation alloué aux salariés détenteurs d'un mandat de représentation du personnel ne dispensent pas les bénéficiaires de ce versement d'indiquer, sur la demande de l'employeur au besoin formée par voie judiciaire, des précisions sur les activités exercées pendant ces heures ; il résulte des bulletins de salaire de la période considérée que l'employeur a payé en même temps que le salaire des heures supplémentaires y compris correspondant à des heures de délégation mentionnées sous la rubrique «autres heures» (conformément aux préconisations de la circulaire ministérielle du 28 août 1988) et qu'il a également payé des majorations pour heures supplémentaires aux taux de 25 % et de 50 % ; le salarié verse aux débats : - des décomptes manuscrits mensuels de janvier 2000 à novembre 2001 indiquant, outre son identité et son appartenance syndicale, un nombre global d'heures de délégation pour chacun de ses mandats, ces décomptes, non datés, étant établis sur papier libre et portant sa signature, - des décomptes comportant les mêmes indications mais sur des formulaires à entête «CFTC-ISS» renseignés à la main et signés par lui pour la période de janvier 2002 à novembre 2003, - des «bons de délégations» mensuels pré-imprimés, renseignés à la main et signés par lui, listant des dates et heures, établis sur papier à entête de la société ISS, pour la période de décembre 2003 à décembre 2004, - des listes mensuelles dactylographiées sur papier libre et non datées, indiquant mois par mois de janvier 2000 à décembre 2004, des dates, des heures et des lieux (exemple : janvier 2004 : de 12h à 17h (5h) Leroy Merlin de Saint-Ouen) ; ces pièces, qui n'ont pas date certaine, ne précisent ni les mandats de représentation auxquels se rattachent les dates et heures qu'elles mentionnent, ni la nature des activités exercées, étant précisé que chaque crédit d'heure est attaché à un mandat précis et qu'il ne peut y avoir de confusion à cet égard dans l'utilisation qui en est faite ; elles ne permettent pas à l'employeur de s'assurer que les heures de délégation qui y sont mentionnées ont été utilisées pour l'exercice des mandats du salarié ; elles sont également insuffisantes pour mettre la cour en mesure de vérifier que le salarié a consacré à l'exercice de ses mandats des heures supplémentaires excédant celles mentionnées sur ses bulletins de salaire avec les majorations correspondantes ; de surcroît, les calculs établis par M. X... à l'appui de sa réclamation sont imprécis, certaines de leurs données sont incohérentes et ils sont invérifiables, en particulier en ce qui concerne le calcul par semaine civile ; c'est par conséquent à juste titre que les premiers juges ont débouté M. X... de ses demandes en paiement d'un rappel de salaire et des congés payés afférents ; le jugement sera confirmé à ce titre ; sur les repos compensateurs : les bulletins de salaire versés aux débats mentionnent les repos compensateurs acquis ; M. X... ne peut donc reprocher à l'employeur de ne pas l'avoir mis en mesure de les prendre en ce qui concerne les heures supplémentaires payées ; il a été débouté ci-dessus de sa demande en paiement d'un rappel d'heures supplémentaires ; ses demandes relatives aux repos compensateurs doivent en conséquence être rejetées ;

Et AUX MOTIFS adoptés QU'il n'existe pas d'accord d'entreprise ou d'usage généralisé au sein de la société ISS ABILÏS en matière de gestion du droit syndical ; les parties sont d'accord sur le fait que cet exercice fait l'objet d'un règlement par société ; au surplus, M. X... fait référence à un usage en matière de formulaire de déclaration et soutient avoir bénéficié d'un accord tacite pour user de ses heures de délégation en dehors de ses horaires de travail ; il indique avoir du procéder de cette manière en encadrant lui-même une équipe de 30 personnes ; mais la partie défenderesse dénie l'existence d'un tel accord tacite ; elle précise que la fonction de chef d'équipe, différente de celle de contremaître, prévoit que le chef d'équipe travaille avec ses coéquipiers alors que celle du contremaître consiste au seul encadrement de ses subordonnés ; la société ISS ABILIS précise que durant la période 2000 à 2004, elle n'a pas procédé à une vérification pointue des heures de délégation, les relations se passant «en bonne intelligence» ; elle précise que c'est seulement à cause de cette demande tardive qu'elle a demandé justification de l'usage des heures de délégation ; devant l'absence de justificatifs, elle est amenée à réclamer reconventionnellement remboursement des heures de délégations indûment versées ; en fait le demandeur n'est pas en situation d'établir l'usage auquel il se réfère tardivement ; il est étonnant que de 2000 à 2004, alors qu'aucun problème syndical ne s'est élevé avec l'employeur, aucune demande en paiement d'heures de délégation n'ait été déposée ; le Conseil dit cette demande mal fondée et la rejette ainsi que celle inhérente aux congés payés et à toute réparation à titre de dommages-et-intérêts ;

ALORS QUE l'employeur ne peut contester l'usage fait du temps alloué aux représentants du personnel pour l'exercice de leur mandat qu'après l'avoir payé, avec les majorations applicables aux heures supplémentaires ; que la cour d'appel a déclaré bien fondé le moyen de défense de l'employeur qui contestait l'usage des heures de délégation alors qu'il n'avait pas réglé au préalable les majorations correspondant aux heures supplémentaires ; qu'en statuant comme elle l'a fait alors qu'à défaut de paiement préalable des heures de délégation avec les majorations applicables aux heures supplémentaires, la contestation de l'employeur ne pouvait être accueillie, la cour d'appel a violé les articles L. 2143-17, L. 2314-3 et L. 2325-7 du code du travail (anciennement L. 412-20, L. 424-1 et L. 434-1) ;

Et ALORS QUE l'employeur ne peut contester l'utilisation des heures de délégation qu'après avoir préalablement demandé à l'intéressé, fût-ce, en cas de refus, par voie judiciaire, l'indication des activités pour lesquelles elles ont été utilisées ; que les juges ne peuvent accueillir la contestation de l'employeur sans constater qu'il avait préalablement invité le salarié à indiquer l'usage qu'il avait fait des heures de délégation ; qu'en statuant comme elle l'a fait, tout en constatant que l'employeur n'avait pas préalablement invité le salarié à indiquer l'usage qu'il avait fait des heures de délégation, la cour d'appel a violé les articles L. 2143-17, L. 2314-3 et L. 2325-7 du code du travail (anciennement L. 412-20, L. 424-1 et L. 434-1) ;

ALORS en outre QUE la preuve de la non-conformité de l'utilisation du temps de délégation avec l'objet du mandat représentatif incombe à l'employeur ; que la cour d'appel a rejeté la demande du salarié en retenant que les pièces produites par le salarié étaient insuffisantes ; qu'en statuant comme elle l'a fait alors qu'il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la non-conformité de l'utilisation du temps de délégation avec l'objet du mandat représentatif, la cour d'appel a violé les articles L. 2143-17, L. 2314-3 et L. 2325-7 du code du Travail (anciennement L. 412-20, L. 424-1 et L. 434-1) ;

ALORS par ailleurs QUE le salarié a produit des pièces intitulées « justificatifs des heures de délégation » portant le numéro 16 mentionnant les différents mandats et ventilant les heures de délégation en fonction de ces mandats, ainsi que des pièces portant le numéro 15 mentionnant les différentes activités ; que la cour d'appel a affirmé que les pièces communiquées par le salarié «ne précisent ni les mandats de représentation auxquels se rattachent les dates et heures qu'elles mentionnent, ni la nature des activités exercées» ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a dénaturé les documents susvisés et violé l'article 1134 du code civil ;

ALORS encore QUE les juges du fond ne peuvent rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis ; que la cour d'appel n'a pas examiné les pièces produites par le salarié sous le numéro 17 et intitulées «justificatifs heures supplémentaires» ; que la cour d'appel, qui n'a pas examiné l'intégralité des pièces communiquées par le salarié, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

ALORS en tout état de cause QUE les juges ne peuvent faire peser la charge de la preuve des heures effectivement réalisées sur le seul salarié ; que la cour d'appel a rejeté l'intégralité des demandes du salarié en se fondant sur l'insuffisance des éléments apportés par le salarié ; que la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve des heures effectivement réalisées sur le seul salarié, a violé l'article l'article L. 3171-4 du code du travail.

ECLI:FR:CCASS:2013:SO01224
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