Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 29 mai 2013, 12-11.686, Inédit
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 12-11.686
- ECLI:FR:CCASS:2013:SO00988
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
- Président
- M. Bailly (conseiller doyen faisant fonction de président)
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu selon l'arrêt attaqué, que M. X..., engagé à compter du 26 octobre 1998 en qualité de responsable de production statut cadre par la société Joint Lyonnais techniques industrielles, à la suite de difficultés rencontrées dans l'exécution de celui-ci, a signé le 19 septembre 2005 un avenant à son contrat de travail acceptant son affectation à un poste de responsable technique des unités de production avec maintien du statut cadre et des autres conditions de son contrat de travail ; qu'en octobre 2006, la société l'a interrogé sur ses droits à la retraite, M. X... devant atteindre 60 ans le 14 novembre 2007 ; que le 15 mai 2007, il a reçu un avertissement pour ne pas avoir fourni ses indicateurs qualité et sécurité conformément à la note de rappel du 16 avril et pour avoir travaillé sans prendre en compte les rapports de vérification de l'APAVE ; qu'il a été convoqué le 26 juin suivant à un entretien préalable à un licenciement fixé au 19 juillet, que le 13 juillet il a été mis à pied à titre conservatoire, son médecin traitant ayant fait connaître à l'employeur l'impossibilité médicale de son patient d'honorer la convocation ; que le 2 août, l'employeur prorogeant la mise à pied a convoqué à nouveau le salarié pour le 3 septembre ; que le 28 avril 2008, à l'issue de la seconde visite, le médecin du travail a déclaré le salarié inapte à son poste de responsable technique et à tout poste dans l'entreprise ; que le 20 mai suivant, l'employeur l'a convoqué à un entretien préalable à un licenciement pour inaptitude fixé au 23 et par lettre du 3 juin l'a licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement ; que le salarié a été en arrêt maladie du 17 mars au 1er avril 2007 puis à compter du 4 juin 2007 et ne s'est rendu à aucun entretien préalable ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement des salaires et congés payés afférents correspondant à la période de mise à pied alors, selon le moyen, que l'employeur est de plein droit débiteur des salaires dus pendant la période de mise à pied annulée, la suspension du contrat de travail ayant sa cause, non dans la maladie du salarié, mais dans la décision de l'employeur rétroactivement anéantie ; qu'en le déboutant de sa demande en paiement du salaire correspondant à la période de la mise à pied injustifiée, en se fondant sur la maladie du salarié, quand l'employeur était de plein droit tenu de verser ce salaire, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant en violation de l'article L. 1333-2 du code du travail ;
Mais attendu, qu'ayant constaté qu'à la date de la mise à pied conservatoire et pendant toute la durée de cette mesure, le contrat de travail était suspendu pour cause de maladie antérieure, la cour d'appel en a déduit à bon droit que le salarié ne pouvait prétendre au paiement des salaires et indemnités s'y rapportant ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l'article L. 1152-1 du code du travail ;
Attendu que pour débouter le salarié de sa demande en nullité du licenciement pour harcèlement moral et paiement de diverses sommes en conséquence, l'arrêt retient que la société était bien fondée à adresser à son salarié des rappels à l'ordre puis un avertissement qui n'est pas contesté ; que la mise à pied conservatoire était certes injustifiée par sa durée de dix mois et demi mais s'inscrivait dans un contexte tendu tenant au comportement du salarié pendant ses derniers mois de travail, celui-ci ayant négligé de se rendre sur le site, de contrôler les machines et de tenir compte des rapports de sécurité alarmants de l'Apave et d'en informer ses supérieurs hiérarchiques ; que le salarié avait adopté un comportement agressif dès le début de son arrêt maladie ; que la mesure n'avait pas pour but de le déstabiliser et n'est pas la cause de son état fragile tenant à des difficultés personnelles et familiales et ayant débuté bien avant le 13 juillet 2007 ; qu'il a été constamment en arrêt de travail à compter du 4 juin 2007 ; que la mise en oeuvre d'une procédure de licenciement pour faute grave se justifiait au vu des circonstances et était exempte de toute malice de la part de l'employeur ; que la société n'a pas continué la procédure disciplinaire en raison du temps écoulé et de la prolongation de l'arrêt maladie du salarié, son comportement ne relevant pas d'un acharnement de sorte que le salarié n'établit pas de faits constitutifs d'un harcèlement moral ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle retenait que la mise à pied conservatoire décidée par l'employeur et maintenue pendant plus de dix mois constituait une sanction injustifiée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le troisième moyen qui devient sans objet :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute le salarié de ses demandes au titre du harcèlement moral, nullité du licenciement et ses conséquences, remboursement de sommes payées à Pôle Emploi, l'arrêt rendu le 30 novembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne la société Joint Lyonnais techniques industrielles aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Joint Lyonnais techniques industrielles et la condamne à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mai deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Spinosi, avocat aux Conseils pour M. X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que M. X... n'a pas subi de faits harcèlement moral et de l'avoir en conséquence débouté de ses demandes en nullité du licenciement et en paiement de diverses sommes à ce titre ;
Aux motifs que «Francis X... formule à l'encontre de la SA JOINT LYONNAIS TECHNIQUES INDUSTRIELLES les griefs suivants :
- Critiques constantes de son travail,
- Relances excessives sur son départ à la retraite,
- Mauvaise volonté dans l'élaboration administrative de ses droits à indemnisation pendant son arrêt maladie,
- Mise à pied conservatoire injustifiée,
- Procédure de licenciement pour faute grave injustifiée et non suivi d'effet.
Le salarié entrait au service de son employeur le 26 octobre 1998 en tant que responsable de production avec le statut de cadre et un salaire brut mensuel de 16 750 francs ou 2 553,52 euros ;
Il lui incombait ainsi de diriger une équipe, ce à quoi il éprouvait des difficultés ;
Il était le 19 septembre 2005 avec son accord affecté à un poste de responsable technique ; au cours de l'année 2006, la direction s'apercevait de négligences dans la contrôle de machines et des déplacements insuffisants sur un site ;
La SA JOINT LYONNAIS TECHNIQUES INDUSTRIELLES était dans ces conditions bien fondées à adresser à Francis X... des rappels à l'ordre puis un avertissement, qui n'est pas contesté ;
Les critiques du travail du salarié ne constituent pas dans ces conditions des actes de harcèlement moral ;
Concernant de prétendues relances excessives sur le départ à la retraite, il est certain que Francis X... avait atteint l'âge de 59 ans le 12 novembre 2006, ce qui rendait la SA JOINT LYONNAIS TECHNIQUES INDUSTRIELLES justifiée à se soucier de son éventuel départ à la retraite, qu'elle pouvait décider à compter du 12 novembre 2007 ; ce comportement était exclusif d'un harcèlement moral ;
La prétendue mauvaise volonté de l'employeur dans l'élaboration administrative des droits du salarié à indemnisation pendant son arrêt maladie ne repose sur aucun élément, l'employeur ayant fait toutes les démarches nécessaires, alors que l'employé l'interpellait sur un ton vindicatif ;
La mise à pied conservatoire était certes injustifiée par sa durée de 10 mois et demi mais s'inscrivait dans un contexte tendu tenant au comportement du salarié pendant ses derniers mois de travail, celui-ci ayant négligé de se rendre sur site, de contrôler des machines et de tenir compte de rapports de sécurité alarmants de l'APAVE et d'en informer es supérieurs hiérarchiques ;
Francis X... adoptait un comportement agressif dès le début de son arrêt maladie ;
La mesure n'avait donc pas pour but de déstabiliser le salarié ; elle n'est pas davantage la cause de son état fragile, qui tenait à des difficultés personnelles et familiales et avait débuté bien avant le 13 juillet 2007 ;
Concernant la procédure de licenciement pour faute grave injustifiée et non suivie d'effet, il apparaît des pièces versées aux débats que Francis X... se trouvait constamment en arrêt de travail à compter du 4 juin 2007 ;
Après la découverte de faits de négligence de la part du salarié, la SA JOINT LYONNAIS TECHNIQUES INDUSTRIELLES le convoquait par une lettre recommandée avec avis de réception du 26 juin 2007 à un entretien préalable au licenciement fixé au 19 juillet 2007 ; la mise en oeuvre de cette procédure se justifiait au vu des circonstances et était exempte de toute malice de la part de l'employeur ;
Par lettre du 13 juillet 2007, le docteur Z..., médecin traitant de Francis X..., avisait la SA JOINT LYONNAIS TECHNIQUES INDUSTRIELLES de l'impossibilité médicale de son patient de déférer à la convocation du 19 suivant ;
Francis X... ne se rendait pas à cet entretien ;
Par lettre recommandée avec avis de réception du 2 août 2007, la SA JOINT LYONNAIS TECHNIQUES INDUSTRIELLES convoquait Francis X... à un nouvel entretien fixé au 3 septembre 2007 ;
Francis X... ne se rendait pas à ce second entretien ;
Par la suite la SA JOINT LYONNAIS TECHNIQUES INDUSTRIELLES ne continuait pas la procédure en raison du temps écoulé et de la prolongation de l'arrêt maladie du salarié ; son comportement ne relevait pas d'un acharnement ;
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que Francis X... n'établit pas des faits constitutifs d'un harcèlement moral ;
La décision des premiers juges doit être infirmée ;
Sur la nullité du licenciement et ses conséquences
La demande se fonde sur l'article L.1152-3 du code du travail selon lequel tout licenciement prononcé en méconnaissance de l'article L.1152-1 précité est nul ;
Comme vu précédemment ce grief n'est pas établi, ce qui rend la demande infondée ;
Par voie de conséquence Francis X... succombera en ses demandes de dommages et intérêts, de l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés y afférents ;
La décision des premiers juges doit être infirmée sur tous ces points» ;
Alors, d'une part, que le salarié qui se prétend victime d'un harcèlement moral de la part de son employeur doit seulement établir des faits qui permettent de présumer l'existence du harcèlement, l'employeur devant alors prouver, au vu de ces éléments, que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en retenant, en l'espèce, que le salarié n'établit pas des faits constitutifs d'un harcèlement moral pour le débouter de ses demandes à ce titre, la cour d'appel a fait peser sur le seul salarié la charge de la preuve du harcèlement moral, en violation de l'article L. 1154-1 du code du travail et de l'article 1315 du code civil, ensemble l'article L. 1152-1 du code du travail ;
Alors, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que le fait pour un employeur, après avoir décidé de changer un salarié d'affectation, de lui adresser plusieurs sanctions injustifiées, motivées par de prétendues négligences professionnelles, et de lui notifier une mise à pied conservatoire d'une durée de dix mois et demi, durant les périodes d'arrêt de travail pour cause de maladie, sans faire suivre cette mise à pied d'un licenciement disciplinaire, de sorte qu'elle constituait une sanction injustifiée, caractérisent des agissements de l'employeur permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; qu'en déboutant cependant le salarié de ses demandes au titre du harcèlement moral, pour n'avoir pas établi de faits constitutifs d'un tel harcèlement, la cour d'appel a violé l'article L. 1152-1 du code du travail.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. X... de sa demande en paiement des salaires et congés payés y afférents pour la période correspondant à la mise à pied injustifiée ;
Aux motifs que «la mise à pied conservatoire même non fondée ne privait pas Francis X... ni de son travail ni de rémunération, puisqu'il se trouvait en arrêt maladie ;
Il ne peut dès lors obtenir le paiement des salaires et congés payés afférents à la période» ;
Alors que l'employeur est de plein droit débiteur des salaires dus pendant la période de mise à pied annulée, la suspension du contrat de travail ayant sa cause, non dans la maladie du salarié, mais dans la décision de l'employeur rétroactivement anéantie ; qu'en déboutant le salarié de sa demande en paiement du salaire correspondant à la période de la mise à pied injustifiée, en se fondant sur la maladie du salarié, quand l'employeur était de plein tenu de verser ce salaire, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant en violation de l'article L. 1333-2 du code du travail.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir jugé que M. X... ne se prévaut pas de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement et de l'avoir débouté de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture du contrat de travail ;
Aux seuls motifs que «le salarié invoque la nullité du licenciement et non son absence d'une cause réelle et sérieuse» ;
Alors que dans ses conclusions d'appel (p. 25 à 27), soutenues oralement à l'audience, le salarié faisait subsidiairement valoir que, si le licenciement, consécutif à des faits de harcèlement moral, n'était pas jugé nul, il est en tout état de cause dépourvu de cause réelle et sérieuse dans la mesure où l'employeur ne lui a proposé aucun poste de reclassement et n'a justifié d'aucune impossibilité de reclassement ; qu'en relevant néanmoins que le salarié n'invoque pas l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, la cour d'appel a dénaturé ces conclusions et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
Alors, en tout état de cause, qu'en laissant sans réponse les conclusions du salarié qui faisait subsidiairement valoir que, si le licenciement consécutif à des faits de harcèlement moral n'était pas jugé nul, il est en tout état de cause dépourvu de cause réelle et sérieuse dans la mesure où l'employeur ne lui a proposé aucun poste de reclassement et n'a justifié d'aucune impossibilité de reclassement, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.