Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 19 mars 2013, 12-16.910, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par contrat du 30 septembre 1997, la société HFS, qui avait créé un réseau de commercialisation de produits de boulangerie-pâtisserie, a concédé à M. et Mme X..., à titre personnel, et en leur qualité de fondateurs de la société Franval, une sous-licence non exclusive de son savoir-faire et des droits d'exploitation de la marque "Le Pétrin Ribeirou" ; que la société Franval ayant décidé de quitter ce réseau en raison de l'ouverture de commerces concurrents appartenant à celui-ci, la société HFS a consenti à la résiliation du contrat pour le 16 avril 2006 ; que M. et Mme X..., et les autres associés membres de la famille X..., titulaires ensemble de 74 % des parts représentant le capital social, ont, lors d'une assemblée réunie le 11 mai 2006, décidé de modifier l'objet de la société Franval ; que la société SDPR, filiale de la société HFS, titulaire du solde du capital de la société Franval, s'est abstenue de participer à cette assemblée ; qu'elle a, ensuite, fait assigner la société Franval aux fins de prononcé de sa dissolution anticipée pour justes motifs et mis en cause M. et Mme X..., dont elle a demandé la condamnation au paiement de dommages-intérêts ; que la société HFS, son associé unique, a recueilli le patrimoine de la société SDPR, dissoute pendant le cours de la procédure ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société HFS fait grief à l'arrêt de dire que la société SDPR a commis un abus de minorité en refusant de participer à l'assemblée des associés de la société Franval du 11 mai 2006 alors, selon le moyen :

1°/ que l'abus de minorité ne peut être caractérisé lorsque l'attitude des associés auxquels il est imputé n'a pas été dictée dans l'unique dessein de favoriser leurs propres intérêts au détriment des autres associés et lorsqu'ils ont pu invoquer un motif sérieux permettant de légitimer leur décision ; qu'en retenant que l'obstruction de la société SDPR à la délibération relative au changement de l'objet social de la société Franval, nécessaire à la poursuite de l'activité, caractérisait un abus parce que la société HFS aurait été intéressée, en qualité de concurrente, à la disparition de la société Franval, sans tenir compte, ainsi qu'il lui était demandé, de la violation, par la société Franval, de l'obligation à laquelle elle restait tenue de ne pas utiliser le savoir-faire de la marque « Le Pétrin Ribeirou » et, partant, sans prendre en considération la volonté légitime de la société HFS de préserver ses intérêts et droits auxquels la société Franval portait atteinte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1844-7 du code civil ;

2°/ que dans ses dernières conclusions d'appel, déposées et signifiées le 10 août 2011, la société HFS faisait valoir que la dissolution de la société pouvait également être prononcée pour mésentente entre les associés ; qu'en se contentant de relever que la régularisation était encore possible pour l'avenir et de désigner un mandataire ad hoc, sans s'interroger sur la mésentente qui paralysait le fonctionnement de la société consécutivement à l'action en nullité du contrat de sous-licence engagée le 14 juin 2006 par les consorts X... et à la violation, par la société Franval, de son obligation de ne plus utiliser le savoir-faire de la marque « Le Pétrin Ribeirou », la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, qu'après avoir relevé que l'objet de la société Franval était limité à la mise en oeuvre du savoir-faire objet du contrat du 30 septembre 1997 et que la société HFS avait accepté la résiliation de ce contrat et la levée de la clause de non-concurrence qu'il comportait dans une mesure qui permettait l'exercice par la société Franval d'une activité concurrençant celle des enseignes "Pétrin Ribeirou", de sorte que la modification de son objet était nécessaire à la survie de la société Franval, l'arrêt constate que la société SDPR a privilégié, par son attitude ayant fait obstacle à l'adoption de cette modification à la majorité des trois quarts des parts sociales requise en pareil cas, non son intérêt d'associée mais celui de la société HFS, intéressée en tant que concurrente à la disparition de la société Franval, et, par "esprit de lucre égoïste, une liquidation dont elle espérait retirer une très substantielle plus value" ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à faire d'autre recherche, a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, d'autre part, qu'ayant sursis à statuer sur la demande de la société HFS tendant à la dissolution anticipée de la société Franval, la cour d'appel n'avait pas à répondre à des conclusions présentées au soutien de cette demande ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le premier moyen, qui est recevable :

Vu l'article L. 235-13 du code de commerce ;

Attendu que, selon ce texte, l'action en responsabilité fondée sur l'annulation des actes et délibérations postérieurs à la constitution de la société se prescrit par trois ans à compter du jour où la décision d'annulation est passée en force de chose jugée ;

Attendu que pour déclarer la société HFS irrecevable en ses demandes dirigées contre M. et Mme X..., l'arrêt retient qu'il résulte de l'argumentation développée par la société HFS que la responsabilité des époux X... est recherchée en conséquence de l'adoption irrégulière, le 11 mai 2006, de la résolution de l'assemblée générale extraordinaire de la société Franval qui a modifié les statuts de cette dernière ; qu'il ajoute qu'à juste titre, l'assignation étant intervenue plus de trois ans après cette date, les époux X... se prévalent de la prescription triennale de l'article L. 235-13 du code de commerce ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le point de départ du délai de la prescription qu'elle a déclaré acquise n'était pas constitué par une décision d'annulation d'une délibération postérieure à la constitution de la société Franval, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré prescrite et en conséquence irrecevable l'action dirigée contre M. et Mme X..., l'arrêt rendu le 26 janvier 2012, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne M. et Mme X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mars deux mille treize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société HFS

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré prescrite et, en conséquence, irrecevable l'action en responsabilité dirigée contre les époux X... ;

AUX MOTIFS QUE « les époux X... déduisent l'irrecevabilité des demandes dirigées à leur encontre en appel de la nullité de l'assignation du 3 juin 2010 ; que, l'exception étant irrecevable, les demandes présentées en appel ne sont pas nouvelles de sorte que l'article 564 du code de procédure civile est sans application ; qu'ils soutiennent en vain, en sus, que les demandes dont ils font l'objet ne tendent pas aux mêmes fins que celles dirigées contre la société FRANVAL, alors qu'ils n'ont pas contesté le principe de leur mise en cause en première instance, que la règle de l'article 565 du même code qu'ils invoquent ne s'applique qu'aux demandes dirigées contre une même partie respectivement en première instance et en appel, et qu'un lien suffisant au sens de l'article 325 seul applicable unit les demandes dirigées solidairement contre l'ensemble des défendeurs ; qu'il résulte de l'argumentation développée par la société HFS que la responsabilité des époux X... est recherchée en conséquence de l'adoption irrégulière, le 16 mai 2006, de la résolution de l'assemblée générale extraordinaire de la société FRANVAL qui a modifié les statuts de cette dernière; qu'à juste titre, l'assignation étant intervenue plus de trois ans après cette date, les époux X... se prévalent dans ces conditions de la prescription triennale de l'article L 235-13 du code de commerce » ;

ALORS QUE l'action en responsabilité fondée sur l'annulation de la société ou des actes et délibérations postérieurs à sa constitution, dirigée contre les dirigeants ou associés majoritaires, se prescrit par trois ans à compter du jour de la décision d'annulation, lorsqu'elle est passée en force de chose jugée et non à compter du jour où la nullité est encourue ; qu'en décidant que les époux X... s'étaient à juste titre prévalus de la prescription triennale de l'article L. 235-13 du Code de commerce, pour déclarer prescrite l'action en responsabilité dirigée contre eux par la société HFS, cependant qu'aucune décision prononçant la nullité de la décision n'avait fait courir le délai de prescription avant le prononcé de l'arrêt attaqué, la Cour d'appel a violé le texte susvisé.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit qu'en refusant « de mauvaise foi » de participer à l'assemblée générale extraordinaire du 11 mai 2006 ayant modifié l'objet social « dans le but exclusif de rendre impossible le fonctionnement de la société Franval et d'éliminer un concurrent du réseau de franchise de la société HFS, la société SDPR s'est rendue coupable d'un abus de minorité » ;

AUX MOTIFS QUE « de la manière la plus claire, dans son courrier du 7 octobre 2005, la société HFS a accepté la résiliation du contrat de sous licence de marque et exigé l'arrêt de la fabrication des produits RIBEIROU, le dépôt de l'enseigne et la modification du concept commercial de la société FRANVAL afin que soit évitée la confusion dans l'esprit de la clientèle entre les magasins franchisés et la nouvelle exploitation ; que sous réserve d'une concurrence loyale elle a levé l'interdiction de l'article 7.1.1.8 al 1 du contrat d'exploiter une marque voisine ou identique et d'exercer toute activité se rapportant aux métiers traditionnels de la boulangerie pâtisserie viennoiserie pendant trois ans à compter de la cessation du contrat; qu'elle a maintenu en revanche l'obligation de faire respecter cette interdiction par les proches et les employés et, pendant trois ans après la cessation du contrat, celle de s'affilier à un réseau concurrent, d'utiliser une marque approchante et de s'intéresser à l'exploitation d'une activité concurrençant celle développée par l'exploitation du savoir-faire et de la marque PÉTRIN RIBEIROU ; que cette dernière interdiction, encore qu'elle n'ait pas été levée de manière expresse, est à l'évidence devenue caduque en conséquence de la levée de celle se rapportant aux métiers traditionnels de la boulangerie pâtisserie dont l'objet est le même ; qu'autorisée dès cette date à exercer une activité concurrente, la société FRANVAL a légitimement soumis à l'approbation de l'assemblée générale la modification de son objet jusque-là limité à la mise en oeuvre du savoir-faire PETRIN RIBEIROU ; que conformément aux statuts et aux dispositions de l'article L. 223-30 du code de commerce cette modification ne pouvait intervenir qu'à la majorité des trois quarts en assemblée générale extraordinaire, la majorité simple sur deuxième convocation n'étant prévue que pour les assemblées générales ordinaires; que ces dispositions statutaires, transposition de celles de la loi, ne sont pas léonines en soi et pas davantage au regard de l'article 1844-1 du code civil qui ne vise que l'accaparement total du profit par un seul associé ou la totale exonération des pertes de ce dernier ; qu'aucune nullité ne découle directement de la limitation librement consentie de l'objet à l'exploitation du savoir-faire PÉTRIN RIBEIROU et de la détention d'une minorité de blocage par la société SDPR, seul l'usage que cette société a fait du droit de blocage après la levée de la clause de non-concurrence étant en cause ; qu'est invoquée en vain par les intimés la violation du principe de l'estoppel en ce que la société HFS se serait contredite en acceptant dans un premier temps la sortie du réseau pour ensuite réclamer la dissolution, ce principe ne s'appliquant qu'à la procédure et la position des sociétés HFS et SDPR n'ayant pas varié depuis l'introduction de l'instance ; que la modification litigieuse a été adoptée sur deuxième convocation à la majorité de 74 %, la société SDPR, titulaire des 26 % restants, n'ayant pas comparu malgré des convocations régulières ; que la société SDPR ne saurait reprocher un abus de majorité aux époux X... alors que la majorité requise n'a pas été atteinte et que, les statuts et l'article L. 223-30 du code de commerce dans sa version applicable ne prévoyant pas une majorité inférieure sur deuxième convocation, la délibération était simplement irrégulière; que l'abus dénoncé n'est en toute hypothèse pas caractérisé, l'acceptation de la résiliation du contrat de sous licence par la société HFS et la levée de la clause de non-concurrence dans une mesure qui permettait l'exercice d'une activité concurrençant celle des enseignes PÉTRIN RIBEIROU ayant rendu nécessaire la modification de l'objet social pour la survie de la société FRANVAL; qu'est en revanche caractérisé un abus de minorité manifeste, la société SDPR ayant privilégié par son obstruction, non son intérêt d'associée de la société FRANVAL, mais d'abord, par intention de nuire, celui de filiale de la société HFS intéressée en sa qualité de concurrente à la disparition de la première nommée, ensuite, par esprit de lucre égoïste, une liquidation dont, comme révélé par le chiffrage qu'elle fait de son dommage, elle espérait retirer une très substantielle plus-value ; que le juge n'a pas le pouvoir, à titre de sanction de l'abus de minorité, d'imposer la décision refusée par l'associé minoritaire ; que contrairement à ce que soutiennent les intimés, aucune autorité n'est attachée à cet égard à un arrêt du 19 mars 2009 qui a statué sur des demandes d'annulation du contrat de sous licence, de dommages-intérêts et de vente des parts sociales détenues par la société SDPR, cette décision s'étant contentée de déclarer la société FRANVAL recevable à agir mais ne comportant dans son dispositif, tout comme le jugement attaqué, aucun chef déclarant valable la délibération du 11 mai 2006 et la modification de l'objet social ; que la résistance abusive d'un associé minoritaire animé de l'intention de nuire ne peut être surmontée que par la désignation d'un mandataire ad hoc chargé d'exercer le droit de vote à sa place dans l'intérêt de la société ; que, la régularisation paraissant encore possible au moins pour l'avenir moyennant application de la solution adéquate, il convient d'inviter la société FRANVAL à la mettre en oeuvre et de soumettre la modification de l'objet social dans un délai déterminé à une nouvelle assemblée générale extraordinaire à laquelle sera convoqué un mandataire à faire désigner d'urgence en référé par le président du tribunal de commerce territorialement compétent; qu'il sera, en attendant, sursis sur les demandes de la société HFS » ;

1°) ALORS QUE l'abus de minorité ne peut être caractérisé lorsque l'attitude des associés auxquels il est imputé n'a pas été dictée dans l'unique dessein de favoriser leurs propres intérêts au détriment des autres associés et lorsqu'ils ont pu invoquer un motif sérieux permettant de légitimer leur décision ; qu'en retenant que l'obstruction de la société SDPR à la délibération relative au changement de l'objet social de la société Franval, nécessaire à la poursuite de l'activité, caractérisait un abus parce que la société HFS aurait été intéressée, en qualité de concurrente, à la disparition de la société Franval, sans tenir compte, ainsi qu'il lui était demandé, de la violation, par la société Franval, de l'obligation à laquelle elle restait tenue de ne pas utiliser le savoir-faire de la marque « Le Pétrin Ribeirou » et, partant, sans prendre en considération la volonté légitime de la société HFS de préserver ses intérêts et droits auxquels la société Franval portait atteinte, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1844-7 du Code civil ;

2°) ALORS QUE dans ses dernières conclusions d'appel, déposées et signifiées le 10 août 2011, la société HFS faisait valoir que la dissolution de la société pouvait également être prononcée pour mésentente entre les associés (p.18) ; qu'en se contentant de relever que la régularisation était encore possible pour l'avenir et de désigner un mandataire ad hoc, sans s'interroger sur la mésentente qui paralysait le fonctionnement de la société consécutivement à l'action en nullité du contrat de sous-licence engagée le 14 juin 2006 par les consorts X... et à la violation, par la société Franval, de son obligation de ne plus utiliser le savoir-faire de la marque « Le Pétrin Ribeirou », la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.

ECLI:FR:CCASS:2013:CO00276
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