Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 19 février 2013, 12-11.546 12-20.935, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Joint les pourvois n° Y 12-11.546 et D 12-20.935, formés par la SCI Freelunch, qui attaquent le même arrêt ;

Sur la recevabilité du pourvoi n° Y 12-11.546, examinée d'office après avertissement délivré aux parties :

Vu les articles 474, alinéa 2, 536, alinéa 1, et 613 du code de procédure civile ;

Attendu qu'il résulte du premier de ces textes que lorsque la décision n'est pas susceptible d'appel et que l'une au moins des parties qui n'a pas comparu n'a pas été citée à personne, le jugement est rendu par défaut ; qu'il résulte du deuxième de ces textes que la qualification inexacte d'un jugement par les juges qui l'ont rendu est sans effet sur le droit d'exercer un recours, et du dernier de ces textes que le délai de pourvoi en cassation ne court, à l'égard des décisions par défaut, même pour les parties qui ont comparu devant les juges du fond, qu'à compter du jour où l'opposition n'est plus recevable ;

Attendu que l'arrêt contre lequel la SCI Freelunch (la SCI) s'est pourvue en cassation le 9 janvier 2012 mentionne que la SARL Freelunch (la SARL) a été assignée selon procès-verbal de recherches infructueuses et n'a pas constitué avoué ; qu'il n'est pas justifié de la signification de cette décision, improprement qualifiée de contradictoire, à la SARL ;

D'où il suit que le pourvoi formé avant l'expiration du délai d'opposition, est irrecevable ;

Sur la recevabilité du pourvoi n° D 12-20.935, contestée par la défense :

Vu l'article 613 du code de procédure civile ;

Attendu que M. X... en sa qualité de liquidateur de la SARL soutient que le pourvoi est irrecevable, en ce qu'il a été formé plus de deux mois après la notification à la SCI de l'arrêt par le greffe ;

Attendu qu'il résulte du texte susvisé que le délai de pourvoi en cassation ne court à l'égard des décisions rendues par défaut, même pour les parties qui ont comparu devant les juges du fond, qu'à compter du jour où l'opposition n'est plus recevable ;

Attendu, en premier lieu, que l'accusé de réception de la notification de l'arrêt à la SARL, défaillante, mentionne que le pli n'a pu être distribué; qu'il en résulte que la notification restée sans effet n'a pu faire courir le délai d'opposition et donc le délai de pourvoi en cassation ;

Et attendu, en second lieu, que l'arrêt ayant été signifié à la partie défaillante le 13 avril 2012, le pourvoi formé par la SCI le 13 juin 2012, l'a été dans les délais ;

D'où il suit que le pourvoi est recevable ;

Sur le fond :

Sur le moyen unique du pourvoi, pris en sa seconde branche :

Attendu que le moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Mais sur le moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 621-2, alinéa 2, du code de commerce dans sa rédaction résultant de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la SARL, qui exploitait un fonds de commerce dans des locaux loués à la SCI, a été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 19 décembre 2008 et 29 septembre 2009, M. X... étant nommé mandataire judiciaire puis liquidateur ; que ce dernier a assigné la SARL et la SCI, pour obtenir sur le fondement de la confusion de patrimoines, l'extension à la seconde de la procédure collective ouverte contre la première ;

Attendu que pour ordonner l'extension à la SCI de la procédure collective ouverte contre la SARL, l'arrêt relève que la SCI, en négligeant de réclamer le paiement des loyers convenus, a permis à la SARL de bénéficier indûment et sans contrepartie de son seul actif et d'investir ainsi dans des travaux d'équipement et d'aménagement des locaux commerciaux destinés à devenir en septembre 2010 la propriété personnelle de M. Alain Y..., gérant des deux sociétés ; qu'il en déduit que cette abstention durable de réclamer les loyers et charges dus a eu pour effet et pour objet d'éviter la survenance plus précoce de l'état de cessation des paiements de la SARL, dont le capital social de 8 000 euros HT et la trésorerie courante ne permettaient manifestement pas de financer de tels investissements destinés à bénéficier à son seul gérant et associé unique, via le rachat déjà convenu depuis le 11 juin 2006 de l'immeuble loué à la SCI, ceci avant même l'acquisition de l'immeuble, le 1er septembre 2006 et la création de la SARL, le 5 février 2007, moyennant une plus-value de 84 000 euros ainsi promise aux associés de la SCI pour obtenir leur accord ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, dès lors que la seule constatation du défaut de paiement des loyers permettant la prise en charge par la locataire de travaux d'aménagement du local loué nécessaires à son exploitation, si elle révélait la poursuite d'un intérêt commun, n'était pas de nature à établir l'imbrication des éléments d'actif et de passif composant les patrimoines des deux personnes morales, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi n° Y 12-11.546 ;

Et sur le pourvoi n° D 12-20.935 :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré l'appel recevable, l'arrêt rendu le 19 mai 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes, autrement composée ;

Condamne M. X..., ès qualités, aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf février deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi n° D 12-20.935 par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Freelunch.

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt d'avoir ordonné l'extension à la SCI Freelunch de la procédure collective ouverte contre la SARL Freelunch par le jugement du tribunal de commerce de Nîmes en date du 19 novembre 2008, convertie en liquidation judiciaire par jugement de ce même tribunal en date du 29 septembre 2009 ;

AUX MOTIFS que en application des dispositions de l'article L.621-2 du Code de commerce, dans sa version issue de la loi du 26 juillet 2005 applicable en l'espèce, le mandataire judiciaire liquidateur à la liquidation judiciaire d'une société, peut demander l'extension de la procédure collective à une autre personne, en cas de confusion de son patrimoine avec celui du débiteur ; qu'il ressort de cette demande dirigée par Maître Pierre X..., mandataire judiciaire liquidateur à la liquidation judiciaire de l'EURL Freelunch, envers la SCI Freelunch, et des pièces versées aux débats que : - la SARL Freelunch, société à associé unique, son gérant M. Y..., exploitant un fonds de commerce de restauration, Mas des Abeilles, route de Saint-Gilles, km 2 à Nîmes depuis le 1er mars 2007, dans des locaux loués à la SCI Freelunch, - l'EURL Freelunch a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Nîmes en date du 19 décembre 2008, fixant provisoirement la date de cessation des paiements au 1er août 2008, puis en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Nîmes en date du 29 septembre 2009, - le bail commercial des locaux utilisés par l'EURL Freelunch a été conclu le 5 février 2007 entre la SCI Freelunch, dans laquelle M. Alain Y... était associé à hauteur de 3 des 8 parts sociales d'une valeur de 27.000 euros chacune et premier gérant, et lui-même, agissant également en qualité de représentant de la société alors en formation Freelunch, prévoyant un loyer annuel de 18.000 euros hors taxes et charges, - ce loyer n'a jamais été payé jusqu'au jour du jugement d'ouverture du redressement judiciaire, sans que le bailleur ne sollicite la mise en oeuvre de la clause résolutoire du bail prévue en ce cas, ni le paiement des pénalités de retard de 10% du montant impayé, également prévues contractuellement, - le preneur de ces locaux commerciaux, s'engageait également à rembourser au bailleur tous les impôts fonciers et taxes afférents à l'immeuble, ainsi qu'à assumer le coût de tous les gros travaux, demeurant en principe à la charge du propriétaire de l'immeuble et était d'ores et déjà autorisé à effectuer des travaux supplémentaires d'aménagement de l'immeuble donné à bail (article 6 du bail), - dans ses statuts sociaux en date du 11 juin 2006, la SCI Freelunch ne prévoyait sa durée que pour 4 années, nonobstant la signature ultérieure d'un bail commercial de 9 ans des locaux, dont elle était propriétaire, et enregistrait la promesse d'achat de son premier gérant, M. Alain Y... de lui racheter le seul immeuble constituant son actif avant la date d'expiration de la société , soit avant le 7 septembre 2010, au prix de 300.000 euros, acceptée par avance par les autres associés, alors que l'immeuble avait été acquis par la société le 1er septembre 2006, au prix de 200.000 euros payé comptant, plus les frais, allégués pour 16.000 euros, - en 2007, l'EURL Freelunch a investi, selon sa comptabilité produite, une somme de 65.796 euros au titre de l'aménagement du local commercial et des installations techniques, puis souscrit un crédit-bail pour des fours et des tables auprès de la société Sogelease France, dont la créance a été déclarée au passif de son redressement judiciaire à la hauteur de la somme de 88.131,54 euros ; que la SCI Freelunch en négligeant durablement et systématiquement de réclamer le paiement des loyers convenus, a permis à la SARL Freelunch de bénéficier indûment et sans contrepartie de son seul actif, à concurrence d'une somme de plus de 33.000 euros HT, outre les charges, durant les 22 mois précédant sa mise en redressement judiciaire ; que ceci lui a ainsi permis d'investir dans des travaux d'équipement et d'aménagement des locaux commerciaux destinés à devenir en septembre 2010 la propriété personnelle de M. Alain Y..., gérant des deux sociétés, respectivement bailleur et preneur de ces locaux ; que cette abstention durable de réclamer les loyers et charges dus a eu pour effet et pour objet d'éviter la survenance plus précoce de l'état de cessation des paiements de l'EURL Freelunch, dont le capital social de 8.000 euros HT et la trésorerie courante ne permettaient manifestement pas de financer de tels investissements ; qu'en outre ces investissements étaient destinés, en fin de compte, à bénéficier à son seul gérant et associé unique, via le rachat déjà convenu depuis le 11 juin 2006 à l'article 24 des statuts de la société civile immobilière, de l'immeuble loué à la SCI Freelunch, ceci avant même l'acquisition de l'immeuble, le 1er septembre 2006 et la création de la SARL Freelunch, le 5 février 2007, moyennant une plus-value de 84.000 euros ainsi promise aux associés de la SCI Freelunch pour obtenir leur accord ; que cette opération comporte donc des relations financières anormales entre la SCI Freelunch et la SARL Freelunch, caractérisant une confusion du patrimoine de la SCI Freelunch avec celui du débiteur en liquidation judiciaire, la SARL Freelunch ; qu'en effet le fait, allégué, que le débiteur en liquidation judiciaire ne se soit pas appauvri du fait des relations financières anormales avec la SCI Freelunch, n'est pas une condition requise pour retenir la confusion des patrimoines entre les sociétés, laquelle se trouve caractérisée dès lors que l'une d'entre elle utilise l'actif de l'autre sans contrepartie, de façon systématique et anormale ; qu'en outre cet enrichissement artificiel et momentané de la SARL Freelunch n'avait pas d'autre fin que de lui permettre d'investie de façon plus importante que ces moyens financiers ne le lui permettaient, dans l'intérêt non pas de la société elle-même ni de son bailleur, mais d'un tiers, le gérant de ces deux sociétés personnellement ; qu'il convient donc, infirmant le jugement déféré, d'ordonner l'extension de la procédure collective concernant la SARL Freelunch à la SCI Freelunch ;

1°) ALORS QUE seule l'impossibilité de démêler les liens unissant deux sociétés et de distinguer leurs patrimoines peut justifier l'extension à l'une d'une procédure collective ouverte à l'encontre de l'autre ; que la Cour d'appel a déduit la confusion des patrimoines de la SCI Freelunch et de la SARL Freelunch et, partant, la nécessité d'étendre à la première la procédure ouverte à l'encontre de la seconde, du fait que, selon elle, l'abstention durable de réclamer les loyers et charges a permis à la SARL Freelunch de bénéficier indûment et sans contrepartie du seul actif de la SCI Freelunch à concurrence de 33.000 euros, ce qui a eu pour objet et pour effet d'éviter la survenance plus précoce de l'état de cessation des paiements et de permettre des investissements que le capital social et la trésorerie courante ne permettaient pas de financer, que ces investissements étaient par ailleurs destinés à ne profiter ni à la SARL, ni à la SCI, mais personnellement à Monsieur Y..., gérant des deux sociétés ; qu'en retenant ces éléments insuffisants à caractériser l'impossibilité de distinguer les patrimoines de la SARL et de la SCI pour justifier sa décision d'étendre la procédure de liquidation à la SCI Freelunch, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2 du Code de commerce ;

2°) ALORS QUE la SCI Freelunch a fait valoir dans ses conclusions (p.7) que les investissements entrepris par la SARL Freelunch ont été totalement financés par Monsieur Y... par apport en compte courant d'associé, attesté à hauteur de 99. 189 euros par le bilan de 2007 produit aux débats, ce dont il découlait qu'il ne pouvait y avoir de confusion de patrimoines entre la SARL et la SCI, les fonds utilisés par la SARL Freelunch étant sans lien avec la SCI Freelunch; qu'en ne répondant pas à ces conclusions, la Cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du Code de procédure civile.

ECLI:FR:CCASS:2013:CO00170
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