Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 12 décembre 2012, 12-13.522, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 8 décembre 2011), que M. X... a été engagé à compter du 4 juillet 2005 par la société ID construction (la société) en qualité d'ingénieur technico-commercial ; que le contrat de travail prévoyait que le salarié serait amené à effectuer des déplacements professionnels et que pour l'exécution de son activité professionnelle ainsi que pour ses besoins personnels, une voiture de service serait mise à sa disposition ; que le 16 décembre 2008, M. X... a informé son employeur de l'annulation de son permis de conduire à la suite de la perte totale de ses points et du fait qu'il restituerait son permis de conduire à la préfecture, le 17 décembre 2008, pour une durée de six mois ; que M. X... a été licencié le 20 janvier 2009, la société indiquant ne pouvoir continuer à employer un ingénieur technico-commercial qui ne pouvait plus se déplacer chez ses clients ni venir de son domicile en Indre-et-Loire au siège social de la société en Loir-et-Cher ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de la rupture de son contrat de travail ; que saisi à la requête de M. X..., le tribunal administratif a, par jugement du 10 décembre 2009, annulé des décisions de retrait de points et la décision du 24 novembre 2008 en tant qu'elle l'informait du solde nul de son nombre de points et de la perte de validité de son permis de conduire ; que la société a été mise en redressement judiciaire le 27 janvier 2012 ;

Attendu que la société et ses mandataires de justice font grief à l'arrêt de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'accueillir les demandes du salarié, alors, selon le moyen :

1°/ que les articles L. 1232-1 et L. 1235-1, alinéa 1er, du code du travail, tels qu'ils sont interprétés par la Cour de cassation, sont contraires à la liberté d'entreprendre garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en ce qu'ils impliquent qu'un licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et donne dès lors lieu à indemnisation du salarié lorsque l'existence d'une cause réelle et sérieuse du licenciement qui, au moment où la décision de licencier a été prise, résultait de la perte de validité du permis de conduire du salarié en vertu d'une décision de l'administration, est rétroactivement remise en cause par son annulation, faisant ainsi peser sur l'employeur les conséquences de l'illégalité entachant ladite décision ; qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, l'arrêt attaqué, qui a dit le licenciement de M. X... dépourvu de cause réelle et sérieuse du fait du jugement du tribunal administratif ayant annulé l'acte l'informant de la perte de validité de son permis de conduire, décision dont l'effet rétroactif a conféré à M. X... un droit définitivement acquis à être réputé n'avoir jamais eu son permis de conduire annulé, se trouvera privé de base légale au regard de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

2°/ qu'en toute hypothèse, une décision administrative est exécutoire ; qu'en jugeant que la rétroactivité de l'annulation, par la juridiction administrative, de la décision emportant pour M. X... perte de validité de son permis de conduire, parce qu'elle lui conférait un droit définitivement acquis à être réputé n'avoir jamais eu son permis de conduire annulé, privait le licenciement prononcé de cause réelle et sérieuse, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée, si, au moment où le licenciement avait été prononcé et par-delà la fiction juridique du maintien du permis de conduire du salarié, le caractère exécutoire de la décision emportant perte de validité du permis de conduire de M. X... n'était pas constitutif d'une impossibilité pratique pour la société ID construction de faire conduire son salarié, dans la période séparant la décision de perte de validité de son annulation, et ne justifiait pas le licenciement prononcé compte tenu du caractère non suspensif du recours exercé devant la juridiction administrative, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1235-1 du code du travail, ensemble la règle fondamentale du droit public prévoyant le caractère exécutoire des décisions administratives ;

Mais attendu, d'abord, que la question prioritaire de constitutionnalité n'ayant pas été transmise, la première branche du moyen est sans objet ;

Attendu, ensuite, qu'en vertu du principe de séparation des pouvoirs garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la règle selon laquelle l'annulation d'une décision administrative a un effet rétroactif ne peut être remise en cause par le juge judiciaire ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les demandeurs aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à M. X... la somme de 2 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la société ID construction et MM. Y... et Z..., ès qualités.

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de Monsieur X... ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse, d'AVOIR en conséquence condamné la société ID CONSTRUCTION à lui payer les sommes de 14.550 € (préavis), 1.455 € (congés payés afférents), 41,09 € (complément d'indemnité de licenciement), 29.100 € (dommages-intérêts pour licenciement infondé) et 200 € (dommages-intérêts pour résiliation anticipée de la mutuelle) et d'AVOIR ordonné le remboursement par la société ID CONSTRUCTION des indemnités de chômage payées à Monsieur Daniel X... du jour de la rupture, dans la limite d'un mois d'indemnité ;

AUX MOTIFS QUE « Monsieur X... est licencié le 20 janvier 2009 ; que la longueur de la lettre de rupture ne permet pas de la reprendre intégralement ; qu'en résumé : - il fait savoir le 16 décembre 2008 que son permis est annulé pour 6 mois, et davantage puisqu'il devra le repasser, - son permis lui est indispensable pour l'exercice de ses fonctions et aucune solution ne permet la poursuite de celles-ci, - il est dans l'impossibilité d'exécuter son contrat de travail, et l'employeur prend l'initiative de le rompre, - son préavis ne lui est pas payé car il ne peut l'effectuer ; qu'il fait une procédure devant le Tribunal Administratif d'ORLÉANS qui, par jugement du 10 décembre 2009, décide que : - 3 décisions de retrait de points et celle du Ministre de l'Intérieur du 24 novembre 2008 l'informant du solde nul de son nombre de points et de la perte de validité de son permis de conduire sont annulées, - il est enjoint audit Ministre, dans les 2 mois de la notification, de lui restituer 4 points, de fixer son nombre de points et de mettre un terme à la procédure d'annulation de son permis de conduire, sous réserve de l'absence d'infraction entre le 7 mars 2008 et la notification du jugement ; que cette décision est définitive ; qu'eu égard à l'effet rétroactif que comporte une décision de l'autorité administrative rapportant un acte antérieur, ou une décision de la juridiction administrative annulant un tel acte, le jugement du Tribunal Administratif a conféré à Monsieur X... un droit définitivement acquis à être réputé n'avoir jamais eu son permis de conduire annulé ; qu'ainsi, en se plaçant à la date du licenciement, celui-ci ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse, l'annulation de son permis, et en conséquence l'impossibilité de conduire étant réputées n'avoir jamais existé » ;

1) ALORS QUE les articles L. 1232-1 et L. 1235-1, alinéa 1er du Code du travail tels qu'ils sont interprétés par la Cour de cassation sont contraires à la liberté d'entreprendre garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen en ce qu'ils impliquent qu'un licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et donne dès lors lieu à indemnisation du salarié lorsque l'existence d'une cause réelle et sérieuse du licenciement qui, au moment où la décision de licencier a été prise, résultait de la perte de validité du permis de conduire du salarié en vertu d'une décision de l'administration, est rétroactivement remise en cause par son annulation, faisant ainsi peser sur l'employeur les conséquences de l'illégalité entachant ladite décision ; qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, l'arrêt attaqué, qui a dit le licenciement de Monsieur X... dépourvu de cause réelle et sérieuse du fait du jugement du Tribunal administratif ayant annulé l'acte l'informant de la perte de validité de son permis de conduire, décision dont l'effet rétroactif a conféré à Monsieur X... un droit définitivement acquis à être réputé n'avoir jamais eu son permis de conduire annulé, se trouvera privé de base légale au regard de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ;

2) ALORS QU'en toute hypothèse, une décision administrative est exécutoire ; qu'en jugeant que la rétroactivité de l'annulation, par la juridiction administrative, de la décision emportant pour Monsieur X... perte de validité de son permis de conduire, parce qu'elle lui conférait un droit définitivement acquis à être réputé n'avoir jamais eu son permis de conduire annulé, privait le licenciement prononcé de cause réelle et sérieuse, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée, si, au moment où le licenciement avait été prononcé et par-delà la fiction juridique du maintien du permis de conduire du salarié, le caractère exécutoire de la décision emportant perte de validité du permis de conduire de Monsieur X... n'était pas constitutif d'une impossibilité pratique pour la société ID CONSTRUCTION de faire conduire son salarié, dans la période séparant la décision de perte de validité de son annulation, et ne justifiait pas le licenciement prononcé compte tenu du caractère non suspensif du recours exercé devant la juridiction administrative, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1235-1 du Code du travail ensemble la règle fondamentale du droit public prévoyant le caractère exécutoire des décisions administratives.

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