Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 23 octobre 2012, 12-80.414, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- La société Arch'ad,
- La société Habitat dauphinois,

contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 10 octobre 2011, qui, pour infractions relatives à la protection de la flore, les a condamnées, chacune, à 3 000 euros d'amende avec sursis ;

Joigant les pourvois en raison de la connexité ;

I - Sur le pourvoi de la société Habitat dauphinois :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;

II - Sur le pourvoi de la société Arch'ad :

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-3 du code pénal, L. 411-1, L. 415-3, R. 411-1, R. 411-3 du code de l'environnement, 591, 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la SARL Arch'ad coupable de destruction d'une espèce protégée ;

"aux motifs que l'article L. 411-1 du code de l'environnement dispose qu'il est interdit de détruire, mutiler, arracher, enlever des végétaux non cultivés qui sont protégés et qu'il est interdit de détruire, d'altérer ou de dégrader le milieu particulier à ces espèces végétales ; qu'aux termes de l'article L. 411-2 du même code, les espèces protégées sont fixées selon les modalités prévues par un décret en Conseil d'Etat, codifié sous les articles R. 411-1 et suivants du code de l'environnement ; que l'article R. 411-1 précise que les listes des espèces animales non domestiques et des espèces végétales non cultivées faisant l'objet des interdictions définies par les articles L. 411-1 et L. 411-3 sont établies par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et soit du ministre chargé de l'agriculture, soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes ; que la liste des espèces végétales protégées est fixée par l'arrêté interministériel du 20 janvier 1982 modifié par un arrêté du 31 août 1995 ; que l'espèce "tulipa sylvestris L" figurait en tant qu'espèce protégée dans la version initiale de l'annexe I de l'arrêté du 20 janvier 1982 ; que l'arrêté modificatif du 31 août 1995 a maintenu dans l'annexe I uniquement une sous-espèce de "tulipa sylvestris" à savoir "tulipa sylvestris L. ssp. sylvestris" ; qu'au courrier adressé le 20 juillet 2006 par la direction régionale de l'environnement à la société Habitat dauphinois, dont la réception n'est pas contestée, était notamment joint un rapport de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) du 4 mai 2006 mentionnant précisément la présence d'une station de cette sous-espèce protégée de tulipes sauvages dans la pâture qui devait constituer le terrain d'emprise du lotissement projeté par la société Habitat dauphinois et faisant référence à une recherche effectuée le 23 avril 2006 sur le site considéré qui avait permis d'y recenser 3 329 pieds de tulipes en fleur ; qu'il est ainsi établi que la variété de tulipes sauvages présente à l'état naturel dans l'emprise du lotissement était la sous-espèce inscrite à l'annexe I de l'arrêté interministériel du 20 janvier 1982 modifié par l'arrêté du 31 août 1995, à savoir « tulipa sylvestris L ssp. sylvestris » et que la société Habitat dauphinois en avait été informée avant le commencement des travaux ; que l'usage d'un nom d'espèce n'est pas exclusive de la désignation d'une sous-espèce et la dénomination d'espèce employée dans les convocations en justice et le procès-verbal de constat d'infractions du 9 février 2007, fait nécessairement référence à la variété protégée de l'espèce considérée, présente sur le site ; que contrairement à l'appréciation des premiers juges, l'élément légal de chacune des infractions se trouve bien constitué ; que sur la matérialité des infractions, le procès-verbal de constat du 9 février 2007 décrit la dégradation par les terrassements et le passage des engins de chantier du terrain précédemment à usage de pâture constituant le milieu naturel des tulipes sauvages, un stockage sans précaution des terres contenant des bulbes de tulipes et la destruction de bulbes découverts sous l'effet du gel ; que M. X..., représentant de la SARL d'architecture Arch'ad, en sa qualité de gérant, alors qu'il était investi d'une mission de maîtrise d'oeuvre comprenant la conception et la direction des ouvrages de construction du lotissement incluant les terrassements d'implantation, reconnaît avoir été informé de la présence d'une station de tulipes sauvages protégées dans la zone à construire ; qu'il a négligé de s'assurer de l'obtention préalable par le maître de l'ouvrage d'une autorisation préfectorale de destruction ou d'enlèvement ; qu'il a été informé de dispositions prises dans le cadre de la réalisation des travaux de VRD pour limiter les atteintes au milieu et préserver les bulbes de tulipes dans les terres extraites ; que dans le cadre des travaux d'implantation des constructions, dont il avait la direction, il s'est abstenu de prendre des dispositions comparables, ainsi qu'il résulte du témoignage de M. Y... et de la constatation effectuée par les agents de l'OCNFS le 9 février 2007 de travaux de terrassement en cours de réalisation avec stockage de la terre extraite contre un mur de soutènement au risque de provoquer le dépérissement des bulbes ; que ces négligences ont contribué à la réalisation des atteintes constatées aux tulipes sauvages protégées et à leur milieu naturel, et engagent ainsi la responsabilité pénale de la SARL Arch'ad pour le compte de laquelle il agissait ;

"1) alors que, nul ne peut être puni pour un fait qui ne fait pas l'objet d'une incrimination pénale ; que la SARL Arch'ad a été poursuivie pour destruction d'une espèce protégée, la « tulipa sylvestris L » ; que l'ont relevé les premiers juges pour relaxer la société Archa'd, la « tulipa sylvestris L » a été supprimée de la liste des espèces protégées ; qu'en déclarant cependant la société Arch'ad coupable des faits visés à la prévention, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"2) alors que, nul ne peut être puni pour une infraction dont les éléments ne sont pas définis avec précision par la loi ; que selon la cour d'appel, l'arrêté du 31 août 1995 modifiant la liste des espèces protégées a supprimé l'espèce « tulipa sylvestris L » des espèces protégées et a maintenu dans l'annexe I uniquement une sous-espèce de tulipa sylvestris, à savoir la « tulipa sylvestris L SSP sylvestris » ; qu'en estimant, pour retenir la société Arch'ad dans les liens de la prévention, que l'usage d'un nom d'espèce n'est pas exclusif de la désignation d'une sous-espèce et que la citation et le procès-verbal d'infraction faisaient implicitement mais nécessairement référence à la variété protégée de l'espèce, la cour d'appel a violé le principe et les textes cités au moyen ;

"3) alors que, nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ; que la société Arch'ad a, dans ses conclusions d'appel, soutenu que le délit de destruction d'espèce protégée visant la destruction, la coupe, l'arrachage de végétaux protégés ne pouvait lui être imputé car elle n'était pas l'auteur des faits de destruction et n'était pas chargée de l'opération de réalisation du lotissement au cours de laquelle les végétaux avaient été détruits ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen déterminant des conclusions, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"4) alors que, il n'y a point de délit sans intention de le commettre ; que la société Arch'ad a soutenu qu'elle n'avait pas été destinataire des courriers de la direction régionale de l'environnement faisant état de la présence d'une espèce protégée, que les permis de construire n'en faisaient pas mention et qu'elle n'avait eu connaissance de la présence d'une espèce protégée que par le compte-rendu d'une réunion où avaient été mis en place diverses mesures pour éviter toute destruction, ce qui lui permettait de penser que le problème relatif à la présence de tulipes protégées avait été réglé ; qu'il s'ensuivait que l'architecte n'avait pu avoir aucune intention de porter atteinte à une espèce protégée ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que la société Arch'ad, ayant comme gérant M. X..., architecte, a été poursuivie pour avoir détruit l'habitat d'une espèce végétale protégée non cultivée et pour avoir détruit 3 329 pieds de cette même espèce, infractions prévues et réprimées par les articles L. 411-1 et L. 415-3 du code de l'environnement ; que le tribunal l'a relaxée ;

Attendu que, pour la déclarer coupable de ces infractions, l'arrêt retient que cette société était investie d'une mission de maîtrise d'oeuvre comprenant la conception et la direction des ouvrages de construction d'un lotissement, qui incluaient les terrassements d'implantation ; que l'arrêt indique que son gérant, qui reconnaît avoir été informé de la présence d'une station de tulipes sauvages protégées dans la zone à construire, a négligé de s'assurer de l'obtention préalable par le maître de l'ouvrage d'une autorisation préfectorale de destruction ou d'enlèvement de cette espèce ; que la cour d'appel précise que ce dirigeant avait été informé de dispositions prises par ailleurs, dans le cadre de la réalisation des travaux de voirie, pour limiter les atteintes au milieu et préserver les bulbes de tulipes dans les terres extraites ; que les juges ajoutent que, dans le cadre des travaux d'implantation des constructions, dont il avait la direction, il s'est abstenu de prendre des dispositions comparables, ainsi qu'il résulte d'un témoignage et de la constatation effectuée par les agents verbalisateurs à l'occasion de travaux de terrassement en cours de réalisation avec stockage de la terre extraite contre un mur de soutènement au risque de provoquer le dépérissement des bulbes ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, qui répondent aux chefs péremptoires des conclusions de la prévenue, d'où il résulte que l'intéressée n'a pas eu de doute sur l'objet et la portée de l'acte de poursuite, et dès lors que la seule constatation de la violation, en connaissance de cause, d'une prescription légale ou réglementaire implique, de la part de son auteur, l'intention coupable exigée par l'article 121-3, alinéa 1er, du code pénal, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Le Corroller conseiller rapporteur, M. Arnould conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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