Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 17 octobre 2012, 10-17.370, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 24 février 2010), que M. X... et huit autres personnes ont été engagés en qualité d'éducateurs spécialisés ou de moniteurs-éducateurs soit dans le service d'accueil d'urgence (SAU/92), soit dans les foyers Clairefontaine de l'association "Vers la vie pour l'éducation des jeunes" (AVVEJ), qui assure l'hébergement et la prise en charge d'enfants, d'adolescents et d'adultes présentant des difficultés ; qu'estimant ne pas avoir été payés intégralement de leurs permanences de nuit depuis leur embauche, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant au paiement d'heures supplémentaires, de congés payés afférents, de repos compensateurs et de dommages-intérêts pour non-respect des pauses et des repos quotidiens ;

Sur le premier moyen :

Attendu que ce moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le second moyen :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer une somme à titre de dommages-intérêts, notamment pour non-respect des dispositions légales relatives aux temps de pause, alors, selon le moyen :

1°/ que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; qu'en condamnant l'AVVEJ à dommages-intérêts faute pour elle d'établir si les salariés avaient bénéficié d'un temps de pause durant les périodes où ils effectuaient les surveillances nocturnes, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil ;

2°/ que la charge de la preuve des heures effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties ; qu'en statuant comme elle l'a fait au motif qu'il n'était pas établi que les salariés aient bénéficié d'un temps de pause pendant les périodes où ils effectuaient les surveillances nocturnes, la cour d'appel a violé l'article L. 3171-14 du code du travail ;

Mais attendu que les dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l'employeur et le salarié ne sont pas applicables à la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne, qui incombe à l'employeur ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne l'association Vers la vie pour l'éducation des jeunes aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer aux salariés la somme globale de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept octobre deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour l'association Vers la vie pour l'éducation des jeunes

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné l'A.V.V.E.J. à payer aux 9 salariés des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de non respect de dispositions légales relatives aux temps de pause, au repos quotidien et à la durée du travail, ainsi qu'une indemnité par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

AUX MOTIFS QU'il n'est pas établi par les pièces produites aux débats que les consorts Y... ont bénéficié d'un temps de pause comme le prévoit l'article 4 de la directive 93/104 durant les périodes où ils effectuaient des surveillances nocturnes dans des chambres de veille, entre janvier 2000 et novembre 2006 ; que le tableau dressé par l'A.V.V.E.J. pour chaque salarié qui travaillait aux foyers CLAIREFONTAINE, et indiquant que des temps de pause ont été décomptés, n'établit nullement ce décompte qui est effectué année par année sans aucune indication des heures prises jour par jour et apparaît avoir été fait mathématiquement a posteriori ; que ces tableaux trop imprécis sont inexploitables ; que la production des plannings hebdomadaires et/ou des fiches horaires en place dans certains établissements depuis novembre 2001, comme l'indiquent certaines salariées, aurait permis d'opérer des vérifications et des calculs ; qu'enfin, aucun document concernant les trois salariés travaillant au SAU/92 ne fait apparaître qu'ils ont bénéficié de temps de pause au cours de leurs permanences nocturnes en chambre de veille ; que dans ces conditions, tous les salariés sont bien fondés à demander des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi de ce chef ;

QUE, selon l'article L.220-1 du Code du travail, qui est la transposition de l'article 3 de la directive 93/104, applicable pour la période considérée entre janvier 2000 et novembre 2006, tout salarié bénéficie d'un repos quotidien minimal de 11 heures consécutives par période de 24 heures ; qu'aucune disposition dérogeant à cet article n'est invoquée par les parties ; que, pour ce qui concerne les trois salariés travaillant au SAU/92, il est acquis que les heures de surveillance nocturne en chambre de veille ne sauraient être considérées comme temps de repos au regard de l'article 2 de la directive 93/104 qui dit qu'une période de repos est une période qui n'est pas du temps de travail, ce dernier étant luimême toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions ainsi que de la jurisprudence communautaire résultant de l'arrêt du 1er décembre 2005 de la C.J.C.E. ; que l'A.V.V.E.J. ne conteste pas que pendant les heures de travail des salariés, comprenant les heures de surveillance nocturne et les samedis et dimanches, ils pouvaient être tenus d'intervenir, étant à sa disposition et dans l'exercice de leur activité ; que tous les plannings hebdomadaires de travail du SAU/92 des années 2001 à 2006 révèlent que Mrs Y..., Z... et A... n'ont pas bénéficié d'un repos quotidien minimal de 11 h consécutives par période de 24 heures lorsqu'ils travaillaient les samedis et/ou les dimanches ; qu'en effet, il ressort de ces plannings que leur amplitude horaire de travail pour ces jours là était entre 16 h et 18 h continues, les repos ou temps de pause n'étant nullement indiqués sur ces plannings ; que cela est constaté principalement pour M. Y... en 2001, puis pour lui et M. A... en 2002, et ensuite de façon importante pour les deux jusqu'en 2006, M. Z... ayant commencé à travailler les samedis et dimanches à compter de 2003 pour le faire de manière fréquente à compter de 2004 ; qu'ils sont tous trois, dans ces conditions, bien fondés à demander des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

QUE le seuil communautaire qui résulte de la directive 93/104 modifiée par la directive 2000/34/CE du Parlement et du Conseil du 22 juin 2000, fixant à 11 h consécutives la période minimale du repos journalier (reprise à l'article L.220-1 du Code du travail applicable à l'espèce), se traduit en droit interne par l'interdiction de dépasser l'amplitude journalière de 13 h, celle-ci étant définie comme le temps séparant la prise de poste de sa fin ; que comme pour le calcul du repos quotidien résultant de la directive 93/104, celui de l'amplitude journalière doit s'effectuer sur une même journée de 0 h à 24 h ; que pour Mrs Y..., Z... et A..., les constatations effectuées pour le non respect du repos quotidien sont valables, par effet de symétrie, pour le non respect de la durée journalière de travail ; qu'en effet, tous les plannings hebdomadaires de travail du SAU/92 des années 2001 à 2006, révèlent que les trois salariés ont travaillé à de nombreuses reprises plus de 13 heures consécutives sur une même journée de 0 h à 24 h les samedis et/ou les dimanches ; qu'il ressort en effet de ces plannings que leur amplitude horaire de travail pour ces jours était entre 16 h et 18 h continues ; qu'ils sont bien fondés à demander des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de ce non respect des règles communautaires et nationales ;

ALORS, QU'en s'abstenant de répondre aux conclusions de l'A.V.V.E.J., soutenant qu'elle ne pouvait être condamnée au paiement de dommages et intérêts dès lors qu'elle avait appliqué de bonne foi l'ensemble des dispositions du décret du 31 décembre 2001 sans avoir anticipé l'annulation partielle de ce décret par arrêt du Conseil d'Etat du 27 avril 2006 en tant qu'il n'avait pas fixé les limites dans lesquelles devait être mis en oeuvre le régime d'équivalence qu'il avait défini pour garantir le respect des seuils et plafonds communautaires prévus par la directive du 13 novembre 1993, si bien que seule la responsabilité de l'Etat pouvait être engagée, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné l'A.V.V.E.J. à payer une somme à titre de dommages et intérêts, notamment pour non respect des dispositions légales relatives aux temps de pause,

AUX MOTIFS QU'il n'est pas établi par les pièces produites aux débats que les consorts Y... ont bénéficié d'un temps de pause comme le prévoit l'article 4 de la directive 93/104 durant les périodes où ils effectuaient des surveillances nocturnes dans des chambres de veille, entre janvier 2000 et novembre 2006 ; que le tableau dressé par l'A.V.V.E.J. pour chaque salarié qui travaillait aux foyers CLAIREFONTAINE, et indiquant que des temps de pause ont été décomptés, n'établit nullement ce décompte qui est effectué année par année sans aucune indication des heures prises jour par jour et apparaît avoir été fait mathématiquement a posteriori. Ces tableaux trop imprécis sont inexploitables ; que la production des plannings hebdomadaires et/ou des fiches horaires en place dans certains établissements depuis novembre 2001, comme l'indiquent certaines salariées, aurait permis d'opérer des vérifications et des calculs ; qu'enfin, aucun document concernant les trois salariés travaillant au SAU/92 ne fait apparaître qu'ils ont bénéficié de temps de pause au cours de leurs permanences nocturnes en chambre de veille ; que dans ces conditions, tous les salariés sont bien fondés à demander des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi de ce chef ;

QUE le non respect des dispositions communautaires et nationales concernant les temps de pause, la durée quotidienne de travail et le repos quotidien a causé un préjudice à chaque salarié car il porte atteinte à leur sécurité et à celle des personnes qu'ils surveillaient, en raison de l'absence de temps de pause constatés pour l'ensemble d'entre eux, de temps de repos quotidien réduit pour les trois salariés du SAU/92 les samedis et dimanches et de la durée quotidienne du travail excessive ces mêmes jours pour ces mêmes salariés ; que le non respect porte aussi atteinte à la santé des salariés puisqu'il est justifié notamment pour les trois salariés du SAU/92 qu'ils travaillaient le jour et la nuit en cycles décalés, sur des plages horaires importantes où ils étaient à la disposition de leur employeur pour répondre à toutes les urgences ; qu'il est dès lors justifié, au vu de ces éléments, et de la durée du non respect des règles communautaires et nationales, d'allouer les dommages et intérêts suivants à chacun des salariés requérants : 1) Mr Mouloud Y..., 15 000 €, 2) Mr Karim X..., 8 000 €, 3) Mr Zied A..., 10 000 €, 4) Mme Mariette B..., 5 000 €, 5) Mlle Marianne C..., 5 000 €, 6) Mme Véronique D..., 5 000 €, 7) Mlle Lydie E..., 3 000 €, 8) Mme Anne F..., 3 000 €, 9) Mlle Thierno G..., 2 000 € ; l'A.V.V.E.J. est condamnée à leur verser ces sommes ; le jugement est donc confirmé pour M. A..., Mesdames B... et D... ;

ALORS, D'UNE PART, QUE celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; qu'en condamnant l'A.V.V.E.J. à dommages et intérêts faute pour elle d'établir si les salariés avaient bénéficié d'un temps de pause durant les périodes où ils effectuaient les surveillances nocturnes, la Cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil ;

ALORS, EN OUTRE, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE la charge de la preuve des heures effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties ; qu'en statuant comme elle l'a fait au motif qu'il n'était pas établi que les salariés aient bénéficié d'un temps de pause pendant les périodes où ils effectuaient les surveillances nocturnes, la Cour d'appel a violé l'article L.3171-14 du Code du travail ;

ALORS, D'AUTRE PART, SUBSIDIAIREMENT, QU'en s'abstenant de répondre aux conclusions de l'A.V.V.E.J. faisant valoir que les sommes allouées à titre de dommages et intérêts pour ne pas avoir fait bénéficier les salariés de temps de pause sont disproportionnées au regard des rappels de salaire octroyés à ce titre, et que l'allocation de tels dommages et intérêts constituait un biais pour remettre en cause directement la licéité du régime d'équivalence reconnu par le droit positif, et portait atteinte à la règle suivant laquelle seul le préjudice établi peut entraîner réparation par l'allocation de dommages et intérêts, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

ET ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU'en s'abstenant de s'expliquer, comme elle y était invitée, sur le caractère disproportionné du montant des dommages et intérêts en regard du montant de la rémunération des temps de pause dont les salariés avaient été privés, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision en regard du principe suivant lequel l'indemnisation ne doit pas excéder la valeur du préjudice et ne saurait procurer un enrichissement à la victime, et de l'article 1382 du Code du travail.

Retourner en haut de la page