Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 19 septembre 2012, 10-21.858, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Vu l'article L. 143-10 du code rural et de la pêche maritime ensemble l'article L. 622-16 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 ;

Attendu que le juge-commissaire peut, si la consistance des biens, leur emplacement ou les offres reçues sont de nature à permettre une cession amiable dans de meilleures conditions, ordonner la vente par adjudication amiable sur la mise à prix qu'il fixe ou autoriser la vente de gré à gré aux prix et conditions qu'il détermine ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 20 mai 2010), que les époux X... ont été placés en liquidation judiciaire par jugement du 6 juillet 2000 avec M. Y... comme liquidateur ; que par ordonnance du 7 octobre 2008, confirmée par jugement du 19 février 2009, le juge-commissaire a autorisé la cession de quatre parcelles de terre, moyennant le prix de 50 000 euros, au profit de la SCI de la Bresle ; qu'avisée par le notaire chargé de la rédaction de l'acte de cession, la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Haute-Normandie (la SAFER), a, par lettre du 12 mai 2009, exercé son droit de préemption et, se prévalant des dispositions de l'article L. 143-10 du code rural et de la pêche maritime, a offert le prix de 33 000 euros ; que le liquidateur a saisi le juge-commissaire par requête du 11 juin 2009, en présence de la SAFER, pour qu'il soit statué sur la poursuite de la vente et, le cas échéant, être autorisé à saisir le tribunal paritaire des baux ruraux en fixation du prix ;

Attendu que pour autoriser M. Y... à saisir le tribunal paritaire des baux ruraux l'arrêt retient que dès lors que le droit de préemption de la SAFER n'est pas contestable, celui-ci ne peut s'exercer qu'au regard de l'intégralité des dispositions des articles L. 143-1 et suivants du code rural, dont celles de l'article L. 143-10 relatives à la fixation du prix ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'exercice du droit de préemption par la SAFER ne peut avoir pour effet de modifier les conditions de la vente autorisée par le juge-commissaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mai 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;

Condamne la Société d'aménagement foncier et rural de Haute-Normandie aux dépens des pourvois ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la Société d'aménagement foncier et rural de Haute-Normandie à payer à M. Y... la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de la SAFER de Haute-Normandie ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. Daniel Y..., ès qualités, demandeur au pourvoi principal

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que, conformément aux dispositions de l'article L 143-10 du Code rural, s'il n'accepte pas l'offre de la SAFER de Haute-Normandie Maître Y..., es qualités de liquidateur des époux X... est autorisé à saisir le tribunal paritaire des baux ruraux territorialement compétent, dans le délai de six mois à compter du présent arrêt, aux fins de voir cette juridiction statuer sur l'offre de la SAFER de Haute-Normandie au prix de 33. 000 € portant sur la vente des parcelles, d'une superficie de 7 hectares 03 ares et 80 centiares, cadastrées section et n° AB 56, AN 33, AO 1231, AO 124, sises sur la commune de Sommery ;

AUX MOTIFS QUE, « le liquidateur soutient toutefois que, comme la SAFER a maintenu sa volonté de préempter elle ne pourrait le faire qu'au prix de 50. 000 €, fixé dans les deux décisions du 7 octobre 2008 et 19 février 2009 ; que la SAFER de Haute Normandie affirme, quant à elle, que la vente des parcelles n'ayant pas le caractère d'une vente publique, les dispositions, d'ordre public, de l'article L 143-10 du code rural lui donnant la possibilité de réviser le prix, sont applicables ; dès lors que le droit de préemption de la SAFER n'est pas discuté ni contestable, celui-ci ne peut s'exercer qu'au regard de l'intégralité des dispositions des articles L 143-1 et suivants du code rural, dont celles de l'article L 143-10 relatives à la fixation du prix ; que dans le courrier du 12 mai 2009, conformément aux dispositions précitées, la SAFER fait état d'un prix " nettement exagéré en fonction des prix pratiqués dans la région pour des immeubles du même ordre " et de l'accord des commissaires du Gouvernement pour formuler une offre d'achat à ses propres conditions ; que dans une correspondance ultérieure, à la demande de Maître Daniel Y..., elle communique les prix de ventes d'autres parcelles agricoles intervenues antérieurement sur la même commune ; qu'ainsi que mentionné dans la lettre adressée au notaire, la préemption de la SAFER a été notifiée à Maître Daniel Y..., es qualité de liquidateur des époux X... avec mention des dispositions de l'article L 143-10 du code rural ; que n'acceptant pas l'offre formulée par la SAFER, le liquidateur a saisi le juge-commissaire de la liquidation judiciaire aux fins, non seulement de le voir statuer sur la poursuite de la vente de gré à gré et donner un avis sur le prix proposé par la SAFER de Haute Normandie, mais aussi d'être autorisé, conformément à l'article L 412-7 du code rural, à saisir le tribunal paritaire des baux ruraux pour fixation du prix des terres " en considération des conditions d'exercice du droit de préemption de la SAFER et des arguments qu'elle invoque pour valider ce droit " ; (…) qu'il sera donc dit que ledit délai a été interrompu par la requête au juge-commissaire, puis par la procédure d'appel et qu'il appartiendra à Maître Daniel Y..., es qualité de saisir, à compter du prononcé du présent arrêt, le tribunal compétent conformément aux dispositions de l'article L 143-10 du code rural » ;

ALORS QUE, la vente de gré à gré des biens du débiteur en liquidation judiciaire est parfaite dès qu'elle a été autorisée par une ordonnance du juge commissaire devenue définitive ; que ses modalités telles qu'entérinées par le juge commissaire s'imposent alors à la SAFER qui exercerait son droit de préemption et s'opposent à l'émission d'une offre à des conditions différentes ; que la vente litigieuse ayant été autorisée au prix de 50. 000 euros par une ordonnance du juge commissaire du 7 octobre 2008, confirmée par un jugement du Tribunal de grande instance de Dieppe rendu le 19 février 2009 devenu définitif, la SAFER ne pouvait émettre d'offre à un prix différent ; qu'en jugeant que le droit de préemption de la SAFER devait s'exercer au regard de l'intégralité des dispositions des articles L143-1 et suivants du Code rural dont celles de l'article L143-10 lui donnant la possibilité de préempter à un prix inférieur à celui auquel la vente a été autorisée par le juge commissaire, la Cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 19 février 2009 confirmant l'ordonnance du 7 octobre 2008 et ainsi violé les articles 1351 du Code civil et L. 642-18 du Code de commerce ;

ALORS, EN OUTRE, QUE le droit pour la société d'aménagement foncier et d'établissement rural d'adresser au notaire du vendeur une offre d'achat établie à ses propres conditions lorsqu'elle déclare vouloir faire usage de son droit de préemption mais estime que le prix et les conditions d'aliénation sont exagérés, notamment en fonction des prix pratiqués dans la région pour des immeubles de même ordre, est subordonnée au caractère volontaire de la vente ; que ce droit ne peut s'exercer lorsque la vente intervient dans le cadre d'une liquidation judiciaire sur autorisation du juge commissaire et aux conditions notamment de prix qu'il détermine, l'objectif de la vente étant d'obtenir le meilleur prix pour désintéresser le plus grand nombre de créanciers ; qu'en jugeant que le droit de préemption de la SAFER devait s'exercer au regard de l'intégralité des dispositions des articles L143-1 et suivants du Code rural dont celles de l'article L143-10 lui donnant la possibilité de réviser le prix de vente, la Cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L143-10 du Code rural.
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarrano, avocat aux Conseils, pour la SAFER de Haute-Normandie, demanderesse au pourvoi incident

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le délai de six mois de l'article L 143-10 du code rural pendant lequel Me Y..., ès qualités de mandataire liquidateur des époux X..., est autorisé à saisir le tribunal paritaire des baux ruraux en cas de refus de l'offre de la Safer avec réduction de prix, court à compter du présent arrêt ;

AUX MOTIFS QUE (…) n'acceptant pas l'offre formulée par la Safer, le liquidateur a saisi le juge commissaire de la liquidation judiciaire aux fins non seulement de le voir statuer sur la poursuite de la vente de gré à gré et donner un avis sur le prix proposé par la Safer de Haute-Normandie, mais aussi d'être autorisé conformément à l'article L 412-7 du code rural à saisir le tribunal paritaire des baux ruraux pour fixation du prix des terres en considération des conditions d'exercice du droit de préemption de la Safer et des arguments qu'elle invoque pour valider ce droit ; que la Safer soutient qu'à défaut d'avoir usé dans le délai de six mois prévu à l'article L 143-10 de la saisine du tribunal paritaire des baux ruraux, Me Daniel Y... serait réputé avoir accepté son offre à compter 12 novembre 2009 au prix de 33. 000 € et à son profit, que la préemption serait acquise depuis cette date et que la vente serait parfaite ; que le rappel fait des demandes formulées par Me Daniel Y..., dans sa requête au juge-commissaire, démontre qu'il a sollicité, un peu moins d'un mois après notification de la préemption de la Safer, du juge-commissaire l'autorisation de recourir à la procédure de l'article L 134-10 (lire L 143-10) du code rural ; que compte tenu des termes et de l'issue de la décision entreprise, Me Daniel Y... ne peut se voir reprocher une quelconque inaction ; que dès lors, la décision du premier juge étant infirmée quant à l'exercice du droit de préemption de la Safer, celle-ci ne saurait arguer de l'expiration du délai précité et prétendre à ce que la vente soit désormais parfaite ; qu'il sera donc dit que ledit délai a été interrompu par la requête au juge-commissaire, puis par la procédure d'appel et qu'il appartiendra à Me Y..., ès qualités, de saisir à compter du prononcé du présent arrêt, le tribunal compétent conformément aux dispositions de l'article L 143-10 du code rural ;

1) ALORS QUE le délai imparti au vendeur pour saisir le tribunal paritaire des baux ruraux d'une demande de révision du prix proposé par la Safer, est de six mois à compter de la notification par la Safer de son offre d'achat avec réduction de prix ; qu'en décidant que Me Y..., ès qualités, pourra saisir le tribunal paritaire de baux ruraux d'une demande de révision du prix proposé par la Safer de Haute-Normandie, dans un délai de six mois à compter de son arrêt, la cour d'appel a violé l'article L 143-10 du code rural ;

2) ALORS QUE le délai imparti au vendeur pour saisir le tribunal paritaire des baux ruraux d'une demande de révision du prix proposé par la Safer, est un délai de forclusion, comme tel insusceptible d'interruption ou de suspension ; que dès lors, en affirmant que la saisine par Me Y..., ès qualités, d'un juge-commissaire, aux fins d'être autorisé à agir en révision de prix, a interrompu le délai de six mois qui lui était imparti pour demander la révision du prix proposé par la Safer de Haute-Normandie, la cour d'appel a violé l'article L 143-10 du code rural ;

3) ALORS, en toute hypothèse, QUE pendant toute la durée de la liquidation judiciaire, les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés par le liquidateur ; que si le liquidateur est tenu d'obtenir l'autorisation du juge-commissaire avant de vendre les biens du débiteur, une telle autorisation n'est pas requise pour agir en contestation de l'offre d'achat faite par la Safer ; que dès lors, en affirmant que Me Y..., ès qualités, ne pouvait saisir le tribunal paritaire des baux ruraux d'une demande de révision du prix proposé par la Safer avant d'y avoir été autorisé par le juge-commissaire, pour en déduire qu'il ne pouvait lui être reproché une quelconque inaction et qu'il y avait donc lieu de reporter le point de départ du délai de l'article L 143-10 du code rural au jour du prononcé de son arrêt, la cour d'appel a violé les articles L. 641-9 et L. 642-19 du code de commerce.

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