Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 juillet 2012, 11-12.502, Inédit
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 11-12.502
- Non publié au bulletin
- Solution : Rejet
- Président
- M. Bailly (conseiller doyen faisant fonction de président)
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur les premier et second moyens réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 15 décembre 2010), que M. X..., employé par la SNCF depuis le 2 novembre 1976, en dernier lieu en qualité de chef de brigade régional adjoint de la surveillance générale, a été radié des cadres le 17 juillet 2008 pour avoir stocké sur son ordinateur professionnel un très grand nombre de fichiers à caractère pornographique ainsi que de fausses attestations ;
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'indemnités au titre de sa radiation des cadres alors, selon les moyens :
1°/ que l'employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l'ordinateur mis à sa disposition qu'en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé, peu important le contenu réel desdits fichiers ; qu'en retenant que le disque « D:/données personnelles », aurait servi traditionnellement aux agents à stocker leurs documents professionnels, que l'analyse du disque a fait apparaître de nombreux documents de nature professionnelle, pour en déduire que « la SNCF était en droit de considérer que la désignation «données personnelles» figurant sur le disque dur ne pouvait valablement interdire l'accès à cet élément », la cour d'appel, qui s'est prononcée au regard du contenu du disque et non de son identification comme personnel par le salarié, a violé les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et L. 1121-1 du code du travail ;
2°/ qu'il suffit que les fichiers figurant sur le matériel informatique de l'employeur aient été identifiés par le salarié comme « personnels » pour interdire à l'employeur de les consulter librement et de s'en servir comme moyen de preuve de la faute du salarié ; que la seule mention de « données personnelles » sur l'élément informatique en cause suffit à en interdire le libre accès à l'employeur; qu'en reconnaissant à la SNCF le droit d'utiliser comme moyen de preuve les fichiers informatiques enregistrés sur un disque dur dénommé « D :/données personnelles », au motif que le disque dur ne désignait pas de façon explicite des éléments de la vie privée, la cour d'appel a encore violé les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et L 1121-1 du code du travail ;
3°/ qu'ayant constaté que le fichier « rires » figurait sur le disque dur dénommé « D : / données personnelles », comme les fichiers «Fred Y...», « Socrif » et « Catherine », ce dont il ressort que ces fichiers étaient nécessairement identifiés comme personnels et en décidant le contraire au motif inopérant tiré de ce que le terme « rires » ne « confère pas d'évidence au fichier ainsi désigné un caractère nécessairement privé », et qu'il en était de même pour les autres fichiers, pour en déduire que l'employeur était en droit de les consulter librement, la cour d'appel a derechef violé les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et L. 1121-1 du code du travail ;
4°/ qu'en toute hypothèse, en ne caractérisant pas l'existence d'un risque ou d'un événement particulier susceptible de justifier l'ouverture par l'employeur de fichiers identifiés par le salarié comme personnels, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et L. 1121-1 du code du travail ;
5°/ et alors que des faits de la vie privée du salarié ne peuvent en eux-mêmes constituer une faute justifiant un licenciement ; qu'en se fondant sur des faits tirés de la vie personnelle du salarié tenant à de fausses attestations destinées à des tiers ou au stockage de films et vidéos pornographiques qui relevaient strictement de son intimité et avaient été sans incidence sur l'exemplarité de son comportement dans l'entreprise, pour dire qu'était justifiée sa radiation des cadres, la cour d'appel a violé les articles 9 du Code civil et L 1331-1 du Code du travail ;
Mais attendu que si les fichiers créés par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, de sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir en dehors de sa présence, sauf s'ils sont identifiés comme étant personnels, la dénomination donnée au disque dur lui-même ne peut conférer un caractère personnel à l'intégralité des données qu'il contient ; que la cour d'appel, qui a retenu que la dénomination "D:/données personnelles" du disque dur de l'ordinateur du salarié ne pouvait lui permettre d'utiliser celui-ci à des fins purement privées et en interdire ainsi l'accès à l'employeur, en a légitimement déduit que les fichiers litigieux, qui n'étaient pas identifiés comme étant "privés" selon les préconisations de la charte informatique, pouvaient être régulièrement ouverts par l'employeur ;
Et attendu que la Cour d'appel, qui a relevé que le salarié avait stocké 1562 fichiers à caractère pornographique représentant un volume de 787 mégaoctets sur une période de quatre années, et qu'il avait également utilisé son ordinateur professionnel pour confectionner de fausses attestations, a justement retenu que cet usage abusif et contraire aux règles en vigueur au sein de la SNCF de son instrument de travail constituait un manquement à ses obligations contractuelles ; que le moyen n'est pas fondé;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. Eric X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement qui a dit qu'était justifiée la décision prise par la SNCF de radier des cadres M. X... et qui, en conséquence, a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes à l'exception de celle pour irrégularité de la procédure ;
AUX MOTIFS QU' Eric X... soutient que la SNCF a porté atteinte à sa vie privée en ouvrant en son absence des éléments identifiés comme personnels dans son ordinateur ; qu'il est de règle que les documents détenus par le salarié dans le bureau de l'entreprise sont, sauf lorsqu'il les identifie comme étant personnels, présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l'employeur peut y avoir accès hors sa présence ; qu'il ressort du rapport de la SEF que les photos et vidéos pornographiques ont été trouvées dans un fichier dénommé «rires» contenu dans un disque dur dénommé « D: /données personnelles» ; que la SNCF explique sans être contredite que le disque « D» est dénommé par défaut « D :/données » et sert traditionnellement aux agents à stocker leurs documents professionnels ; qu'un salarié ne peut utiliser l'intégralité d'un disque dur, censé enregistrer des données professionnelles, pour un usage privé ; que la SNCF était donc en droit de considérer que la désignation « données personnelles » figurant sur le disque dur ne pouvait valablement interdire l'accès à cet élément ; qu'en tout état de cause, le terme générique de «données personnelles» pouvait se rapporter à des dossiers professionnels traités personnellement par le salarié et ne désignait donc pas de façon explicite des éléments relevant de sa vie privée; que tel était d'ailleurs le cas, l'analyse du disque dur ayant fait apparaître de nombreux documents de nature professionnelle (fichier «photos LGV» «photos entrepôts
» ; que par ailleurs, le terme « rires» ne confère pas d'évidence au fichier ainsi désigné un caractère nécessairement privé ; que cette désignation peut se rapporter à des échanges entre collègues de travail ou à des documents professionnels, conservés à titre de «bêtisier », par le salarié ; que l'employeur rappelle au surplus avec pertinence que la Charte utilisateur prévoit que « les informations à caractère privé doivent être clairement identifiées comme telles (option «privée» dans les critères OUTLOOK) et qu'il en va de même des «supports recevant ces informations (répertoire « privé») » ; que le premier juge a donc considéré à juste titre que le fichier n'était pas identifié comme personnel ; qu'il en est de même des fichiers contenant les attestations litigieuses enregistrées sous les dénominations «FRED Y... », « SOCRlF» et « CATHERINE» ; que la matérialité des faits est démontrée par l'enquête effectuée et n'est d'ailleurs pas discutée par le salarié ;
Et aux motifs éventuellement adoptés que les documents en question, à savoir les fausses attestations et les 1562 fichiers à caractère pornographique contenus dans l'ordinateur professionnel du demandeur, n'étaient pas expressément désignés comme étant strictement privés ;
1°/- ALORS QUE l'employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l'ordinateur mis à sa disposition qu'en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé, peu important le contenu réel desdits fichiers ; qu'en retenant que le disque « D : / données personnelles », aurait servi traditionnellement aux agents à stocker leurs documents professionnels, que l'analyse du disque a fait apparaître de nombreux documents de nature professionnelle, pour en déduire que « la SNCF était en droit de considérer que la désignation « données personnelles » figurant sur le disque dur ne pouvait valablement interdire l'accès à cet élément », la Cour d'appel qui s'est prononcée au regard du contenu du disque et non de son identification comme personnel par le salarié, a violé les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et L. 1121-1 du code du travail ;
2°/- ALORS QU' il suffit que les fichiers figurant sur le matériel informatique de l'employeur aient été identifiés par le salarié comme « personnels » pour interdire à l'employeur de les consulter librement et de s'en servir comme moyen de preuve de la faute du salarié ; que la seule mention de « données personnelles » sur l'élément informatique en cause suffit à en interdire le libre accès à l'employeur; qu'en reconnaissant à la SNCF le droit d'utiliser comme moyen de preuve les fichiers informatiques enregistrés sur un disque dur dénommé « D :/données personnelles », au motif que le disque dur ne désignait pas de façon explicite des éléments de la vie privée, la Cour d'appel a encore violé les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et L. 1121-1 du code du travail ;
3°/- ALORS en outre qu'ayant constaté que le fichier « rires » figurait sur le disque dur dénommé « D : / données personnelles », comme les fichiers « Fred Y... », « Socrif » et « Catherine », ce dont il ressort que ces fichiers étaient nécessairement identifiés comme personnels et en décidant le contraire au motif inopérant tiré de ce que le terme « rires » ne « confère pas d'évidence au fichier ainsi désigné un caractère nécessairement privé », et qu'il en était de même pour les autres fichiers, pour en déduire que l'employeur était en droit de les consulter librement, la Cour d'appel a derechef violé les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et L 1121-1 du code du travail ;
4°/- ALORS qu'en toute hypothèse, en ne caractérisant pas l'existence d'un risque ou d'un événement particulier susceptible de justifier l'ouverture par l'employeur de fichiers identifiés par le salarié comme personnels, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et L. 1121-1 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement qui a dit qu'était justifiée la décision prise par la SNCF de radier des cadres M. X... et qui, en conséquence, a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes à l'exception de celle pour irrégularité de la procédure ;
AUX MOTIFS QUE M. X... tente vainement de minimiser sa responsabilité en prétendant, contre l'évidence, qu'il n'avait aucune maîtrise sur la réception des dossiers pornographiques, qu'il a pourtant stockés dans un même fichier et s'est bien gardé de supprimer ; qu'il est démontré par ailleurs, s'agissant de l'attestation de changement de résidence de sa concubine, que celle-ci faisait état d'un fait inexact pour obtenir indûment une résiliation anticipée d'un bail ; que tant le code de déontologie de la SNCF que les référentiels internes rappellent que les agents doivent utiliser les moyens informatiques mis à leur disposition à des fins exclusivement professionnelles, une utilisation ponctuelle étant seulement tolérée à titre privée ; que Eric X... a massivement contrevenu à ces règles, n'hésitant pas au surplus à utiliser son matériel professionnel pour confectionner un faux document ; que ces agissements sont d'autant plus graves que sa qualité d'agent chargé de la Surveillance Générale aurait dû le conduire à avoir un comportement exemplaire ;
ALORS QUE des faits de la vie privée du salarié ne peuvent en eux-mêmes constituer une faute justifiant un licenciement ; qu'en se fondant sur des faits tirés de la vie personnelle de M. X... tenant à de fausses attestations destinées à des tiers ou au stockage de films et vidéos pornographiques qui relevaient strictement de son intimité et avaient été sans incidence sur l'exemplarité de son comportement dans l'entreprise, pour dire qu'était justifiée sa radiation des cadres, la Cour d'appel a violé les articles 9 du Code civil et L. 1331-1 du Code du travail.