Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 juillet 2012, 11-19.678, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur les deux moyens réunis :

Vu l'article L. 2323-27 du code du travail ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que lorsqu'il est consulté sur les problèmes généraux intéressant les conditions de travail, le comité d'entreprise doit disposer de l'avis du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; qu'il s'ensuit que le comité d'entreprise est recevable à invoquer dans le cadre de sa propre consultation l'irrégularité de la procédure de consultation préalable du CHSCT ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, statuant en référé, que le 15 septembre 2009, le directeur de l'unité réseau électricité de Poitou-Charentes a soumis au CHSCT de l'établissement Poitou-Charentes (le CHSCT) un projet de mise en place d'un "domaine patrimoine" ; que le projet a été soumis au comité d'établissement le 22 septembre 2009 ; qu'estimant qu'il n'avait pas été en mesure de donner régulièrement son avis en raison de l'absence de transmission d'un avis régulier du CHSCT, le comité d'établissement a saisi le tribunal de grande instance statuant en référé d'une demande de suspension de la mise en place du projet d'évolution du domaine patrimoine jusqu'à ce qu'il soit en mesure de recevoir une information complète et de donner valablement son avis ;

Attendu que pour dire irrecevables les demandes du comité d'établissement, la cour d'appel retient, d'une part, que le comité d'entreprise ne peut mener une action au nom du CHSCT, lequel n'a pas cru devoir en engager, d'autre part, que l'avis du comité d'entreprise n'est pas conditionné par un avis préalable du CHSCT, et enfin qu'il apparaît que le CHSCT a été régulièrement consulté et a émis un avis, fut-il considéré comme négatif, la majorité de ses membres ayant refusé de se prononcer au motif qu'il n'était pas répondu à leurs questions jugées non nécessaires par le représentant de la direction, mais l'un d'eux ayant émis un avis favorable ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le comité d'entreprise est recevable à contester devant le juge des référés la régularité de la procédure d'information-consultation menée devant lui lorsqu'il ne dispose pas d'un avis régulier émis préalablement par le CHSCT, et qu'il appartenait au juge de vérifier en conséquence si ce dernier avait été mis en mesure de donner son avis, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 avril 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;

Condamne les sociétés ERDF et GRDF aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer au Comité d'établissement de l'unité réseau électrique région Ouest la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour le Comité d'établissement de l'unité réseau électrique région Ouest

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué :

D'AVOIR déclaré irrecevables les demandes formulées par le comité d'établissement de l'URE Région Ouest relatives à l'avis du CHSCT ;

AUX MOTIFS QUE « le comité d'entreprise continue à contester en appel que la consultation du chsct ait été régulièrement menée. Cependant, le comité d'entreprise n'est pas compétent pour mener une action au nom du chsct, lequel n'a pas cru devoir en engager. Il sera fait droit à la demande des sociétés Erdf Grdf de voir déclarer irrecevables les demandes présentées au nom du chsct » ;

ALORS QU'aux termes de l'article 4 du Code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense ; que le juge ne peut pas modifier les termes du litige en dénaturant les conclusions de l'une des parties ; que la Cour d'appel a déclaré irrecevables les demandes formulées par le comité d'établissement de l'URE Région Ouest aux motifs que ce dernier n'était pas compétent pour mener une action au nom du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; qu'en statuant comme elle l'a fait, bien que le comité d'établissement de l'URE Région Ouest, se bornait à soutenir, ainsi qu'il en ressortait clairement de ses conclusions d'appel, que l'employeur ne l'avait pas régulièrement consulté, faute de lui avoir transmis, malgré sa demande expresse, l'avis du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (pages 12 et 14 des conclusions d'appel), recueilli dans des conditions irrégulières, et n'avait pas agi au nom du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, la Cour d'appel a méconnu les termes du litige par dénaturation des conclusions, et a violé l'article 4 du Code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué :

D'AVOIR dit que la procédure de consultation a été régulièrement menée ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « l'avis du comité d'entreprise n'est pas conditionné par un avis préalable du chsct. D'autre part et surabondamment, il apparaît que le chsct a été régulièrement consulté et a émis un avis, fût il considéré comme négatif, la majorité de ses membres ayant refusé de se prononcer au motif qu'il n'était pas répondu à leurs questions jugées non nécessaires par le représentant de la direction, mais l'un d'eux ayant émis un avis favorable. Il sera fait droit à la demande des sociétés Erdf Grdf de voir déclarer irrecevables les demandes présentées au nom du chsct. S'agissant de la consultation du comité d'entreprise, il y a été régulièrement procédé. En effet, la direction a adressé quinze jours avant la réunion, délai suffisant au vu du volume de celle-ci, une documentation qui apparaît suffisamment complète et pertinente au regard d'une part de la nature de la réorganisation envisagée, qui se faisait à effectifs, activité et localisation constante et n'avait pour objet que de modifier les flux internes en évitant le cloisonnement entre le service études et le service ingénierie, en simplifiant dans l'optique de la recherche d'un meilleur service au client, le seul changement susceptible d'intervenir pour les salariés étant un changement de rattachement managérial. De ce fait, il n'était point besoin de données chiffrées. De plus, l'employeur a accepté de transmettre des réponses aux questions posées en séance par lettre du 13 octobre 2009. Un débat s'est engagé lors de la réunion du comité d'entreprise, dont témoignent les seize pages dactylographiées du procès verbal du comité d'entreprise et il relevait des pouvoirs du président du comité d'entreprise de passer au vote de l'avis, en dépit et après le vote d'une résolution aux termes de laquelle le comité d'entreprise considérait qu'il n'était pas en mesure d'émettre un avis. Une interprétation différente aurait pour conséquence de permettre au comité d'entreprise, en refusant de donner un avis, à plus forte raison un avis consultatif comme en l'espèce, de bloquer sans motif le processus décisionnel. En outre, cette concertation formelle faisait suite à une information informelle engagée en amont en juin 2009 avec les syndicats et les salariés, dont le comité d'entreprise ne saurait faire grief à l'employeur, et qui n'a pas vocation à remplacer ou éviter la consultation des organisations représentatives mais est bénéfique au dialogue social. L'ordonnance sera en conséquence confirmée en toutes ses dispositions. Les dépens seront mis à la charge du comité d'entreprise qui devra verser une somme de 1.200 € aux sociétés Erdf Grdf » ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QU'« il n'est pas contestable, ni contesté (page 8 des écritures récapitulatives) que les organisations syndicales et les agents ont été informés en amont du projet d'évolution de l'organisation du domaine patrimoine, au cours du mois de juin 2009: une première réunion s'est tenue avec les organisations syndicales le 19 juin 2009 à LA ROCHELLE, puis, plusieurs réunions ont été organisées avec les agents (22, 23, 24, 26 et 30 juin 2009). Rien n'a permis d'établir qu'un accueil défavorable ait été réservé à ce projet de réorganisation lors de ces diverses réunions ; qu'en ce qui concerne le CHSCT URE POITOU-CHARENTES, il convient de rappeler que le Comité d'Etablissement n'était nullement compétent pour demander au Président du tribunal de grande Instance de NANTES d'ordonner à l'employeur de recueillir l'avis du CHSCT. En outre, et contrairement à ce qu'indiqué le Comité d'établissement URE Région Ouest, dans ses écritures, le CHSCT URE POITOU-CHARENTES a été régulièrement consulté (cf. convocation et ordre du jour). Au vu des pièces produites, il ressort qu'il s'est instauré un réel débat après que toutes les informations nécessaires à la compréhension de l'organisation projetée aient été présentées et expliquées par Monsieur X..., Adjoint au Directeur : une déclaration a été faite par Monsieur Y... de la CGT pour motiver le refus de la majorité des membres de donner un avis motivé en raison de l'absence de réponse aux questions qu'ils ont posées. Le président leur a précisé que les questions n'étaient pas nécessaires pour qu'ils émettent un avis, en rappelant que l'organisation se faisait à effectif et à activité constante. Il a ensuite officiellement demandé au CHSCT de se prononcer et de passer au vote. La majorité des membres n'a pas émis d'avis et s'est donc abstenue. Un membre a émis un avis favorable. Un avis a donc été rendu par le CHSCT. Ainsi le CHSCT a été mis en situation de pouvoir se prononcer et ses membres ont émis un avis qui doit être considéré comme négatif. En ce qui concerne le CE URE REGION OUEST, il a également été consulté après l'envoi d'une convocation portant ordre du jour (pièce 8). Il y a eu, également, à l'examen des pièces produites a eu un réel débat après que toutes les informations nécessaires sur l'organisation projetée aient été présentées et expliquées par Monsieur X...; les organisations syndicales et les membres du comité avaient reçu préalablement et au moins 15 jours à l'avance avant toutes les informations sur l'organisation projetée qui était joint à l'ordre du jour et ils ont donc disposé d'un délai suffisant pour le consulter; le procès-verbal comporte 16 pages dactylographiées, dont la lecture témoigne de l'importance du débat. A la majorité d'entre eux, ils n'ont pas souhaité exprimer un avis, au motif qu'ils n'avaient pas les informations nécessaires : seul un membre s'est exprimé. Toutefois, il apparaît donc clairement que le Comité d'Etablissement était en mesure d'émettre un avis et si la majorité des membres n'a pas souhaité le faire, cela ne peut être lié au fait que l'employeur n'avait pas rempli ses obligations en terme de consultation des institutions représentatives du personnel compétentes puisque tel n'est pas le cas. Il convient enfin de rappeler que a procédure de consultation ne peut pas être conditionnée par le bon vouloir des membres d'un CHSCT et /ou d'un Comité d'Etablissement d'émettre ou non un avis. Il est en effet de droit que lorsque l'employeur a communiqué les informations nécessaires dans un délai suffisant pour permettre aux représentants du personnel de prendre connaissance du projet, l'obligation de consultation doit être considérée comme satisfaite ce qui est le cas en l'espèce et lorsque le Comité d'Etablissement a été mis en situation de pouvoir se prononcer et que les membres du CE ont refusé d'exprimer, un avis, il doit être considéré comme négatif. En conséquence, il convient de constater que la procédure de consultation a été régulièrement menée et de débouter le Comité d'établissement URE Région Ouest de toutes ses demandes, fins et conclusions. Le demandeur qui succombe supportera les dépens de l'instance et devra verser aux défendeurs, au titre des frais irrépétibles engagés, une somme qui en équité sera réduite à 950 €. Toute demande plus ample sera rejetée » ;

ALORS QU'aux termes de l'article L.2323-27 du Code du travail, le comité d'entreprise est informé et consulté sur les problèmes généraux intéressant les conditions de travail résultant de l'organisation du travail, et bénéficie du concours du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail dans les matières relevant de sa compétence dont les avis lui sont transmis ; qu'en application de l'article L.2327-15 du Code du travail, les comités d'établissement ont les mêmes attributions que les comités d'entreprise dans la limite des pouvoirs confiés aux chefs de ces établissements ; que la Cour d'appel a jugé que la procédure de consultation du comité d'établissement de l'URE Région Ouest avait été régulièrement menée aux motifs que l'avis du comité d'entreprise n'était pas conditionné par un avis préalable du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; qu'en se déterminant ainsi, bien qu'il résultait de ses propres énonciations, que le projet litigieux, qui entraînait une réorganisation de l'entreprise et un changement de rattachement managérial pour les salariés, intéressait les conditions de travail résultant de l'organisation du travail, ce dont il s'induisait que le comité d'établissement de l'URE Région Ouest était fondé à solliciter de l'employeur qu'il lui transmette l'avis du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail avant de se prononcer, en sorte que la procédure de consultation du comité d'établissement de l'URE Région Ouest, menée sans que l'employeur ait transmis préalablement cet avis, était irrégulière, la Cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L.2323-27, L.2327-15 et L.2323-4 du Code du travail ;

ET ALORS, à titre subsidiaire, QU'aux termes de l'article L.4614-9 du Code du travail, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dont les avis sont transmis au comité d'entreprise dans les matières relevant de sa compétence, reçoit de l'employeur les informations qui lui sont nécessaires pour l'exercice de ses missions ; qu'à supposer même que l'on puisse considérer que le comité d'établissement de l'URE Région Ouest a eu connaissance de l'avis du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, la Cour d'appel, qui a relevé, par motifs propres et adoptés, que la majorité des membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, avait refusé de se prononcer au motif qu'il n'était pas répondu à leurs questions jugées non nécessaires par le représentant de la direction, aurait dû en déduire que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail n'avait pas été régulièrement consulté, faute pour l'employeur de lui avoir transmis les informations nécessaires à l'exercice de sa mission, en sorte que la procédure de consultation du comité d'établissement de l'URE Région Ouest était également irrégulière, en l'absence de transmission d'un avis régulier du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; que la Cour d'appel, qui n'a, à nouveau, pas tiré les conséquences légales de ses propres constations, a violé les articles L.2323-27, L.4614-9 et L.2323-4 du Code du travail ;

ALORS, enfin, et à titre subsidiaire, QU'aux termes de l'article L.2323-4 du Code du travail, les informations transmises par l'employeur au comité d'entreprise pour lui permettre de formuler un avis motivé doivent être précises, écrites, complètes et loyales ; que la Cour d'appel a relevé que le président du comité d'établissement de l'URE Région Ouest était passé au vote de l'avis, en dépit et après le vote d'une résolution aux termes de laquelle le comité d'établissement considérait qu'il n'était pas en mesure d'émettre un avis ; qu'il s'en évinçait nécessairement que l'employeur n'avait pas fourni au comité d'établissement une information complète et loyale, en sorte que la procédure de consultation était irrégulière ; qu'en décidant le contraire, aux motifs qu'une interprétation différente aurait pour conséquence de permettre au comité d'établissement de bloquer sans motif le processus décisionnel, la Cour d'appel a, à nouveau, violé les articles L.2323-4 et L.2327-15 du Code du travail.

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