Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 26 juin 2012, 11-14.022, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., employée depuis le 2 décembre 2003 en qualité de chargée de recrutement en dernier lieu par la société Jems, a été licenciée pour faute grave le 10 août 2007 pour avoir tenu des propos injurieux dénigrant ses collègues et la hiérarchie de l'entreprise ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de paiement de diverses indemnités au titre de la rupture ;

Sur le moyen unique pris en sa première branche :

Vu les articles 9 du code civil et 9 du code de procédure civile ;

Attendu que pour condamner l'employeur au paiement de diverses sommes, l'arrêt énonce que les propos litigieux résultent d'une correspondance échangée entre la salariée et une de ses collègues via la messagerie électronique de leurs ordinateurs et que la personne qui atteste avoir été autorisée par cette dernière à en prendre connaissance directement sur son poste et à en garder la trace est contredite par celle-ci qui affirme n'avoir jamais divulgué la teneur de ces courriers qui étaient d'ordre privé ;

Attendu cependant que les courriels adressés par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé, sauf si le salarié les identifie comme personnels ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si les courriels litigieux avaient été identifiés comme personnels par leur auteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

Et sur le moyen pris en sa seconde branche :

Vu les articles L. 1232-3, L. 1235-1 et L. 1235-2 du code du travail ;

Attendu que pour condamner l'employeur, l'arrêt ajoute que ce dernier n'a pas précisé lors de l'entretien préalable les dénigrements reprochés à la salariée ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les déclarations faites lors de l'entretien préalable ne privaient pas l'employeur de la possibilité d'énoncer dans la lettre de licenciement la teneur des propos injurieux reprochés à la salariée et d'en justifier dans le cadre du litige auquel donnait lieu sa décision, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 janvier 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne Mme X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six juin deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils, pour la société Jems.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit le licenciement de Madame X... dénué de cause réelle et sérieuse, d'AVOIR condamné la société JEMS à verser à Madame X... diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents à ce préavis, d'indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied et de congés payés afférents et d'AVOIR ordonné à la société JEMS de rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à Madame X... dans la limite de six mois d'indemnités ;

AUX MOTIFS QUE « la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits, imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l'employeur. Il appartient à ce dernier, qui s'est placé sur le terrain disciplinaire, de prouver les faits fautifs invoqués dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, et de démontrer en quoi ils rendaient immédiatement impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; qu'en l'espèce selon la lettre de licenciement, il est reproché à Mademoiselle X... d'avoir tenu des propos dénigrants et injurieux à l'encontre de ses collègues, de sa hiérarchie et de l'entreprise ; que Mademoiselle X... prétend que la preuve des faits allégués, qui repose sur des courriels personnels échangés avec sa collègue Y..., a été obtenue par une véritable fouille de l'ordinateur de Mademoiselle Y..., absente le 4 juillet 2007 ; que la Société JEMS indique avoir eu connaissance des faits fautifs, non par les mails eux-mêmes mais par la relation précise de leur contenu par Madame Z..., laquelle avait elle-même été autorisée par Madame Y... à consulter son ordinateur en son absence ; qu'il ressort des pièces versées aux débats que les propos qualifiés de « dénigrants et injurieux » résultent d'une correspondance échangée entre Mesdames Y... et X... sur leurs ordinateurs par messagerie électronique ; que Madame Z..., indique dans une attestation du 28 juillet 2008 avoir été autorisée par Madame Y... à prendre connaissance de ces mails directement sur son poste et en garder une trace ; que cette allégation est cependant formellement contredite par Madame Y... qui a toujours affirmé (courrier du 6 septembre 2008, attestation du 1er février 2009) n'avoir jamais divulgué la teneur de ces courriers, qui étaient d'ordre privé, ainsi que l'a relevé le juge départiteur ; que l'attestation du 16 février 2009 de Monsieur Armand B..., Directeur associé, déclarant que Madame Y... avait formellement autorisé Madame Z..., cadre commercial, à récupérer sur sa messagerie les mails envoyés par Madame X... ne peut être prise en compte, Monsieur B..., auteur de la lettre de licenciement, ne pouvant se faire de preuve à lui-même. De même cette attestation ne peut pour les mêmes motifs être prise en compte pour démontrer le caractère mensonger de l'attestation de Monsieur Grégoire C..., ingénieur d'affaires, du 4 septembre 2007 affirmant avoir été chargé mi-avril de « noter tout ce qui éventuellement pourrait ne pas aller dans le travail d'Isabelle X... » ; qu'il y avait eu un « défilé de candidates pour un poste de chargé de recrutement » ; que le 15 mai 2007, le bureau d'Isabelle X... avait été fouillé par la direction en son absence pendant qu'elle faisait passer des entretiens à l'extérieur ; que fin avril 2007 Monsieur B... lui avait dit de se méfier de Mademoiselle X... « manipulatrice dangereuse dans la société » et lui avait confié « s'être procuré des preuves illégalement de cette affirmation ». Et les attestations produites par l'employeur faisant état d'un prétendu harcèlement de Madame X..., sont inopérantes à prouver les propos dénigrants et injurieux, observation étant faite que la lettre de licenciement n'invoque pas de faits de harcèlement dont Isabelle X... aurait été l'auteur ; que compte tenu de ces éléments, la société JEMS n'établit pas avoir obtenu par des moyens licites les mails recueillis sur la messagerie de Madame Y... ; que dans ces conditions, la preuve des propos dénigrants et injurieux, obtenus par des moyens illicites, ne peut servir à établir la faute grave invoquée dans la lettre de licenciement. Le licenciement sera donc déclaré sans cause réelle et sérieuse ; que par ailleurs, il résulte du compte rendu d'entretien préalable et de l'attestation du conseiller de la salariée, Monsieur D... (pièces 19 et 20) que l'employeur (Monsieur B...) n'a jamais précisé explicitement pendant l'entretien préalable les « dénigrements » reprochés à Mademoiselle X... ; qu'il n'a pas voulu produire les mails et témoignages sur lesquels il s'appuyait ; qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu que la Société ELMARK n'avait pas usé d'un moyen de preuve déloyal et que les propos de la salariée justifiaient qu'il soit mis fin au contrat sans respect du préavis » ;

1. ALORS QUE les courriers adressés par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé, sauf si le salarié les identifie comme personnels ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les propos dénigrants et injurieux reprochés à Madame X... résultaient d'une correspondance échangée avec l'une de ses collègues de travail sur leurs ordinateurs de travail, par la voie de leur messagerie électronique professionnelle ; qu'il en résultait que ces courriers électroniques étaient présumés avoir un caractère professionnel et que, faute de les avoir été identifiés comme étant personnels, Madame X... ne pouvait reprocher à la société JEMS d'en avoir pris connaissance, même sans son autorisation ou celle de la destinataire de ces courriers ; qu'en écartant ces courriers comme constituant des modes de preuve illicites, au motif que la société JEMS ne démontrait pas avoir été autorisée à en prendre connaissance, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée par la société JEMS, si ces courriers avaient été identifiés comme personnels, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, 9 du Code civil, 9 du Code de procédure civile et L. 1121-1 du Code du travail ;

2. ALORS QUE la circonstance qu'au cours de l'entretien préalable, l'employeur n'ait pas suffisamment précisé les faits reprochés au salarié et n'ait pas produit les preuves de ces faits n'est pas de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse ; qu'en retenant encore, pour dire le licenciement de Madame X... dépourvu de cause réelle et sérieuse, qu'il résultait du compte-rendu de l'entretien préalable établi par le conseiller du salarié qu'au cours de cet entretien, l'employeur n'a jamais précisé explicitement les dénigrements reprochés à Madame X..., ni voulu produire les mails et témoignages sur lesquels il s'appuyait, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 1232-3, L. 1235- 1et L. 1235-2 du Code du travail.

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