Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 14 juin 2012, 10-17.239, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique pris en ses deux premières branches :

Vu la loi des 16-24 août 1790 et l'article 4 du titre II de la loi du 28 pluviôse an VIII, ensemble les articles L. 124-1 et L. 124-3 du code des assurances ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par un marché de travaux publics du 7 mai 1987, la commune de Bourg Saint-Maurice (la commune) a confié à la société Botto la réalisation d'un funiculaire ; que celle-ci a sous traité la conception, le contrôle, la révision et la réalisation des éléments électromécaniques nécessaires au projet à la société Von Roll systemes de transport (VRST) aux droits de laquelle se trouve la société Aaerstern, assurée auprès de la société Gerling-Konzern devenue HDI-Gerling Versicherung AG (l'assureur) ; que la commune s'est plainte de désordres et a recherché la responsabilité de la société VRST d'abord devant un tribunal administratif, puis devant une juridiction judiciaire qu'elle a saisie d'une action en garantie contre l'assureur puis ensuite d'une action en responsabilité et indemnisation contre la société Aaerstern ; que ces procédures judiciaires ont été jointes ; que par une décision du 19 février 2003, le juge de la mise en état a rejeté l'exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative soulevée dans le cadre de l'action engagée contre la société Aaerstern et a ordonné le sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive de la juridiction administrative parallèlement saisie ; qu'un arrêt de la Cour de cassation du 4 juillet 2006 (pourvoi n° 04-17.943) a cassé sans renvoi l'arrêt confirmatif de la cour d'appel statuant sur l'appel de cette décision et a dit le juge judiciaire incompétent pour connaître du litige opposant la commune à la société Aaerstern ; que par un arrêt définitif du 9 mars 2006, la cour administrative d'appel a débouté la commune de sa demande à l'encontre de la société VRST ; que l'instance pendante devant le tribunal de grande instance a été reprise n'opposant plus que la commune à l'assureur du sous-traitant ;

Attendu que pour condamner l'assureur à payer à la commune la somme en principal de 1 690 044,46 euros, l'arrêt énonce que la mise en cause de l'assuré n'étant pas une condition de recevabilité de l'action directe de la victime contre l'assureur formée en application de l'article L. 124-3 du code des assurances, la juridiction judiciaire est seule compétente pour connaître de l'appréciation des garanties d'assurances qui supposent l'analyse d'un contrat de droit privé, alors même que l'appréciation de la responsabilité de l'assuré relèverait du juge administratif, lorsque l'assuré est un sous-traitant du titulaire d'un marché public ; qu'en l'espèce, il est constant que les malfaçons imputables à VRST sont à l'origine du dommage invoqué par la commune de Bourg-Saint-Maurice ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, d'une part, un assureur de responsabilité ne peut être tenu d'indemniser le préjudice causé à un tiers par la faute de son assuré, que dans la mesure où ce tiers peut se prévaloir contre l'assuré d'une créance née de la responsabilité de celui-ci, et que la décision de la juridiction administrative déboutant la commune de sa demande en indemnisation profite dès lors à l'assureur ; que, d'autre part, le juge judiciaire, saisi de l'action directe de la victime contre l'assureur, n'est pas autorisé à se prononcer sur la responsabilité de l'assuré lorsque celle-ci relève d'une juridiction administrative, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 février 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne la commune de Bourg Saint-Maurice Les Arcs aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la commune de Bourg-Saint-Maurice Les Arcs, la condamne à payer à la société HDI-Gerling Versicherung AG la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société HDI-Gerling Versicherung AG.

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné l'assureur (la société HDI Gerling Versicherung AG) à payer au tiers exerçant l'action directe (la commune de Bourg Saint Maurice) la somme en principal de 1.690.044,46 € ;

AUX MOTIFS que « la mise en cause de l'assuré n'étant pas une condition de recevabilité de l'action directe de la victime contre l'assureur formée en application de l'article L.124-3 du Code des assurances, la juridiction judiciaire est seule compétente pour connaître de l'appréciation des garanties d'assurances qui supposent l'analyse d'un contrat de droit privé alors même que l'appréciation de la responsabilité de l'assuré relèverait du juge administratif, lorsque l'assuré est sous-traitant du titulaire d'un marché public (Civ III 16 mars 2005 – bulletin 2005 III n°66) ; … qu'en l'espèce, il est constant que les malfaçons imputables à Von Roll Transport Systèmes AG sont à l'origine du dommage invoqué par la commune de Bourg-Saint-Maurice ; … qu'il y a lieu dès lors d'infirmer le jugement déféré pour condamner la société HDI Gerling Versicherung à indemniser la commune de Bourg-Saint-Maurice selon les termes du contrat d'assurance »

ALORS, d'une part, que l'assureur de responsabilité ne peut être tenu envers la victime lorsque cette dernière ne peut elle-même se prévaloir contre l'assuré d'une créance née de la responsabilité de celui-ci ; qu'en l'espèce la juridiction administrative, seule compétente pour statuer sur cette responsabilité extra-contractuelle, a définitivement jugé que devait être écartée toute responsabilité du sous-traitant à l'égard de la commune, maître de l'ouvrage ; qu'en condamnant cependant l'assureur du sous-traitant à indemniser la commune de son préjudice, bien que cette dernière ne puisse se prévaloir d'aucune créance à l'encontre de l'assuré, la cour d'appel a violé les articles L.124-1, L.124-3 du code des assurances et 1382 du code civil ;

ALORS, d'autre part, que le juge judiciaire, saisi d'une action directe de la victime contre l'assureur, n'est pas autorisé à se prononcer sur la responsabilité de l'assuré lorsque celle-ci relève de la compétence de la juridiction administrative ; qu'en l'espèce, le juge administratif était seul compétent pour connaître de la responsabilité extra-contractuelle du sous-traitant à l'égard de la commune, maître de l'ouvrage, dans le cadre de l'exécution d'un marché de travaux publics ; qu'au demeurant, cette compétence exclusive de la juridiction administrative avait été définitivement reconnue tant par la juridiction judiciaire (arrêt n°04-17.943 de la première chambre civile de la Cour de cassation du 4 juillet 2006) que par la juridiction administrative, laquelle avait écarté toute responsabilité du sous-traitant (arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 9 mars 2006) ; que cependant, saisie de l'action directe de la commune à l'encontre de l'assureur du soustraitant, la cour d'appel a, pour retenir la garantie de l'assureur, constaté la responsabilité délictuelle de l'assuré à l'égard de la commune dans la survenance des dommages, en dépit de la solution contraire adoptée par la juridiction administrative ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le principe de la séparation des pouvoirs et violé la loi des 16-24 août 1790, l'article 4 du titre II de la loi du 28 pluviôse an VIII, ensemble les articles L.124-1 et L.124-3 du code des assurances ;

ALORS, encore, que par un arrêt, devenu définitif, du 9 mars 2006, la cour administrative d'appel de Lyon a écarté toute responsabilité extra-contractuelle du sous-traitant à l'égard de la commune, maître de l'ouvrage ; que tant la commune de Bourg Saint Maurice que la société HDI Gerling Versicherung AG, assureur du sous-traitant, étaient parties à cette instance ; qu'en décidant cependant, pour retenir la garantie de l'assureur du sous-traitant à l'égard de la commune, que le sous-traitant avait engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard de cette dernière, la cour d'appel a méconnu l'autorité de chose jugée de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 9 mars 2006, violant ainsi l'article 1351 du Code civil ;

ALORS, subsidiairement, que, pour retenir la responsabilité du sous-traitant à l'égard de la commune, la cour d'appel se contente d'affirmer « qu'il est constant que les malfaçons imputables à Von Roll Transport Systèmes AG sont à l'origine du dommage invoqué par la commune de Bourg-Saint-Maurice » ; qu'en statuant ainsi, par voie de simple affirmation, sans préciser sur quels éléments de preuve elle se fondait pour retenir tant la faute imputé au sous-traitant que le lien de causalité entre cette faute et les dommages invoqués par la commune, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

Retourner en haut de la page