Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 13 juin 2012, 11-16.277, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 11-16.277
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation
- Président
- Mme Fossaert (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article L. 412-1 du code rural et de la pêche maritime ;
Attendu que le propriétaire bailleur d'un fonds de terre ou d'un bien rural qui décide ou est contraint de l'aliéner à titre onéreux, sauf le cas d'expropriation pour cause d'utilité publique, ne peut procéder à cette aliénation qu'en tenant compte d'un droit de préemption au bénéfice de l'exploitant preneur en place ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 22 février 2011), que, par jugement du 18 septembre 1989, la dissolution anticipée de la société civile immobilière Aréna (la SCI) a été prononcée et un liquidateur a été désigné avec mission de proposer le partage des biens immobiliers et mobiliers dépendant de la société et l'apurement du passif ; que, par arrêt du 27 juillet 1994, le liquidateur a été autorisé à vendre un domaine agricole appartenant à la SCI à M. A..., associé de la SCI et fils du gérant décédé afin d'apurer le passif social ; que, parallèlement et en raison de l'état d'inculture constaté des terres litigieuses, le tribunal paritaire des baux ruraux a attribué à la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Haute-Corse (SAFER), par jugement du 30 mars 1993, confirmé par arrêt du 22 février 1994, le droit d'exploiter les parcelles litigieuses ; que, par acte sous seing privé du 22 février 1996, la SAFER a cédé son droit au bail sur les terres à MM. X..., Y... et Z... (les consorts Z...) ; que le notaire chargé de passer l'acte au profit de M. A... leur a signifié les conditions de la vente ; que les preneurs ont fait connaître au notaire leur décision d'exercer leur droit de préemption sur les terres litigieuses ; que M. A... a assigné les consorts Z... et le liquidateur de la SCI en régularisation de la vente à son profit ;
Attendu que pour accueillir la demande, l'arrêt retient que pour que le preneur puisse bénéficier du droit de préemption et l'exercer, il doit s'agir d'une aliénation volontaire et que l'acquisition par M. A..., associé de la SCI, des terres dépendant de l'actif social, qui s'inscrit dans le cadre des opérations de liquidation et de partage de cette société entre associés, ne constitue pas, en raison de l'effet déclaratif du partage, une aliénation à titre onéreux donnant aux consorts Z..., preneurs, le bénéfice du droit de préemption ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la vente d'un actif social réalisée au cours de la liquidation de la société en vue d'apurer le passif social et avant le partage, constitue une aliénation à titre onéreux ouvrant aux preneurs le bénéfice du droit de préemption, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 février 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bastia ;
Condamne M. A... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. A... à verser à MM. Y... et Z... la somme globale de 2 500 euros ; rejette la demande de M. A... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par Mme le président en l'audience publique du treize juin deux mille douze, signé par Mme Fossaert, président, et par Mme Berdeaux, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Spinosi, avocat aux Conseils, pour MM. Z... et Y...
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que l'attribution à André A..., associé de la société ARENA, selon l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 27 juillet 1994, des terres situées à Tallone (Haute-Corse) et appartenant à cette société, moyennant le prix de 320. 000 francs, ne constitue pas une aliénation à titre onéreux donnant aux consorts Z..., X... et Y... le bénéfice du droit de préemption et d'avoir, en conséquence, débouté les consorts Z..., X... et Y... de toutes leurs demandes et enjoint à Jean-Pierre D..., ès qualités, de signer l'acte authentique de vente au profit de Monsieur André A... ;
Aux motifs que, « Augustin Z..., Jérôme X... et François Y..., titulaires d'un bail à ferme sur les parcelles situées sur la Commune de TALLONS (Haute-Corse), cadastrées section C n° 57, 58, 59, 64, 65, 66, 68, 69 et section D n° 101, 102, 103 et 104 pour une superficie totale de 102 hectares 58 ares 59 centiares, appartenant à la Société ARENA, à André A... et à Chantal B... veuve de Jean-Marie A..., en vertu d'une cession de droit au bail que leur a consenti la SAFER CORSE selon un acte sous seing privé de cession de droit au bail en date du 22 février 1996, se prévalent d'un droit de préemption sur la totalité de ces parcelles sans distinguer entre celles appartenant à la Société ARENA et celles appartenant à André A... et à Chantal A..., alors que leur prétention doit être nécessairement et en toute hypothèse limitée à celles appartenant à la Société ARENA en liquidation qui sont les seules à être proposées à la vente ; que André A... soutient, pour sa part, que l'opération juridique visée par le jugement du 7 décembre 1992 et par l'arrêt confirmatif du 27 juillet 1994, dont il tient les droits qu'il entend exercer sur les biens appartenant à la Société ARENA, n'est pas, contrairement à l'opinion adverse, une vente mais qu'elle s'analyse, en réalité, en un partage entre associés, exclusif d'un droit de préemption au profit des preneurs en place ; qu'il importe dès lors, en premier lieu, de définir la nature des droits d'André A... sur les terres appartenant à la Société ARENA afin de savoir s'ils ouvrent au profit des consorts Z..., X... et Y... un droit de préemption et ce n'est que dans le cas où il serait répondu par l'affirmative à cette question, qu'il conviendra alors de se demander si les trois preneurs susnommés ont conservé ou pas leur droit de préemption ; que Alain F..., désigné en qualité de liquidateur de la Société ARENA par un jugement du 18 septembre 1989 avec mission de proposer le partage des biens mobiliers et immobiliers de la Société et de procéder à l'apurement du passif, a saisi le tribunal de grande Instance de BEZIERS selon acte du 29 mai 1991, pour être autorisé à vendre les terres appartenant à la société et situées en Haute-Corse, Commune de TALLONS, seul moyen, selon lui, d'apurer le passif social ; que André A..., un des associés de la société, a demandé, au principal, qu'il lui soit donné acte de son offre de rachat du domaine et a conclu, subsidiairement, à son attribution préférentielle à son profit ; que le jugement du 7 décembre 1992, après avoir rappelé, dans ses motifs, qu'André A... agissait en qualité d'associé de la société ARENA, lui a donné acte de son offre de rachat du domaine de TALLONE moyennant le prix de 320. 000 francs et a autorisé en conséquence Alain F... ès qualités à céder ce Domaine, d'une superficie totale de 70 hectares 71 ares 69 centiares, à André A... moyennant le prix de 320. 000 francs ; que la cour, en confirmant cette disposition par arrêt du 27 avril 1994, a précisé dans ses motifs qu'André A... pouvait en effet prétendre à l'attribution préférentielle du domaine puisqu'il était associé et qu'il avait, durant de nombreuses années, participé à la mise en valeur des terres ; qu'il apparaît dès lors clairement que l'offre de rachat émise par André A..., associé de la société ARENA, s'inscrit dans le cadre des opérations de liquidation et de partage de cette société ; que l'article 1844-9 du Code Civil énonce, en son alinéa 2, que les règles concernant le partage des successions, y compris l'attribution préférentielle, s'appliquent au partage entre sociétés ; que l'article L. 143-4 du Code Rural figurant dans le chapitre 3 intitulé " Droit de préemption " dispose, en son troisièmement, que ne peuvent faire l'objet d'un droit de préemption les acquisitions effectuées par des cohéritiers sur licitation amiable ou judiciaire ; que l'article L. 412-1 du même code qui s'inscrit dans le titre consacré au statut du fermage et du métayage précise, en son alinéa 2, que les dispositions de l'alinéa précédant (NB : relatives au droit de préemption dont dispose l'exploitant preneur en place lorsque le propriétaire bailleur d'un bien astral décide de l'aliéner à titre onéreux) ne sont pas applicables, s'il s'agit de biens dont l'aliénation, faite en vertu soit d'actes de partage intervenant amiablement entre cohéritiers, soit de partages d'ascendants, soit de mutation, profitent, quel que soit l'un de ces trois cas, à des parents ou alliés du propriétaire jusqu'au 3ème degré inclus et sauf, dans ces mêmes cas, si l'exploitant, preneur en place, est lui-même parent ou allié du propriétaire jusqu'au même degré ; que le droit de préemption supposant un transfert de propriété, les actes de partage qui n'ont pas un effet translatif mais déclaratif excluent l'exercice du droit de préemption du preneur ; qu'il résulte de ces éléments et de l'application des règles concernant le partage des successions au partage entre associés, que l'acquisition par André A..., associé des terres situées à TALLONS dépendant de l'actif social, ne constitue pas, en raison de l'effet déclaratif du partage, une aliénation à titre onéreux donnant aux consorts Z..., X... et Y..., preneurs, le bénéfice du droit de préemption ; que la question de savoir si ces trois preneurs ont perdu leur droit de préemption, longuement développée par André A..., est dès lors sans objet ; qu'il doit en conséquence être enjoint à Jean-Pierre D..., pris en sa qualité de liquidateur de la société ARENA, de signer l'acte authentique portant sur la vente par lui-même ès qualités à André A... des terres appartenant à cette société et situées sur la Commune de TALLONS (Haute-Corse), moyennant le prix de 48. 783, 69 » ;
1/ Alors que, d'une part, le propriétaire bailleur d'un fonds de terre ou d'un bien rural qui décide ou est contraint de l'aliéner à titre onéreux ne peut procéder à cette aliénation qu'en tenant compte d'un droit de préemption au bénéfice de l'exploitant preneur en place ; que le droit de préemption ne peut être écarté quand l'aliénation est consentie à titre onéreux par une société en liquidation judiciaire à l'un de ses associés, avant clôture de la liquidation en dehors de toute opération de partage entre associés ; que par un jugement du tribunal de grande instance de Béziers du 7 décembre 1992, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 27 juillet 1994, Maître F..., ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ARENA, a été autorisé à vendre le domaine de Tallone à Monsieur A... pour un prix de 320. 000 francs ; que cette vente entre la société et l'un de ses associés, est intervenue pour apurer le passif, avant la clôture de la liquidation judiciaire et l'ouverture des opérations de partage de sorte que la vente ne constituait pas une opération de partage ; qu'en jugeant néanmoins que la vente autorisée ne constituait pas une aliénation à titre onéreux donnant aux consorts Z... et Y..., preneurs, le bénéfice du droit de préemption, la cour d'appel a violé les articles L. 412-1 du Code rural et de la pêche maritime et 1844-9 du Code civil ;
2/ Alors que, d'autre part et en toute hypothèse, l'autorité de chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a été tranché par le dispositif ; que le jugement du tribunal de grande instance de Béziers du 7 décembre 1992, confirmé sur ce point par l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 27 juillet 1994, a, dans son dispositif, donné acte à M. André A... de son offre de rachat du domaine de Tallone moyennant le prix de 320. 000 francs et autorisé M. Alain F..., ès qualités de liquidateur judiciaire de la SCI ARENA, à céder le domaine sis à Tallone d'une superficie totale de 70ha 69a 69ca à M. André A... moyennant le prix de 320. 000 francs ; qu'en retenant cependant, pour écarter le droit de préemption de MM. Z... et Y..., que la vente ainsi autorisée ne constituait pas une aliénation à titre onéreux, mais un acte qui s'inscrivait dans le cadre des opérations de liquidation et de partage de la société ARENA, nonobstant les dispositions claires du jugement autorisant la vente, et que l'arrêt précité du 27 juillet 1994 confirmant ce jugement avait, dans ses motifs, considéré qu'André A... pouvait prétendre à l'attribution préférentielle du domaine puisqu'il était associé et qu'il avait, durant de nombreuses années, participé à la mise en valeur des terres, la cour d'appel a violé les articles 1351 du Code civil et 480 du Code de procédure civile.