Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 13 juin 2012, 11-18.791, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 14 mars 2011) que M. X..., propriétaire d'une villa bâtie dans un lotissement, a assigné ses voisins, les époux Y..., pour les faire condamner à procéder à l'élagage du pin dont les branches avancent sur sa propriété et à l'indemniser du préjudice subi ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué de le débouter de sa demande d'élagage alors, selon le moyen :

1°/ que celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres appartenant à son voisin peut contraindre celui-ci à les couper ; que ce droit est imprescriptible ; qu'en se fondant, pour le débouter de sa demande d'élagage des branches du pin parasol appartenant aux époux Y... qui avançaient sur son fonds, sur la circonstance que le règlement du lotissement prévoyait que les arbres existants sur les lots, à l'exception de ceux dont la construction entraînerait l'abattage, devaient être conservés et que le cahier des charges stipulait que les plantations existantes ou créées devaient être maintenues et protégées, quelles que soient leurs distances aux limites séparatives, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a institué des restrictions au droit imprescriptible du propriétaire sur le fonds duquel s'étendent les branches de l'arbre du voisin de contraindre celui-ci à les couper, en violation de l'article 673 du code civil ;

2°/ qu'il ressort du plan de masse du permis de construire, que le pin parasol litigieux n'y est pas indiqué ; qu'en affirmant que l'arbre litigieux était figuré sur le plan de masse, la cour d'appel a dénaturé le plan de masse en violation de l'article 1134 du code civil ;

3°/ qu'il ressort du procès-verbal de constat de Maître Z..., en date du 14 juin 2010, que « les arbres présents du côté Nord de la parcelle voisine ne se retrouvent pas sur le plan de masse, constatation valable pour le cyprès à l'entrée et pour le pin litigieux » ; qu'en ignorant ce procès-verbal et en affirmant que l'arbre litigieux était figuré sur le plan de masse, la cour d'appel a dénaturé par omission ce procès-verbal et violé de la sorte l'article 1134 du code civil ;

4°/ que les juges du fond ont l'obligation de se prononcer sur les documents régulièrement versés aux débats et soumis à leur examen ; qu'en ne se prononçant pas sur la portée des dispositions du procès-verbal de constat, en date du 14 juin 2010, régulièrement versé aux débats, d'où il ressortait que le pin parasol litigieux ne figurait pas sur le plan de masse du permis de construire, la cour d'appel a violé les articles 455 du code de procédure civile et 1353 du code civil ;

5°/ que M. X... faisait valoir dans ses conclusions d'appel que « le plan altimétrique fait état de plusieurs arbres qui ne figurent plus sur le plan de masse déposé à l'appui du permis de construire 85. L'arbre litigieux (à la position altimétrique 29-54) ne constitue en rien un arbre préexistant à la constitution du lotissement ; il a été planté postérieurement à l'implantation des constructions de M. et Mme Y... » ; qu'en se bornant à affirmer péremptoirement que l'arbre litigieux était figuré sur le plan de masse du permis de construire sans s'expliquer davantage sur les différents éléments invoqués par M. X... et qui étaient de nature à établir que l'arbre litigieux figurant sur le plan altimétrique n'apparaissait plus sur le plan de masse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant énoncé à bon droit que l'article 673 du code civil n'est pas d'ordre public et qu'il peut y être dérogé, la cour d'appel, qui a relevé que les articles 12 et 13 du cahier des charges imposaient le maintien et la protection des plantations quelles que soient leurs distances aux limites séparatives, et qui a, sans dénaturation, souverainement retenu, d'une part, que l'arbre litigieux se trouvait sur le plan de masse et, d'autre part, que la coupe des branches du pin parasol entraînerait une mutilation contraire à l'objectif contractualisé de conservation de la végétation existante, en a justement déduit que la demande d'élagage présentée par M. X... devait être rejetée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que M. X... reproche à la cour d'appel de le débouter de sa demande tendant à obtenir la condamnation des époux Y... au paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi alors, selon le moyen :

1°/ qu'en déduisant l'absence de gêne excessive de l'empiètement des branches du pin parasol sur le fonds de M. X... du fait que les troubles constatés étaient inhérents à l'existence de tels végétaux et que M. X... pouvait aménager son fonds de façon à pouvoir poser des panneaux solaires et installer une cheminée, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants et impropres à exclure le caractère anormal du trouble de voisinage, a privé sa décision de base légale au regard des articles 544 et 545 du code civil ;

2°/ qu'en se bornant à énoncer que la thèse de M. X... d'un abus de droit des époux Y..., dans leur résistance à ses prétentions était démentie par l'issue du litige, sans rechercher, comme l'y invitait M. X..., si la branche du pin parasol ne pouvait pas être coupée tout en préservant l'arbre et si ce n'était donc pas uniquement par malice et intention de nuire, que les époux Y... avaient refusé d'élaguer la branche de leur arbre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 544 et 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que M. X... ne démontrait pas l'existence d'une atteinte à la sécurité de son bien, ni celle d'un danger imminent, ni l'impossibilité de poser des panneaux solaires et d'installer une cheminée, la cour d'appel a souverainement retenu que, compte tenu de la caractéristique du lotissement, les nuisances alléguées ne correspondaient pas à un trouble anormal de voisinage et a ainsi légalement justifié sa décision ;

Et attendu qu'ayant retenu que l'opération demandée entraînerait une mutilation contraire à l'objectif contractualisé de préservation et de conservation de la végétation existante, la cour d'appel, qui a effectué la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X... ; le condamne à payer aux époux Y... la somme de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, troisième chambre civile, et prononcé par Madame le président en l'audience publique du treize juin deux mille douze, signé par Madame Fossaert, président, et par Mme Berdeaux, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard, avocat aux Conseils pour M. X...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Monsieur Gilles X... de sa demande d'élagage ;

AUX MOTIFS QUE, sur l'application de l'article 673 du code civil, l'appelant critique le jugement déféré ayant retenu l'existence d'une servitude empêchant l'application des dispositions de cet article, d'une part, en déniant l'existence d'une telle servitude, d'autre part, en excipant du caractère imprescriptible dudit article ; l'argumentation de l'appelant n'apparaît pas de nature à entamer l'analyse du premier juge ; l'article 673 du code civil n'est en effet pas l'ordre public et il peut y être dérogé ; en l'espèce, les pièces produites démontrent la réalité de la présence de l'arbre en cause, avant la division du fond en divers lots et la volonté du lotisseur, résultant notamment des articles 12 et 13 du cahier des charges de garantir le maintien et la protection des plantations, quelque soit leur distance aux limites séparatives ; l'arbre litigieux, un pin parasol, est figuré sur le plan altimétrique établi en 1984, ainsi que sur le plan de masse du permis de construire ; comme le soutiennent avec raison les intimés, l'obligation de maintenir et préserver les arbres existants est exclusive de la coupe des branches avançant sur les fonds voisins, dans la mesure où une telle opération entraînerait une mutilation contraire à l'objectif contractualisé de conservation de la végétation existante, l'arrêté préfectoral du 20 juin 1984 ayant du reste imposé la conservation et la préservation de la végétation, le lotissement étant décrit dans le préambule de cet arrêté, comme constitué par « une pinède assez clairsemée par endroits mais comportant de très beaux sujets » ;

ALORS, D'UNE PART, QUE celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres appartenant à son voisin peut contraindre celui-ci à les couper ; que ce droit est imprescriptible ; qu'en se fondant, pour débouter Monsieur X... de sa demande d'élagage des branches du pin parasol appartenant aux époux Y... qui avançaient sur son fonds, sur la circonstance que le règlement du lotissement prévoyait que les arbres existant sur les lots, à l'exception de ceux dont la construction entraînerait l'abattage, devaient être conservés et que le cahier des charges stipulait que les plantations existantes ou créées devaient être maintenues et protégées, quelles que soient leurs distances aux limites séparatives, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a institué des restrictions au droit imprescriptible du propriétaire sur le fonds duquel s'étendent les branches de l'arbre du voisin de contraindre celui-ci à les couper, en violation de l'article 673 du code civil ;

ALORS, D'AUTRE PART, QU'il ressort du plan de masse du permis de construire, que le pin parasol litigieux n'y est pas indiqué ; qu'en affirmant que l'arbre litigieux était figuré sur le plan de masse, la cour d'appel a dénaturé le plan de masse en violation de l'article 1134 du code civil ;

ALORS, DE TROISIÈME PART, QU'il ressort du procès-verbal de constat de Maître Z..., en date du 14 juin 2010, que « les arbres présents du côté Nord de la parcelle voisine ne se retrouvent pas sur le plan de masse, constatation valable pour le cyprès à l'entrée et pour le pin litigieux » (procès- verbal de constat p. 3) ; qu'en ignorant ce procès-verbal et en affirmant que l'arbre litigieux était figuré sur le plan de masse, la cour d'appel a dénaturé par omission ce procès-verbal et violé de la sorte l'article 1134 du code civil ;

ALORS, DE QUATRIÈME PART, QUE les juges du fond ont l'obligation de se prononcer sur les documents régulièrement versés aux débats et soumis à leur examen ; qu'en ne se prononçant pas sur la portée des dispositions du procès-verbal de constat, en date du 14 juin 2010, régulièrement versé aux débats, d'où il ressortait que le pin parasol litigieux ne figurait pas sur le plan de masse du permis de construire, la cour d'appel a violé les articles 455 du code de procédure civile et 1353 du code civil ;

ALORS, DE CINQUIÈME PART, QUE Monsieur X... faisait valoir dans ses conclusions d'appel que « le plan altimétrique fait état de plusieurs arbres qui ne figurent plus sur le plan de masse déposé à l'appui du permis de construire 85. L'arbre litigieux (à la position altimétrique 29-54) ne constitue en rien un arbre préexistant à la constitution du lotissement ; il a été planté postérieurement à l'implantation des constructions de Monsieur et Madame Y... » (conclusions récapitulatives et responsives de Monsieur X... p. 8 et 9) ; qu'en se bornant à affirmer péremptoirement que l'arbre litigieux était figuré sur le plan de masse du permis de construire sans s'expliquer davantage sur les différents éléments invoqués par Monsieur X... et qui étaient de nature à établir que l'arbre litigieux figurant sur le plan altimétrique n'apparaissait plus sur le plan de masse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 455 du code de procédure civile ;

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Monsieur Gilles X... de sa demande tendant à obtenir la condamnation des époux Y... au paiement de la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ;

AUX MOTIFS QUE sur l'abus de droit et le trouble anormal de voisinage, l'appelant réitère ses diverses doléances soulevées au titre d'un prétendu trouble anormal de voisinage, notion juridique parfaitement recevable en son principe, mais supposant la démonstration de l'anormalité du trouble invoqué pour prospérer ; ajoutant au procès-verbal de constat du 30 avril 2008, produit en première instance, ils communiquent un nouveau constat du 14 juin 2010, ainsi qu'un avis d'un expert forestier (Monsieur A...) retenant l'existence d'un trouble anormal, la branche du pin « dépassant la limite séparative couvrant le garage et touchant le toit de la propriété de Monsieur X... » ; la chute d'aiguilles de pin sur l'abri voiture et la toiture ne peut être regardée comme constitutive d'un trouble anormal de voisinage, eu égard à la caractéristique du lotissement, comportant de nombreux pins parasols ; il en va de même des effets induits par l'existence de ce végétal, dont l'ombre portée sue le fonds voisin n'excède pas, compte tenu des contraintes naturellement inhérentes à l'existence de tels végétaux, les troubles normaux de voisinage ; l'appelant invoque encore l'impossibilité de jouir complètement de sa propriété eu égard à l'impossibilité de poser des panneaux solaires et d'installer une cheminée ; concernant les panneaux, le devis produit par l'appelant vise une installation sur l'abri voiture, alors que les intimés objectent, non sans raison, que ce type d'installation pourrait normalement être mise en oeuvre non sur le toit d'une dépendance de 2,50 mètres de haut, mais sur le toit de la maison de l'appelant ;

ALORS, D'UNE PART, QUE nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, que ni l'ancienneté du trouble, ni l'antériorité de son origine par rapport aux aménagements réalisés et envisagés, ne sont de nature à exclure son caractère anormal, le propriétaire d'un fonds n'étant pas tenu d'aménager celui-ci de façon à subir le moins possible les troubles imposés par le voisin ; qu'en déduisant l'absence de gêne excessive de l'empiètement des branches du pin parasol sur le fonds de Monsieur X... du fait que les troubles constatés étaient inhérents à l'existence de tels végétaux et que Monsieur X... pouvait aménager son fonds de façon à pouvoir poser des panneaux solaires et installer une cheminée, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants et impropres à exclure le caractère anormal du trouble de voisinage, a privé sa décision de base légale au regard des articles 544 et 545 du code civil ;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE le droit de propriété comportant celui de jouir de la chose de la manière la plus absolue, un propriétaire se rend coupable d'un abus de droit lorsqu'il use de sa propriété dans l'intention de nuire à son voisin ; que Monsieur X... faisait valoir que les époux Y... avaient abusé du droit qu'ils tenaient du règlement du lotissement et du cahier des charges de conserver et protéger les arbres existant sur les lots, ce dans la seule intention de lui nuire dès lors que la réduction de la taille de la branche du pin parasol ne portait nullement atteinte à la préservation de cet arbre ; qu'en se bornant à énoncer que la thèse de Monsieur X... d'un abus de droit des époux Y..., dans leur résistance à ses prétentions était démentie par l'issue du litige, sans rechercher, comme l'y invitait Monsieur X..., si la branche du pin parasol ne pouvait pas être coupée tout en préservant l'arbre et si ce n'était donc pas uniquement par malice et intention de nuire, que les époux Y... avaient refusé d'élaguer la branche de leur arbre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 544 et 1382 du code civil.

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