Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 30 mai 2012, 11-18.024, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Lioser et M. X... que sur le pourvoi incident éventuel relevé par la société ITM région parisienne ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la société Lioser, constituée par M. X..., exploitait un magasin Intermarché en vertu d'un contrat d'enseigne conclu le 21 avril 1998 pour dix ans avec la société ITM Entreprises ; que la société ITM région parisienne, filiale de cette dernière, est devenue détentrice de 34 % en nue-propriété des actions représentant le capital de la société Lioser ; que sa qualité de nue-propriétaire lui donnait le droit de vote aux assemblées générales extraordinaires ; que le 26 octobre 2007, M. X... et la société Lioser ont informé la société ITM Entreprises que le contrat d'enseigne ne serait pas renouvelé à son échéance ; que la société ITM région parisienne, soutenant que la décision de ne pas reconduire le contrat d'enseigne relevait, en application des statuts, de la compétence de l'assemblée générale extraordinaire, a fait assigner la société Lioser et M. X... en annulation de la dénonciation de ce contrat ; que la société Lioser et M. X... ont soulevé la nullité de la disposition statutaire imposant la convocation d'une assemblée générale extraordinaire pour dénoncer le contrat d'enseigne ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable :

Attendu que la société ITM région parisienne fait grief à l'arrêt d'avoir écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en nullité de l'article 34 des statuts de la société Lioser, alors, selon le moyen, qu'en considérant que la société Lioser et M. X... pouvaient exciper, perpétuellement, de la nullité de l'article 34 des statuts de la société Lioser, cependant que l'exception de nullité de l'article 34 n'était invoquée que pour faire obstacle à la demande de nullité de la dénonciation du contrat d'enseigne, laquelle ne tendait donc pas à faire échec à une demande d'exécution d'un acte juridique, la cour d'appel a violé l'article 1844-14 du code civil ;

Mais attendu que l'exception de nullité peut seulement être invoquée pour faire échec à la demande d'exécution d'un acte juridique qui n'a pas encore été exécuté ; qu'ayant relevé que la société Lioser et M. X... n'avaient pas convoqué une assemblée générale extraordinaire en vue d'autoriser la dénonciation du contrat d'enseigne, ce dont il résultait que la disposition statutaire dont ils demandaient la nullité n'avait pas été exécutée, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche :

Sur la recevabilité du moyen contestée par la défense :

Attendu que le moyen est de pur droit, le pourvoi ne se prévalant d'aucun fait qui n'ait été connu par les juges du fond, soumis à leur appréciation et constaté dans la décision attaquée ; que la fin de non-recevoir n'est pas fondée ;

Et sur le moyen :

Vu l'article 1844-10, alinéa 2, du code civil, ensemble les principes de la liberté contractuelle et de la liberté de la concurrence ;

Attendu que pour dire n'y avoir lieu de prononcer la nullité de l'article 34 des statuts de la société Lioser, l'arrêt retient que cette disposition statutaire, qui est conforme à l'article L. 225-96 du code de commerce, ne contrevient, en elle-même, ni à la liberté du commerce, ni à la prohibition des ententes anti-concurrentielles ou des engagements perpétuels ; qu'il retient encore qu'en réalité, la société Lioser et M. X... contestent la convention d'usufruit sans en tirer une quelconque conséquence, et surtout l'usage abusif ou illicite que la société ITM Entreprises, sous le couvert de la société ITM région parisienne qu'elle contrôle, peut faire de la minorité de blocage qu'elle détient pour imposer la poursuite sans fin du contrat de franchise ; qu'il retient enfin qu'alors même que ces contestations seraient fondées, elles ne sauraient, en toute hypothèse, entraîner la nullité de la disposition statutaire incriminée ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette disposition statutaire, considérée non pas seulement en elle-même, mais au regard des circonstances constituées par la minorité de blocage dont disposait la société ITM région parisienne et compte tenu de la dépendance de cette dernière envers la société ITM Entreprises dont elle était la filiale à 99 %, n'avait pas pour objet ou pour effet de porter atteinte à la liberté contractuelle et de la concurrence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes et principes susvisés ;

Et attendu que la cassation sur le premier moyen entraîne la cassation, par voie de conséquence, de la disposition de l'arrêt ayant prononcé la nullité de la dénonciation du contrat d'enseigne à laquelle M. X... a procédé sans autorisation de l'assemblée générale extraordinaire de la société Lioser, ainsi que celle de la délibération du conseil d'administration l'y ayant autorisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du premier moyen ni sur le second moyen du pourvoi principal :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer, infirmé le jugement et déclaré la société ITM région parisienne recevable en son action, l'arrêt rendu le 17 février 2011, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne la société ITM région parisienne aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Lioser et à M. X... la somme globale de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente mai deux mille douze.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils pour la société Lioser et M. X....

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

II est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué, qui a déclaré la société ITM REGION PARISIENNE recevable en son action, D'AVOIR dit n'y avoir pas lieu d'annuler l'article 34 des statuts de la société LIOSER ;

AUX MOTIFS QUE selon l'article 34 des statuts de la société Lioser « l'assemblée générale extraordinaire est seule habilitée à statuer, ces décisions impliquant obligatoirement la modification des statuts, compte tenu de l'objet spécifique de la société, sur la cession ou l'apport de fonds de commerce ou sa mise en location gérance, la cession d'une branche d'activité, la cession de l'immeuble ou du droit au bail de la société, la cession du contrat de crédit - bail immobilier, le retrait ou le changement de l'enseigne sous laquelle est exploité le fonds de commerce » ; que la disposition statutaire ci-dessus rappelée, qui est régulière au regard des dispositions de l'article L. 225 - 96 du code de commerce, ne contrevient, en elle- même, ni à la liberté du commerce, ni à la prohibition des ententes anticoncurrentielles ou des engagements perpétuels ; qu'en réalité, les intimés contestent la convention d'usufruit sans en tirer une quelconque conséquence, et surtout l'usage abusif ou illicite que la société ITM Entreprises, sous couvert de la société ITM Région Parisienne qu'elle contrôle, peut faire de la minorité de blocage qu'elle détient pour imposer la poursuite sans fin du contrat de franchise ; qu'alors même que les contestations seraient fondées, ce qu'il appartiendra au tribunal arbitral d'apprécier, ceci ne saurait, en tout cas, entraîner la nullité de la disposition statutaire incriminée ;

1° ALORS QUE les exposants, critiquant les stipulations de l'article 34 des statuts de la société LIOSER pour qu'elles soient dites nulles, ou du moins non écrites, n'ont pas contesté qu'une modification statutaire dût faire l'objet d'un vote d'assemblée générale extraordinaire ; ils n'ont appelé la cour ni à juger elle-même que la société ITM ENTREPRISES avait fait un usage illicite de la minorité de blocage de la société ITM REGION PARISIENNE qu'elle contrôle, ni à juger elle-même de la convention d'usufruit conclu au profit de cette dernière, ces différentes éléments n'étant que des circonstances objectives du litige, statutaires ou factuelles, non leur objet, au regard desquelles devait intervenir l'examen de l'article 34 susvisé ; qu'en décidant le contraire, la cour, qui a dénaturé les termes du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2° ALORS QUE toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du titre IX du livre III du code civil, dont la violation n'est pas sanctionnée par la nullité de la société est réputée non écrite ; qu'il est impératif, notamment, que la société tende, non seulement à un objet licite, mais aussi à l'intérêt commun des créanciers ; qu'en l'espèce, tandis que l'article 2 des statuts limite l'exploitation du fonds à l'enseigne "Intermarché", l'article 34 des statuts de la société LIOSER stipule que « l'assemblée générale est seule habilitée à statuer, ces décisions impliquant obligatoirement modification des statuts, compte tenu de l'objet spécifique de la société, sur notamment (...) le retrait ou le changement de l'enseigne sous laquelle est exploité le fonds de commerce, la conclusion ou la rupture de tout contrat de distribution ou d'approvisionnement, l'acquisition ou la cession de toute participation (...) » ;
qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si les stipulations de l'article 34 contesté, considérées non pas seulement « en elles-mêmes » mais au regard des circonstances constituées par la minorité de blocage et la convention dont disposait la société ITM REGION PARISIENNE et de sa dépendance totale (99 %) à l'égard de sa société-mère, la société ITM ENTREPRISES, ne conféraient pas aux conventions conclues un caractère statutaire, au profit et sous le contrôle exclusifs de la société ITM REGION PARISIENNE et de sa société-mère, en contravention à la liberté conventionnelle de la société LIOSER, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles 1844-10 al. 2 et 1833 du code civil ;

SECOND MOYEN DE CASSATION :

II est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué, qui a déclaré la société ITM REGION PARISIENNE recevable en son action, D'AVOIR prononcé la nullité de la dénonciation du contrat d'enseigne à laquelle M. X... a procédé, le 16 octobre 2007, sans autorisation de l'assemblée générale extraordinaire de la société LIOSER, ainsi que celle de la délibération du conseil d'administration qui l'y avait autorisé ;

AUX MOTIFS QUE M. X... s'est cru autorisé à dénoncer le contrat d'enseigne avec la seule autorisation de son conseil d'administration ; qu'il se retranche vainement derrière les dispositions des articles L. 225-35 et L. 225-56 du code de commerce, alors que les pouvoirs dévolus par ces textes au conseil d'administration et au directeur général trouvent leurs limites dans les statuts, lesquels, en l'espèce, réservent expressément, en leur article 34, à l'assemblée générale extraordinaire le soin de décider un retrait ou un changement d'enseigne ; que, contrairement à ce que croient pouvoir affirmer les appelants, la dénonciation du contrat de franchise impliquait nécessairement le retrait de l'enseigne Intermarché, dès lors que la société LIOSER rompait tout lien avec le groupe Intermarché, et, de fait, la société s'est immédiatement placée sous l'enseigne Casino après l'expiration du contrat Intermarché en avril 2008 ; qu'en outre, ainsi qu'il est d'ailleurs expressément précisé à l'article 34 des statuts, le retrait ou le changement de l'enseigne impliquait obligatoirement la modification des statuts, ceci s'expliquant par le fait que l'article 2 des statuts mentionnait que la société exploitait son fonds sous l'enseigne Intermarché ; qu'en conséquence, le retrait de l'enseigne Intermarché ressortissait à la compétence de l'assemblée générale extraordinaire et non pas du dirigeant social, même autorisé par le conseil d'administration ; que les intimés font toutefois valoir que, même irrégulière, la dénonciation du contrat d'enseigne ne saurait être sanctionnée par la nullité, conformément aux dispositions de l'article L. 235 -1 al. 2 du code de commerce, selon lesquelles « la nullité d'actes ou délibérations autres que ceux prévus à l'alinéa précédent actes modifiant les statuts ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent livre art. L. 210 à L. 252 du même code ou des lois qui régissent les contrats » ; que le texte applicable est, en réalité, l'alinéa 1er, selon lequel « la nullité d'une société ou d'un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d'une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats », dès lors que la dénonciation du contrat d'enseigne entraînait ipso facto la modification des statuts ; qu'a ainsi été violé l'article L 225-96 du Code de commerce, selon lequel « l'assemblée générale extraordinaire est seule habilitée à modifier les statuts dans toutes leurs dispositions. Toute clause contraire est réputée non écrite », ceci impliquant qu'est nécessairement nulle toute modification des statuts qui ne serait pas l'oeuvre de l'assemblée extraordinaire ; qu'en outre, en prenant sciemment une décision qui excédait ses pouvoirs, dans le seul but de contourner le vote défavorable prévisible de l'assemblée générale extraordinaire au changement d'enseigne, M. X... s'est rendu coupable d'une fraude qui, en vertu des principes généraux du droit, est sanctionnée par la nullité ; qu'il convient dès lors d'annuler la dénonciation du contrat d'enseigne effectuée par M. X... sans autorisation de l'assemblée générale extraordinaire ;

1° ALORS QUE la décision de la cour de prononcer la nullité de la dénonciation du contrat d'enseigne à laquelle M. X... avait procédé, le 16 octobre 2007, et de la délibération du conseil d'administration qui l'y avait autorisé repose sur l'application de l'article 34 des statuts, dont la société LIOSER et M. X... ont demandé qu'il fût déclaré nul ou, à tout le moins, réputé non écrit ; que la cassation à intervenk, du chef du premier moyen, de l'arrêt relativement à cette application entraînera par voie de conséquence, cassation de la décision en ce qu'elle a prononcé la double nullité ci-dessus, par application de l'article 625 alinéa 2 du code de procédure civile ;

2° ALORS QU'en cas de modification des statuts d'une société, la nullité de l'acte modificatif n'est encourue que si une disposition expresse du livre II du code de commerce la prévoit ou s'il encourt la nullité selon le droit commun des contrats ; que la nullité d'un acte ou d'une délibération qui ne modifie pas les statuts ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du même livre ou des lois qui régissent les contrats ; que, sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d'aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n'est pas sanctionné par la nullité ; qu'en l'espèce, la décision prise par M. X... de dénoncer le contrat d'enseigne, et l'autorisation d'y procéder, à supposer qu'elles fussent irrégulières, n'ont pu constituer qu'une violation et non une modification des dispositions statutaires, cette modification, comme la cour l'a constaté, ne pouvant intervenir que sur décision d'assemblée générale extraordinaire ; qu'en décidant dès lors de les annuler au motif erroné que la décision de M. X... « entraînait ipso facto la modification des statuts » en contradiction avec les dispositions expresses de l'article L. 225-96 alinéa 1 du code de commerce, la cour a violé ce texte par fausse application ;

3° ALORS QUE pour décider d'annuler la dénonciation du contrat d'enseigne effectuée par M. X... sans autorisation de l'assemblée générale, la cour a retenu que ce dernier avait pris cette décision excédant ses pouvoirs, par fraude, dans le seul but de contourner le vote défavorable prévisible de l'assemblée générale extraordinaire ; que cette affirmation ne repose cependant que sur l'hypothèse selon laquelle l'article 34 des statuts, qui paralyse toute liberté de la société LIOSER de contracter avec un tiers, n'est exposé ni à être déclaré nul, ni, pour le moins, à être réputé non écrit ; que dès lors, la cassation à intervenir de ce chef, sur le fondement du premier moyen, entraînera par voie de conséquence, sur le fondement de l'article 625 alinéa 2 du code de procédure civile la cassation de la décision en ce qu'elle a cru devoir retenir la fraude de M. X... ;


Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils pour la société ITM région parisienne.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en nullité de l'article 34 des statuts de la société Lioser ;

Aux motifs que "selon l'article 34 des statuts de la société Lioser : "l'assemblée générale extraordinaire est seule habilitée à statuer, ses décision impliquant obligatoirement la modification des statuts, compte tenu de l'objet spécifique de la société, sur la cession ou l'apport de fonds de commerce ou sa mise en location-gérance, la cession d'une branche d'activité, la cession de l'immeuble ou du droit au bail de la société, la cession du contrat de crédit-bail immobilier, le retrait ou le changement de l'enseigne sous laquelle est exploité le fonds de commerce..." ; que dès lors que M. X... et la société Lioser soulèvent la nullité de cette disposition des statuts par exception à l'action en nullité de la dénonciation du contrat d'enseigne, ils restent recevables, l'exception de nullité étant perpétuelle" (arrêt attaqué, p.6, §§ 4-5) ;

Alors que l'exception de nullité ne peut être invoquée que pour faire échec à une demande d'exécution d'un acte juridique ; qu'en considérant que la société Lioser et M. X... pouvaient exciper, perpétuellement, de la nullité de l'article 34 des statuts de la société Lioser, cependant que l'exception de nullité de l'article 34 n'était invoquée que pour faire obstacle à la demande de nullité de la dénonciation du contrat d'enseigne, laquelle ne tendait donc pas à faire échec à une demande d'exécution d'un acte juridique, la cour d'appel a violé l'article 1844-14 du code civil ;

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