Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 10 mai 2012, 11-14.178, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Puteaux, 8 mars 2011), que le syndicat Fédération de l'assurance CFE-CGC et le syndicat national de l'assurance et de l'assistance Confédération française des travailleurs chrétiens ont saisi le tribunal d'instance d'une demande d'annulation des élections des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise organisées le 14 janvier 2011 au sein de l'unité économique et sociale (UES) constituée par les sociétés Scor SE, Scor Global Life SE, Scor P & C SE et Scor Global Investments SE ;

Sur le moyen unique :

Attendu que les sociétés composant l'UES Scor font grief au jugement de constater l'irrégularité du scrutin du 14 janvier 2011, alors, selon le moyen :

1°/ que les motifs dubitatifs équivalent à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, le tribunal, qui a rapporté au conditionnel la plupart des propos attribués au président de l'UES Scor lors de ses voeux du 6 janvier 2011, a énoncé qu'une de ces phrases " pouvait faire allusion aux résultats obtenus jusqu'alors par le syndicat concurrent CFDT ", et qui n'a pas donné suite à la proposition de l'employeur d'entendre le discours enregistré, n'a pas établi par des motifs certains la teneur exacte des propos de l'employeur censés constituer une violation de son obligation de neutralité ; qu'il a donc privé sa décision de motifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en tout état de cause sauf abus, l'employeur jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, notamment pour répondre aux propos polémiques émanant d'un syndicat, a fortiori lorsqu'il s'est exprimé hors du cadre de la campagne électorale ; qu'un manquement de sa part à l'obligation de neutralité qui lui est imposée dans le cadre de l'organisation des élections professionnelles n'est établi qu'en présence d'un comportement ou de propos destinés à influencer le vote des salariés ; qu'en l'espèce, l'employeur soulignait que la lettre ouverte au président des syndicats CFE-CGC et CFTC avait été adressée au personnel le 4 janvier 2011, soit après la fin de la campagne électorale, et que son ton était intentionnellement polémique voire provocateur ; que les propos attribués au président de l'UES Scor lors de ses voeux du 6 janvier 2011 faisant référence à la lettre ouverte du 4 janvier 2011 des syndicats CFE-CGC et CFTC, à les supposer avérés, ne caractérisent aucun manquement de l'employeur à son obligation de neutralité ; qu'en jugeant le contraire, le tribunal d'instance a violé l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles L. 2314-21 à L. 2314-25 et L. 2324-19 à L. 2324-23 du code du travail ;

3°/ qu'en outre ne constitue pas un manquement à l'obligation de neutralité le fait, pour l'employeur, de diffuser un document répondant, de façon purement informative, aux points soulevés par tout ou partie des syndicats, a fortiori lorsque ces syndicats se sont exprimés hors du cadre de la campagne électorale ; qu'en l'espèce, l'employeur soulignait que la lettre ouverte au président des syndicats CFE-CGC et CFTC avait été adressée au personnel le 4 janvier 2011, soit après la fin de la campagne électorale, et que son ton était intentionnellement polémique voire provocateur ; qu'en jugeant que l'envoi d'un mémorandum de cinq pages concernant les faits et chiffres relatifs à la politique de ressources humaines au sein du Hub de Paris, répondant à certains des points soulevés par les syndicats CGC et CFTC dans leur lettre ouverte constituait un manquement de l'employeur à son obligation de neutralité, le tribunal d'instance a violé l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles L. 2314-21 à L. 2314-25 et L. 2324-19 à L. 2324-23 du code du travail ;

4°/ subsidiairement que la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'en l'espèce, le tribunal d'instance, après avoir rappelé que, quelle que soit la nature de l'irrégularité invoquée, elle doit avoir influencé les résultats du scrutin, a constaté, par un motif relatif à l'ensemble des irrégularités invoquées, que " les syndicats requérants ne démontrent nullement comment les irrégularités soulevées auraient pu vicier les résultats " ; qu'en retenant ensuite que " ce manquement à l'obligation de neutralité a nécessairement produit un effet sur le résultat du scrutin ", le tribunal d'instance a statué par des motifs contradictoires et violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que les irrégularités directement contraires aux principes généraux du droit électoral constituent une cause d'annulation des élections indépendamment de leur influence sur le résultat des élections ; que l'obligation de neutralité de l'employeur est un principe essentiel du droit électoral ;

Et attendu que le tribunal d'instance a constaté que la direction de l'UES Scor est intervenue dans la campagne électorale, d'une part, par les propos tenus le 6 janvier 2011 par le président de l'UES, lors de la présentation de ses voeux au personnel, ouvertement critiques à l'égard des organisations syndicales CFE-CGC et CFTC ayant constitué une liste commune pour le premier tour des élections et, d'autre part, par la diffusion à certains salariés d'un mémorandum répondant aux questions soulevées par ces organisations dans une lettre ouverte adressée au président de l'UES et assimilable, par suite, à un tract prenant position contre celle affichée par la liste commune ; qu'ayant ainsi caractérisé un manquement de l'employeur à son obligation de neutralité, le tribunal a, par ce seul motif, annulé à bon droit les opérations électorales ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils pour les sociétés Scor SE, Scor Global Life SE, Scor P & C SE et Scor Global Investments SE.

IL EST FAIT GRIEF au jugement attaqué d'AVOIR constaté l'irrégularité du scrutin s'étant déroulé le 14 janvier 2011 en vue de l'élections des membres du comité d'entreprise et des délégués du personnel, titulaires et suppléants, collèges cadres et non cadres, de l'UES SCOR, d'AVOIR annulé ces opérations électorales qui devront être réitérées dans les conditions légales et mis à la charge de l'employeur la somme de 800 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

AUX MOTIFS QUE quelle que soit la nature de l'irrégularité invoquée, elle doit avoir influencé les résultats du scrutin ; qu'or sur ce point, les syndicats requérants ne démontrent nullement comment les irrégularités soulevées auraient pu vicier les résultats ; que néanmoins compte tenu du nombre des irrégularités alléguées, il convient de vérifier leur réalité ; qu'en ce qui concerne la violation du principe de neutralité de l'employeur, il est de jurisprudence constante que l'employeur ne peut intervenir dans la campagne électorale en faveur ou à l'encontre d'une liste ou d'un syndicat et il ne peut répondre à un tract syndical ; qu'en l'espèce les syndicats CGC et CFTC ont diffusé le 4. 01. 11 une lettre ouverte adressée au Président Directeur Général et relative aux indemnités de fin de carrière dont l'accord avait été dénoncé, en mettant en cause la politique de rémunération de l'entreprise et en achevant ce courrier : " que peuvent donc attendre les collaboratrices et les collaborateurs des voeux du Président de SCOR en ce début d'année 2011 ? " ; que cette lettre a été transmise à tous les salariés accompagnée de chocolats MM's (attestation C. X...) ; que l'employeur a produit le texte de l'allocution délivrée par le Président le 6 janvier qui permettait de re-situer l'activité de l'entreprise dans le contexte économique global ; qu'en matière de politique sociale (p. 3) il a mis en avant les principes de gestion de ressources humaines ; que cependant, sont produits deux témoignages de salariés affirmant que des commentaires ont été insérés spontanément dans ce discours ainsi : S. Y..., déléguée syndicale CFTC qui indique qu'ont été évoqués au titre de la politique sociale : la signature de 2 accords d'entreprise, accord Seniors et accord hommes/ femmes, et de la politique salariale : l'augmentation de la masse salariale, l'attribution d'actions, ainsi que les promotions et les recrutements ; que ces éléments ne figurent pas dans le texte communiqué ; que par ailleurs elle ajoute avoir pris des notes mentionnant : " une lettre m'a été adressée avec des chocolats " ce qui correspondant nécessairement à la lettre ouverte du 4 janvier le Président aurait poursuivi " je suis réceptif aux leçons de management et de dialogue, je m'efforce d'en tenir le plus grand compte, si certains ne sont pas satisfaits qu'ils n'hésitent pas à s'adresser au ministère des anciens combattants bureau n° … " ; qu'il aurait ajouté : " c'est un principe de responsabilité, il n'y a pas de problème de paupérisation du groupe véhiculé par certains, je ne suis pas d'accord avec cela " puis le Président aurait fait directement allusion aux élections professionnelles en recommandant à ses collaborateurs de " voter comme ils le voulaient mais de bien voter comme ils l'ont toujours fait " cette dernière phrase pouvant faire allusion aux résultats obtenus jusqu'alors par le syndicat concurrent CFDT ; que C. Z..., coordinatrice de gestion a confirmé dans son attestation que le Président avait " commenté les voeux qui lui avaient été transmis par l'intersyndicale " pendant une dizaine de minutes, en débutant par " vous avez comme moi reçu des voeux sous forme de lettre chocolatée " et en indiquant " qu'à la lecture de ces voeux il pensait avoir affaire à une circulaire du ministère des anciens combattants " ; que le contenu de ces attestations n'a pas été contesté, l'employeur se bornant à suggérer lors de l'audience l'audition du discours qui a été enregistré ; que les commentaires faits à l'occasion des voeux de nouvel an par le Président Directeur Général d'une entreprise, à quelques jours d'un scrutin professionnel, ne peuvent faire allusion de quelle que manière que ce soit à ces élections sous peine de méconnaître le principe de neutralité imposé à l'employeur ; que les commentaires litigieux sont d'autant plus critiquables que leur contenu visait certes de manière indirecte, une liste commune de syndicats, connue des salariés pour avoir été affichée trois jours avant dans l'entreprise, et très reconnaissable, ces syndicats ayant transmis à l'ensemble du personnel une lettre ouverte accompagnée de chocolats ; qu'aucune confusion n'était possible ; que les propos, tenus sur une dizaine de minutes, étaient dans leur contenu ouvertement critiques puisque le Président a fait allusion à un combat d'arrière garde en mentionnant le ministère des anciens combattants comme devant être leur interlocuteur naturel ; qu'enfin on peut légitimement s'interroger sur la nécessité pour l'employeur de diffuser le 11 janvier un mémorandum de 5 pages concernant les faits et chiffres relatifs à la politique de ressources humaines au sein du Hub de Paris, annoncé comme précédant l'envoi d'un état individuel présentant de façon synthétique et chiffrée les différentes composantes du " package global de rémunération " de chaque salarié ; qu'en effet ce document répondait avec précision à certains des points soulevés par les syndicats CGC et CFTC dans leur lettre ouverte ; qu'il n'est pas justifié de ce que le syndicat CFDT pour sa part ait abordé tous les points qui y étaient mentionnés dans le tract bien antérieur du 13. 12. 10 ; que dès lors il pouvait être assimilé à un tract prenant position contre celle affichée par la liste commune, diffusé à la veille du scrutin professionnel et constituant là encore un manquement à l'obligation de neutralité de l'employeur ; que ce manquement a nécessairement produit un effet sur le résultat du scrutin qui par suite doit être annulé ; qu'en ce qui concerne les différents autres points à titre surabondant il convient de relever qu'ils n'ont pour leur part pas eu de portée sur le résultat ou encore non sont pas établis ; qu'enfin le protocole d'accord a été signé à l'unanimité et donc avec la double majorité et ne pouvait dès lors pas être remis en cause ;

1. ALORS QUE les motifs dubitatifs équivalent à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, le tribunal, qui a rapporté au conditionnel la plupart des propos attribués au Président de l'UES SCOR lors de ses voeux du 6 janvier 2011, a énoncé qu'une de ces phrases « pouva i t faire allusion aux résultats obtenus jusqu'alors par le syndicat concurrent CFDT », et qui n'a pas donné suite à la proposition de l'employeur d'entendre le discours enregistré, n'a pas établi par des motifs certains la teneur exacte des propos de l'employeur censés constituer une violation de son obligation de neutralité ; qu'il a donc privé sa décision de motifs, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;

2. ALORS en tout état de cause QUE sauf abus, l'employeur jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, notamment pour répondre aux propos polémiques émanant d'un syndicat a fortiori lorsqu'il s'est exprimé hors du cadre de la campagne électorale ; qu'un manquement de sa part à l'obligation de neutralité qui lui est imposé dans le cadre de l'organisation des élections professionnelles n'est établi qu'en présence d'un comportement ou de propos destinés à influencer le vote des salariés ; qu'en l'espèce, l'employeur soulignait que la lettre ouverte au Président des syndicats CFE-CGC et CFTC avait été adressée au personnel le 4 janvier 2011, soit après la fin de la campagne électorale et que son ton était intentionnellement polémique voire provocateur (conclusions, p. 6) ; que les propos attribués au Président de l'UES SCOR lors de ses voeux du 6 janvier 2011 faisant référence à la lettre ouverte du 4 janvier 2011 des syndicats CFE-CGC et CFTC, à les supposer avérés, ne caractérisent aucun manquement de l'employeur à son obligation de neutralité ; qu'en jugeant le contraire, le tribunal d'instance a violé l'article 11 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles L. 2314-21 à L. 2314-25 et L. 2324-19 à L. 2324-23 du Code du travail ;

3. ALORS en outre QUE ne constitue pas un manquement à l'obligation de neutralité le fait, pour l'employeur, de diffuser un document répondant, de façon purement informative, aux points soulevés par tout ou partie des syndicats, a fortiori lorsque ces syndicats se sont exprimés hors du cadre de la campagne électorale ; qu'en l'espèce, l'employeur soulignait que la lettre ouverte au Président des syndicats CFE-CGC et CFTC avait été adressée au personnel le 4 janvier 2011, soit après la fin de la campagne électorale et que son ton était intentionnellement polémique voire provocateur (conclusions, p. 6) ; qu'en jugeant que l'envoi d'un mémorandum de 5 pages concernant les faits et chiffres relatifs à la politique de ressources humaines au sein du Hub de Paris, répondant à certains des points soulevés par les syndicats CGC et CFTC dans leur lettre ouverte constituait un manquement de l'employeur à son obligation de neutralité, le tribunal d'instance a violé l'article 11 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles L. 2314-21 à L. 2314-25 et L. 2324-19 à L. 2324-23 du Code du travail ;

4. ALORS subsidiairement QUE la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'en l'espèce, le tribunal d'instance, après avoir rappelé que quelle que soit la nature de l'irrégularité invoquée, elle doit avoir influencé les résultats du scrutin, a constaté, par un motif relatif à l'ensemble des irrégularités invoquées, que « les syndicats requérants ne démontrent nullement comment les irrégularités soulevées auraient pu vicier les résultats » ; qu'en retenant ensuite que « ce manquement à l'obligation de neutralité a nécessairement produit un effet sur le résultat du scrutin », le tribunal d'instance a statué par des motifs contradictoires, et violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

5. ALORS en toute hypothèse QU'à moins qu'elles soient directement contraires aux principes généraux du droit électoral, les irrégularités commises dans l'organisation et le déroulement du scrutin ne peuvent constituer une cause d'annulation que si elles ont exercé une influence sur le résultat des élections ou, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 si, s'agissant du premier tour, elles ont été déterminantes de la qualité représentative des organisations syndicales dans l'entreprise, ou du droit pour un candidat d'être désigné délégué syndical ; qu'en affirmant péremptoirement que « ce manquement à l'obligation de neutralité a nécessairement produit un effet sur le résultat du scrutin », quand il lui appartenait de caractériser concrètement quelle influence il avait pu avoir sur les résultats du scrutin, la qualité représentative des organisations syndicales dans l'entreprise ou le droit pour un candidat d'être désigné délégué syndical, le tribunal d'instance a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2122-1, L. 2143-3, L. 2314-21 à L. 2314-25 et L. 2324-19 à L. 2324-23 du Code du travail.

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