Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 10 mai 2012, 11-16.074, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'à la suite d'un contrôle portant sur les années 2003 à 2005, l'URSSAF du Bas-Rhin (l'URSSAF) a procédé au redressement des cotisations dues par l'Association de gestion des équipements sociaux (l'association) ; que contestant certains des chefs de redressement, celle-ci a saisi d'un recours une juridiction de la sécurité sociale ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que l'association fait grief à l'arrêt de valider le redressement quant aux frais relatifs aux repas du personnel des maisons de retraite et des structures collectives, alors, selon le moyen :

1°/ que l'avantage nourriture est négligé lorsque l'employeur fournit des repas à des salariés à la cantine de l'établissement moyennant une participation du salarié au moins égale à la moitié du forfait avantage nourriture, peu importe que l'employeur, qui exerce une activité d'accueil d'enfants et de personnes âgées, offre à ses salariés, dans le cadre de la cantine d'entreprise, des menus similaires à ceux offerts à ses résidents et préparés dans les mêmes cuisines ; que pour valider le redressement opéré au titre de la valeur des repas servis au personnel de l'association, la cour d'appel, qui a pourtant constaté que les repas du personnel étaient servis dans des locaux distincts, a énoncé que l'existence d'un avantage nourriture fourni par l'employeur supposait la création d'une structure spécialement dédiée à la restauration du personnel, de sorte que les repas ne pouvaient ni provenir des mêmes cuisines, ni être réalisés à partir des mêmes approvisionnements, ni suivre les mêmes menus mis en place pour les résidents ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui a ajouté une condition à l'article 2-2-1 de la circulaire du 7 janvier 2003, a violé ce texte ;

2°/ qu'il y a cantine ou restaurant d'entreprise au sens de l'article 85 bis de l'annexe III du code général des impôts, lorsque l'établissement fournit de manière habituelle des repas au personnel de l'entreprise dans des locaux dont il a la libre disposition, par opposition aux restaurants ouverts au public ; qu'en l'espèce, pour considérer que l'association ne disposait pas d'une cantine fournissant des repas au personnel au sens de ce texte, la cour d'appel a retenu que la fourniture de repas au personnel n'est que l'accessoire du service de restauration qu'elle offre à ses résidents, quand cette circonstance ne permettait ni d'exclure la fourniture habituelle de repas au personnel de l'entreprise, ni de conclure que la cantine du personnel ait été ouverte au public et qu'elle constatait elle-même que les repas du personnel étaient servis dans des locaux distincts ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 85 bis de l'annexe III du code général des impôts, ensemble l'article 2-2-1 de la circulaire du 7 janvier 2003 et les articles L. 242-1 et R. 242-1 du code de la sécurité sociale ;

3°/ que l'établissement d'une comptabilité propre à la cantine du personnel est une circonstance de nature à établir son autonomie par rapport aux services de restauration offerts aux clients de l'employeur ; que dès lors, en se bornant à affirmer, pour valider le redressement opéré au titre de la valeur des repas servis au personnel de l'association, que la cantine n'aurait été que l'accessoire du service de restauration de l'association, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, le fait qu'elle dispose de locaux ouverts exclusivement à son personnel pour que ses salariés, qui ne peuvent rentrer chez eux, puissent habituellement y prendre leur repas moyennant un prix modique et suivant une comptabilité propre n'était pas de nature à satisfaire les exigences de l'article 85 bis de l'annexe III du code général des impôts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte, ensemble l'article 2-2-1 de la circulaire du 7 janvier 2003 ;

Mais attendu qu'après avoir rappelé que la tolérance administrative énoncée par la circulaire DSS/SDFSS/5B n° 2003/07 du 7 janvier 2003 relative à la mise en oeuvre de l'arrêté du 10 décembre 2002 relatif à l'évaluation des avantages en nature en vue du calcul des cotisations de sécurité sociale et de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, permet de négliger l'avantage fourni aux salariés nourris en cantine ou en restaurant d'entreprise ou interentreprise, géré ou subventionné par l'entreprise ou le comité d'entreprise, dès lors que la participation des salariés est au moins égale à la moitié du forfait fixé par l'arrêté du 10 décembre 2002, l'arrêt relève que les salariés de l'association profitent du service de repas que leur employeur a mis en place non à leur intention, mais pour la restauration des personnes âgées qu'il héberge ou des autres personnes qu'il accueille dans des structures collectives, et ce en provenance des mêmes cuisines, à partir des mêmes approvisionnements et suivant les mêmes menus, rien ne caractérisant, dès lors, l'existence d'une cantine ou d'un restaurant d'entreprise; qu'il énonce à titre subsidiaire qu'il n'existe pas au sein de l'association de cantine au sens des dispositions de l'article 85 bis de l'annexe III du code général des impôts pour l'application du taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée ;

Que de ces énonciations et constatations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche inopérante, a exactement déduit que l'association ne pouvait bénéficier de la tolérance administrative découlant des énonciations de la circulaire du 7 janvier 2003 ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa première branche :

Vu les articles L. 242-1 du code de la sécurité sociale, 1er et 5 de l'arrêté du 10 décembre 2002 relatif à l'évaluation des avantages en nature en vue du calcul des cotisations de sécurité sociale, et A3.6 de la convention collective nationale de la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés ;

Attendu que, pour annuler le redressement en ce qu'il a réintégré dans la base de calcul des cotisations de l'association la valeur des repas pris par les personnels de cuisine, l'arrêt, après avoir énoncé que l'URSSAF ne peut pas fonder le redressement des cotisations sur des considérations conjecturales, alors que l'organisation du recouvrement des cotisations sociales suppose la bonne foi et rend les employeurs responsables du versement des cotisations, retient qu'en l'absence de tout élément de preuve susceptible de contredire les affirmations de l'association qui maintient que son personnel de cuisine ne mange pas les repas qu'il prépare, le redressement doit être annulé en ce qu'il a réintégré dans la base de calcul des cotisations des avantages en nature qui restent hypothétiques ;

Qu'en statuant ainsi sans rechercher, comme il lui était demandé par l'URSSAF, si la gratuité du repas pour les personnels de cuisine ne constituait pas un avantage en nature dont l'attribution s'impose à l'employeur en application de la convention collective, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen unique du pourvoi incident :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a annulé le redressement des cotisations de l'association de gestion des équipements sociaux en ce qu'il a réintégré dans la base de calcul des cotisations la valeur des repas pris par les cuisiniers et aides-cuisiniers, l'arrêt rendu le 24 février 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne l'Association de gestion des équipements sociaux aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Coutard et Munier-Apaire, avocat aux Conseils pour l'Association de gestion des équipements sociaux.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR validé le redressement opéré par l'URSSAF du Bas Rhin quant aux frais relatifs aux repas du personnel des maisons de retraite et des structures collectives ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE l'association appelante reproche à l'URSSAF du Bas-Rhin d'avoir réintégré dans la base de calcul des cotisations, à titre d'avantages en nature, la valeur des repas pris sur place par le personnel travaillant dans ses maisons de retraite et autres structures collectives ; elle se prévaut de la tolérance administrative, énoncée par la circulaire de la direction de la sécurité sociale prise le 7 janvier 2003 pour l'application de l'arrêté du 10 décembre 2002 relatif à l'évaluation des avantages en nature, qui permet de négliger l'avantage fourni aux salariés nourris en cantine ou en restaurant d'entreprise ou inter-entreprise, géré ou subventionné par l'entreprise ou le comité d'entreprise, dès lors que la participation des salariés est au moins égale à la moitié du forfait fixé par l'arrêté ; elle fait valoir que son personnel des maisons de retraite ou des crèches collectives prend les repas dans les conditions caractérisant une cantine ou un restaurant d'entreprise, en ce que le menu prévu à l'avance est affiché et imposé, que les salariés conservent la possibilité de s'inscrire ou non, qu'une salle distincte est destinée à la restauration des salariés, et qu'un paiement est prévu pour le nombre de repas pris dans le mois ; mais l'existence d'une cantine ou d'un restaurant d'entreprise suppose la création d'une structure spécialement dédiée à la restauration du personnel ; or, comme l'a observé l'URSSAF du Bas-Rhin, les salariés de l'AGES profitent du service de repas que leur employeur a mis en place, non à leur intention, mais pour la restauration des personnes âgées qu'il héberge ou autres personnes qu'il accueille dans des structures collectives, et ce en provenance des mêmes cuisines, à partir des mêmes approvisionnements et suivant les mêmes menus ; il s'ensuit que, même si les repas du personnel sont servis dans des locaux distincts, rien ne caractérise l'existence de cantine ou de restaurant d'entreprise ; à titre subsidiaire, l'association appelante prétend satisfaire à la définition que l'article 85 de l'annexe III du code général des impôts donne à une cantine pour l'application du taux réduit de TVA ; mais ces dispositions fiscales précisent également que l'objet d'une cantine est de fournir des repas au personnel de façon habituelle ; dès lors que la fourniture de repas au personnel n'est que l'accessoire du service de restauration que l'association appelante doit assurer aux personnes qu'il héberge ou accueille, il n'existe pas même de cantine au sens fiscal ; par conséquence, l'URSSAF du Bas-Rhin était fondée à réintégrer des avantages en nature qui ne pouvaient bénéficier de la tolérance administrative invoquée ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE le personnel encadrant prend ses repas dans une salle séparée prévue à cet effet, mais cette configuration n'est pas celle visée par la tolérance de la circulaire du 07/01/2003 pour les cantines et restaurants d'entreprise dont la définition est cette de l'article 85 bis de l'annexe III du code général des impôts, à savoir les entreprises qui bénéficient du taux réduit de la TVA ;

1°/ ALORS QUE l'avantage nourriture est négligé lorsque l'employeur fournit des repas à ses salariés à la cantine de l'établissement moyennant une participation du salarié au moins égale à la moitié du forfait avantage nourriture, peu importe que l'employeur, qui exerce une activité d'accueil d'enfants et de personnes âgées, offre à ses salariés, dans le cadre de la cantine d'entreprise, des menus similaires que ceux offerts à ses résidents et préparés dans les mêmes cuisines ; que pour valider le redressement opéré au titre de la valeur des repas servis au personnel de l'association AGES, la Cour d'appel, qui a pourtant constaté que les repas du personnel étaient servis dans des locaux distincts, a énoncé que l'existence d'un avantage nourriture fourni par l'employeur supposait la création d'une structure spécialement dédiée à la restauration du personnel, de sorte que les repas ne pouvaient ni provenir des mêmes cuisines, ni être réalisés à partir des mêmes approvisionnements ni suivre les mêmes menus mis en place pour les résidents ;, qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui a ajouté une condition à l'article 2-2-1 de la circulaire du 7 janvier 2003, a violé ce texte ;

2°/ ALORS, en toute hypothèse, QU' il y a cantine ou un restaurant d'entreprise au sens de l'article 85 bis de l'annexe 3 du code général des impôts, lorsque l'établissement fournit de manière habituelle des repas au personnel de l'entreprise dans des locaux dont il a la libre disposition, par opposition aux restaurants ouverts au public ; qu'en l'espèce, pour considérer que l'association AGES ne disposait pas d'une cantine fournissant des repas au personnel de façon habituelle au sens de ce texte, la Cour d'appel a retenu que la fourniture de repas au personnel n'est que l'accessoire du service de restauration qu'elle offre à ses résidents, quand cette circonstance ne permettait ni d'exclure la fourniture habituelle de repas au personnel de l'entreprise, ni de conclure que la cantine du personnel ait été ouverte au public et qu'elle constatait elle-même que les repas du personnel étaient servis dans des locaux distincts, qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, a violé l'article 85 bis de l'annexe 3 du code général des impôts, ensemble l'article 2-2-1 de la circulaire du 7 janvier 2003 et les articles L 242-1 et R 242-1 du Code de la sécurité sociale;

3°/ ALORS, en tout état de cause, QUE l'établissement d'une comptabilité propre à la cantine du personnel est une circonstance de nature à établir son autonomie par rapport aux services de restauration offerts aux clients de l'employeur ; que dès lors, en se bornant à affirmer, pour valider le redressement opéré au titre de la valeur des repas servis aux personnel de l'association AGES, que la cantine n'aurait été que l'accessoire du service de restauration de l'association, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, le fait qu'elle dispose de locaux ouverts exclusivement à son personnel pour que ses salariés, qui ne peuvent rentrer chez eux, puissent habituellement y prendre leur repas moyennant un prix modique et suivant une comptabilité propre n'était pas de nature à satisfaire les exigences de l'article 85 bis de l'annexe 3 du code général des impôts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte, ensemble l'article 2-2-1 de la circulaire du 7 janvier 2003.
Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils pour l'URSSAF du Bas-Rhin.


Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR annulé le redressement relatif à l'avantage nourriture du personnel de cuisine ;

AUX MOTIFS QUE l'association appelante reproche à l'URSSAF du Bas-Rhin d'avoir réintégré dans la base de calcul des cotisations la valeur des repas prétendument pris sur place par le personnel de cuisine ; que l'association appelante conteste que ses cuisiniers et aide-cuisiniers mangent dans les structures où ils travaillent ; que l'URSSAF du Bas-Rhin prétend que l'avantage en nature correspondant est soumis à cotisations sociales en ce qu'il ne peut être soutenu qu'aucun repas n'est pris par le personnel de cuisine présent aux heures de repas ; que l'URSSAF du Bas-Rhin ne peut cependant pas fonder le redressement sur des considérations conjoncturales alors que l'organisation du recouvrement des cotisations sociales suppose la bonne foi et rend les employeurs responsables du versement des cotisations ; qu'en l'absence de tout élément de preuve susceptible de contredire les affirmations de l'AGES, qui maintient que son personnel de cuisine ne mange pas les repas qu'il prépare, le redressement doit être annulé en ce qu'il a réintégré dans la base de calcul des cotisations des avantages en nature qui restent hypothétiques ;

1. - ALORS QUE l'avantage en nature consiste dans la fourniture ou la mise à disposition d'un bien ou d'un service permettant au salarié de faire l'économie de frais qu'il aurait dû normalement supporter ; que l'URSSAF du Bas-Rhin exposait que la convention FEHAP applicable prévoyait, pour le personnel de cuisine se trouvant en raison de leurs horaires de travail sur le lieu de travail aux heures de repas, l'attribution gratuite d'un ou deux repas, c'est-à-dire d'un avantage en nature « nourriture », ce qui n'était pas contesté ; qu'en annulant le redressement parce que la réalité des avantages en nature ne serait pas établie, sans rechercher, ainsi que l'y invitait l'URSSAF, si l'attribution obligatoire de ces avantages en nature ne résultait pas de la convention collective applicable, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.242-1 du code de la sécurité sociale, de l'arrêté du 10 décembre 2002 et de l'article A3.6 de la convention FEHAP ;

2. - ALORS en tout état de cause QUE l'employeur, tenu, aux termes de la convention collective applicable, de procurer un avantage en nature « nourriture » à son personnel de cuisine, ne saurait échapper à l'assujettissement de cet avantage en arguant qu'il ne serait pas fourni ; qu'en permettant à l'employeur d'échapper à l'assujettissement de l'avantage en nature « nourriture » en invoquant ses propres manquements contractuels, la Cour d'appel a méconnu le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude et l'article L.1221-1 du code du travail ;

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