Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 10 mai 2012, 10-28.217, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre commerciale
- N° de pourvoi : 10-28.217
- Publié au bulletin
- Solution : Rejet
- Président
- M. Espel
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 septembre 2010), que la société Mesure et informatique (la société Mei) dirigée par M. X..., qui avait pour unique client le ministère de la défense représenté par la Dga-Dcn Indret, a signé, le 5 janvier 1999, un contrat de marché de travaux publics pour la réalisation d'un logiciel "Scab" ; que, les 16 et 21 décembre 1999, la société Mei a été mise en redressement puis liquidation judiciaires, M. Y... étant désigné liquidateur ; que, le 7 juin 2000, le juge-commissaire a autorisé la cession de ce logiciel, celle-ci n'ayant finalement pas lieu faute d'avoir été réalisée assez rapidement par le liquidateur ; que, le 21 février 2006, le tribunal a prononcé la clôture de la procédure de liquidation pour insuffisance d'actif ; que, par ordonnance du 12 juin 2007, M. X... a été désigné mandataire ad hoc de la société Mei "avec pour mission d'engager pour le compte de la société Mei une action en responsabilité civile à l'encontre de M. Y... sur le fondement de l'article 1382 du code civil" ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X..., ès qualités, fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable son action indemnitaire engagée à l'encontre de M. Y..., alors, selon le moyen :
1°/ que le liquidateur répond, y compris à l'égard du débiteur, des conséquences dommageables des fautes qu'il a commises dans l'exercice de ses fonctions ; que par ailleurs, la clôture pour insuffisance d'actif, qui met fin au dessaisissement du débiteur et lui permet d'engager une action en paiement d'une créance née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective et non recouvrée par le mandataire liquidateur, ne saurait faire obstacle à la mise en cause, par le débiteur, de la responsabilité du mandataire liquidateur pour les fautes qu'il a commises dans l'exercice de sa mission ; qu'en l'espèce, M. X..., en qualité de mandataire ad hoc du débiteur, la société Mei, demandait réparation du préjudice que cette dernière avait personnellement subi en raison des fautes commises par M. Y... dans le cadre de ses fonctions de liquidateur de cette société ; que dès lors, en déclarant irrecevable l'action en responsabilité initiée par M. X..., en qualité de mandataire ad hoc de la société Mei, à l'encontre de M. Y..., en ce que les opérations de liquidation judiciaire de la société Mei avaient été déclarées closes pour insuffisance d'actif, que les sommes demandées par M. X... en qualité de mandataire ad hoc de la société Mei constituaient un actif devant être distribué aux créanciers selon leur rang, et que l'action susceptible d'être intentée à ce stade de la procédure était réservée au liquidateur précédemment désigné, au ministère public ou à tout créancier intéressé, le tout par application de l'article L. 643-13 du code de commerce selon lequel, si la clôture de la liquidation judiciaire est prononcée pour insuffisance d'actif et qu'il apparaît que des actifs n'ont pas été réalisés ou que des actions dans l'intérêt des créanciers n'ont pas été engagées pendant le cours de la procédure, celle-ci peut être reprise, la cour d'appel, qui a statué sur le fondement de dispositions qui n'avaient nullement vocation à s'appliquer à l'action indemnitaire du débiteur, a violé l'article 1382 du code civil ;
2°/ que le liquidateur répond, y compris à l'égard du débiteur, des conséquences dommageables des fautes qu'il a commises dans l'exercice de ses fonctions ; qu'en l'espèce, M. X..., en qualité de mandataire ad hoc du débiteur, la société Mei, mettait en cause la responsabilité de M. Y..., en faisant valoir que cette procédure avait pour objet de réparer les préjudice personnels subis par la société Mei en raison des fautes commises M. Y... dans l'exercice de ses fonctions de liquidateur, et non dans le but de réaliser un actif de la société Mei, le logiciel Scab, sur lequel reposait cette société, ne pouvant du reste plus être appréhendé comme un actif de la société en raison de son obsolescence ; que dès lors en affirmant péremptoirement qu'il n'était pas contesté qu'à supposer fondée la demande de M. X..., dirigée contre M. Y..., les sommes susceptibles d'être allouées constitueraient un actif dû à l'ensemble des créanciers, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé que les opérations de liquidation judiciaire de la société Mei ont été clôturées pour insuffisance d'actif, l'arrêt retient qu'à supposer fondée la demande dirigée contre l'ancien liquidateur par le mandataire ad hoc agissant pour le compte de la société Mei, les sommes susceptibles de lui être allouées à l'issue de la procédure constitueraient un actif qui devrait être distribué aux créanciers et que, même si l'ordonnance désignant M. X... en qualité de mandataire ad hoc pour engager une action en responsabilité à l'encontre de M. Y... a l'autorité de la chose jugée, cette circonstance ne rend pas recevable une action qui, aux termes des dispositions de l'article L. 643-13 du code de commerce, est réservée au liquidateur précédemment désigné, au ministère public ou à tout créancier intéressé ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations faisant ressortir que la procédure de liquidation judiciaire de la société Mei clôturée pour insuffisance d'actif n'avait pas fait l'objet d'un jugement de reprise, préalable à la recevabilité de l'action introduite par le mandataire ad hoc de celle-ci, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu l'objet du litige, en a exactement déduit qu'il convenait de déclarer son action irrecevable ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que M. X... en son nom personnel fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable son action engagée à l'encontre de M. Y... au titre de ses préjudices matériel et moral, alors, selon le moyen, que la cour d'appel constatait que M. X... demandait à titre personnel la réparation de son préjudice matériel, correspondant à une perte de revenus pour un montant total de 1 152 275 euros et la réparation de son préjudice moral, à hauteur de 100 000 euros ; que dès lors en affirmant, pour rejeter les prétentions de M. X... à titre personnel, qu'il demandait une fraction du préjudice subi par l'ensemble des créanciers, sans expliquer en quoi la demande de M. X..., qui portait sur la perte de salaire qu'il avait enregistrée, en raison de l'inaction de M. Y..., pendant les six années qu'avait duré la procédure de liquidation judiciaire, n'était pas spécifique et pouvait être assimilée à un préjudice subi par l'ensemble des créanciers, tout comme le préjudice moral dont il se prévalait du fait des conséquences (surendettement, divorce, accident cardiaque, discrédit professionnel) de l'absence de vente du logiciel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que le représentant des créanciers, dont les attributions sont ensuite dévolues au liquidateur, a seul qualité pour agir en réparation d'un préjudice qui n'est pas distinct de celui causé à l'ensemble des créanciers ; que si la clôture de la liquidation judiciaire est prononcée pour insuffisance d'actif, l'action est subordonnée à la reprise préalable de la procédure dans les conditions prévues par l'article L. 643-13 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ; qu'ayant relevé que M. X..., qui a déclaré sa créance au passif de la société Mei, n'administre pas, à ce titre, la preuve d'un intérêt, fût-il moral, qui lui soit strictement personnel, l'arrêt en déduit que son action correspond à une demande de réparation de la fraction qui lui est personnelle du préjudice subi par l'ensemble des créanciers, laquelle ne peut être exercée que par un nouveau liquidateur désigné dans les conditions prévues par l'article L. 643-13 du code de commerce ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à s'expliquer davantage sur le caractère collectif du préjudice subi par M. X... à titre personnel du fait de l'absence de vente du logiciel par le liquidateur, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X..., agissant tant ès qualités qu'en son nom personnel, et la société Mei aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Le Prado, avocat aux Conseils pour la société Mesure et informatique et M. X..., agissant tant ès qualités qu'en son nom personnel.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué :
D'AVOIR déclaré irrecevable l'action indemnitaire engagée par Monsieur X..., ès-qualités de mandataire ad hoc de la société MEI, à l'encontre de Maître Y... ;
AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article L.643-13 du Code de commerce, « si la clôture de la liquidation judiciaire est prononcée pour insuffisance d'actif et qu'il apparaît que des actifs n'ont pas été réalisés ou que des actions dans l'intérêt des créanciers n 'ont pas été engagées pendant le cours de la procédure, celle-ci peut être reprise » ; que « le Tribunal est saisi par le liquidateur précédemment désigné, par le ministère public ou par tout créancier intéressé » ; qu'en l'occurrence, les opérations de liquidation judiciaire de la société MEI, ordonnées par jugement du 21 décembre 1999, ont été déclarées closes, pour cause d'insuffisance d'actif, par un jugement rendu le 21 février 2006 par le Tribunal de commerce de VERSAILLES et passé en force de chose jugée ; qu'en outre, il n'est pas contesté qu'à supposer fondée la demande dirigée contre Maître Y..., les sommes susceptibles d'être allouées à l'issue de la procédure constitueraient un actif qui devrait être distribué aux créanciers de la société MEI selon leur rang ; que, même si l'ordonnance désignant Monsieur X... « en qualité de mandataire ad hoc aux fins de représenter la société Mesure et informatique (M.E.I.) avec pour mission d'engager pour le compte de la société M.E.I. une action en responsabilité civile à rencontre de Maître Y... sur le fondement de l'article 1382 du Code civil » a l'autorité de la chose jugée, il n'en demeure pas moins que cette circonstance ne rend pas recevable une action qui, aux termes des dispositions de l'article L.643-13 susvisé, est réservée au liquidateur précédemment désigné, au ministère public ou à tout créancier intéressé ; qu'il suit de là que Monsieur X..., ès-qualités de mandataire ad hoc, n'a pas qualité pour agir au nom de la société MEI et qu'il convient de déclarer son action irrecevable ;
1°) ALORS QUE le liquidateur répond, y compris à l'égard du débiteur, des conséquences dommageables des fautes qu'il a commises dans l'exercice de ses fonctions ; que par ailleurs, la clôture pour insuffisance d'actif, qui met fin au dessaisissement du débiteur et lui permet d'engager une action en paiement d'une créance née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective et non recouvrée par le mandataire liquidateur, ne saurait faire obstacle à la mise en cause, par le débiteur, de la responsabilité du mandataire liquidateur pour les fautes qu'il a commises dans l'exercice de sa mission ; qu'en l'espèce, Monsieur X..., ès qualités de mandataire ad hoc du débiteur, la société MEI, demandait réparation du préjudice que cette dernière avait personnellement subi en raison des fautes commises par Maître Y... dans le cadre de ses fonctions de liquidateur de cette société ; que dès lors, en déclarant irrecevable l'action en responsabilité initiée par Monsieur X..., ès qualités de mandataire ad hoc de la société MEI, à l'encontre de Maître Y..., en ce que les opérations de liquidation judiciaire de la société MEI avaient été déclarées closes pour insuffisance d'actif, que les sommes demandées par Monsieur X... ès qualités de mandataire ad hoc de la société MEI constituaient un actif devant être distribué aux créanciers selon leur rang, et que l'action susceptible d'être intentée à ce stade de la procédure était réservée au liquidateur précédemment désigné, au ministère public ou à tout créancier intéressé, le tout par application de l'article L.643-13 du Code de commerce selon lequel, si la clôture de la liquidation judiciaire est prononcée pour insuffisance d'actif et qu'il apparaît que des actifs n'ont pas été réalisés ou que des actions dans l'intérêt des créanciers n'ont pas été engagées pendant le cours de la procédure, celle-ci peut être reprise, la Cour d'appel, qui a statué sur le fondement de dispositions qui n'avaient nullement vocation à s'appliquer à l'action indemnitaire du débiteur, a violé l'article 1382 du Code civil ;
2°) ALORS QUE le liquidateur répond, y compris à l'égard du débiteur, des conséquences dommageables des fautes qu'il a commises dans l'exercice de ses fonctions ; qu'en l'espèce, Monsieur X..., ès-qualités de mandataire ad hoc du débiteur, la société MEI, mettait en cause la responsabilité de Maître Y..., en faisant valoir que cette procédure avait pour objet de réparer les préjudice personnels subis par la société MEI en raison des fautes commises par Maître Y... dans l'exercice de ses fonctions de liquidateur, et non dans le but de réaliser un actif de la société MEI, le logiciel SCAB, sur lequel reposait cette société, ne pouvant du reste plus être appréhendé comme un actif de la société en raison de son obsolescence ; que dès lors en affirmant péremptoirement qu'il n'était pas contesté qu'à supposer fondée la demande de Monsieur X..., dirigée contre Maître Y..., les sommes susceptibles d'être allouées constitueraient un actif dû à l'ensemble des créanciers, la Cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du Code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué :
D'AVOIR déclaré Monsieur X..., en son nom personnel, de son action à l'encontre de Maître Y..., au titre de ses préjudices matériel et moral ;
AUX MOTIFS QUE par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 21 mars 2000, Monsieur X... a déclaré sa créance au passif de la société MEI à hauteur de 1.315.989,97 francs (200.621,38 ) ; que le représentant des créanciers dont les attributions sont ensuite dévolues au liquidateur, a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers, pour demander la réparation d'un préjudice qui n'est pas distinct de celui causé aux autres créanciers ; qu'en l'occurrence, Monsieur X... demande la réparation de la fraction personnelle du préjudice subi par l'ensemble des créanciers alors que cette action ne peut être exercée que par un nouveau liquidateur désigné dans les conditions prévues par l'article L.643-13 du Code de commerce ; Que Monsieur X... n'est donc pas recevable en son action tendant à l'indemnisation d'un préjudice qui n'est pas distinct de celui causé aux autres créanciers alors surtout qu'il n'administre pas la preuve d'un intérêt, fût-il moral, qui lui est strictement personnel ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE la demande de Monsieur X... au titre de son préjudice matériel, portant sur la somme de 199.090 inclut divers postes au titre du remboursement du compte courant, de rappels de salaires, d'intéressement, de remboursement d'indemnités kilométriques ... ; qu'elle correspond à une créance qui a été déclarée par Monsieur X... entre les mains du liquidateur, et admise à hauteur de 200.621,38 ; que la créance déclarée et admise n'aurait vocation à être remboursée, ainsi que le sollicite Monsieur X..., que dans le cadre d'une clôture pour extinction du passif, les opérations de répartition ne pouvant être menées à bien que par un liquidateur, représentant l'ensemble des créanciers dont Monsieur X..., qui dispose d'une fraction des créances ; que cette demande est donc radicalement irrecevable ;
ALORS QUE la Cour d'appel constatait que Monsieur X... demandait à titre personnel la réparation de son préjudice matériel, correspondant à une perte de revenus pour un montant total de 1.152.275 et la réparation de son préjudice moral, à hauteur de 100.000 ; que dès lors en affirmant, pour rejeter les prétentions de Monsieur X... à titre personnel, qu'il demandait une fraction du préjudice subi par l'ensemble des créanciers, sans expliquer en quoi la demande de Monsieur X..., qui portait sur la perte de salaire qu'il avait enregistrée, en raison de l'inaction de Maître Y..., pendant les six années qu'avait duré la procédure de liquidation judiciaire, n'était pas spécifique et pouvait être assimilée à un préjudice subi par l'ensemble des créanciers, tout comme le préjudice moral dont il se prévalait du fait des conséquences (surendettement, divorce, accident cardiaque, discrédit professionnel) de l'absence de vente du logiciel, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil.