Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 28 mars 2012, 10-24.441, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., engagée le 29 janvier 2002 en qualité d'agent de service hospitalier par la société Clinique Saint-Jean (la société), puis affectée le 17 mars 2003 au service de stérilisation, a été candidate le 5 juin 2005, au nom du syndicat CGT aux élections du CHSCT et désignée le 22 mars 2006 en qualité de représentante syndicale au comité d'entreprise ; qu'elle a reçu le 15 octobre 2005 un avertissement pour avoir pris, le 26 août 2005, une journée de récupération sans autorisation ; que le 10 février 2006, elle a saisi la juridiction prud'homale en contestation des sanctions qui lui étaient infligées et en demande indemnitaire pour discrimination et harcèlement subis avant son licenciement ; qu'elle a été licenciée le 18 septembre 2006 pour inaptitude, sur autorisation de l'inspection du travail ultérieurement annulée par la juridiction administrative ;

Sur le premier moyen :

Vu les articles L. 1152-1, L. 1154-1 du code du travail et 1134 du code civil ;

Attendu qu'aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en cas de litige, le salarié doit établir les faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Attendu que pour débouter la salariée de sa demande tendant à voir constater un harcèlement moral imputable à l'employeur, l'arrêt retient que les faits et propos dont celle-ci se plaint ne la visent pas directement mais concernent aussi quatre autres membres du même syndicat, et que les certificats d'arrêts de travail, même pour un syndrome dépressif, en l'absence d'autres éléments de preuve, ne suffisent pas à attester de l'existence de faits précis susceptibles de caractériser un tel harcèlement ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les éléments qui permettent de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral ne doivent pas nécessairement concerner un seul salarié dès lors que celui qui s'en plaint fait partie des personnes qui en sont victimes et que les certificats d'arrêts de travail produits par Mme X... ne se bornaient pas à faire état du syndrome dépressif subi par elle, mais précisaient que cet état était secondaire "à des conflits sur le lieu de travail" et "à une situation conflictuelle grave sur les lieux du travail", la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Sur le deuxième moyen :

Vu l'article 624 du code de procédure civile ;

Attendu qu'en application de ce texte, la cassation prononcée pour les dispositions de l'arrêt rejetant la demande de la salariée relative au harcèlement moral entraîne, par voie de conséquence, celles des dispositions de l'arrêt sur les demandes indemnitaires des syndicats, qui se rapportaient partiellement aux faits de harcèlement ;

Et sur le troisième moyen :

Vu l'article L. 1226-4 du code du travail ;

Attendu que, pour surseoir à statuer sur la demande de la salariée tendant à la condamnation de la société au paiement d'un rappel de salaires, l'arrêt retient qu'il convient d'attendre la décision définitive concernant l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement est sans conséquence sur l'obligation pour l'employeur de verser le salaire dû à partir de l'expiration du délai d'un mois suivant la déclaration d'inaptitude et jusqu'à la date de notification du licenciement, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté Mme X... de sa demande indemnitaire au titre d'un harcèlement moral et de sa demande en paiement de salaires en application de l'article L. 1226-4 du code du travail, et en ce qu'il a rejeté partiellement la demande du syndicat CGT des personnels des Etablissements Sainte-Marguerite et de l'union locale des syndicats CGT de Toulon liée au harcèlement, l'arrêt rendu le 29 juin 2010, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne la société Clinique Saint-Jean aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Clinique Saint-Jean à payer à Mme X... et aux syndicats la somme globale de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mars deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils, pour Mme X..., le syndicat CGT des personnels des Etablissements Sainte-Marguerite et l'union locale des syndicats CGT de Toulon


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Madame X... de sa demande tendant à la condamnation de la société CLINIQUE SAINT-JEAN à des dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

AUX MOTIFS QU'il ressort de ces éléments qu'au-delà des critiques et autres oppositions de forme ou de fond existant entre l'employeur et les différents représentants du syndicat CGT, il n'est pas rapporté l'existence de faits précis visant directement la personne de Mme X... et susceptibles de laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral, lequel repose, selon l'intéressée, sur une discrimination syndicale alléguée mais non démontrée, y compris s'agissant de la "mutation-sanction" du 16 janvier 2006 ; qu'il est ainsi relevé que parmi les citations directes, ne sont produits que les sept avis de dépôt des citations directes mais non les citations elles-mêmes et leur contenu, lesquels avis font ressortir que seules deux citations émanent de la SA Clinique Saint-Jean ou de son PDG, M. Y..., les autres étant délivrées à la requête de membres du CE de la SA Clinique Saint-Jean ou de la Clinique Sainte-Marguerite ; qu'enfin, parmi les deux jugements rendus par le tribunal correctionnel en date du 26 janvier 2007, produits aux débats par la salariée, celui constatant l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de la SA Clinique SAINT-JEAN du fait de la prescription démontre que la citation en question ne concernait pas seulement Mme X... mais aussi le SPESM ainsi que Mmes Z..., A..., B... et C..., toutes signataires en qualité de membres du syndicat CGT de la lettre incriminée ; que des faits de harcèlement moral ne sauraient pas plus découler du courrier de l'employeur reprochant à la salariée d'avoir pris seule l'initiative de saisir le médecin du travail. ; qu'il en est tout autant des propos tenus par le président du CE lors de la réunion du 20 avril 2006 qui ne peuvent concerner la personne même de Mme X... mais seulement le contenu d'une lettre diffusée par le SPESM, signée par l'intéressée mais aussi par les quatre membres précités de ce syndicat ; qu'enfin, la seule production des certificats d'arrêts de travail, même pour un syndrome dépressif, ne peut suffire, en l'absence d'autres éléments de preuve, à attester de l'existence de faits précis susceptibles de caractériser un harcèlement imputable à l'employeur.

1/ ALORS QUE est constitutif d'un harcèlement moral le fait de rétrograder un salarié à des tâches moins qualifiées sans justification objective et étrangère à tout harcèlement ; que par ailleurs le salarié n'est tenu que d'apporter des éléments qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que Madame X... a été rétrogradée sans justification objective et raisonnable d'un poste qualifié au service de stérilisation assorti d'une prime à un poste d'agent des services hospitaliers aux services généraux sans prime, et que cette mesure est constitutive d'une sanction illicite ; qu'en déclarant néanmoins que cette «mutation-sanction» n'était pas un fait susceptible de laisser présumer l'existence d'un harcèlement, la Cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du Code du travail ;

2/ ALORS QUE le salarié est tenu d'apporter que des éléments qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; que répondent à cette exigence, des propos injurieux tenus à l'encontre d'un salarié ainsi que la délivrance de deux citations directes ostensiblement irrecevables ; que, par conséquent, en établissant les propos injurieux du président du comité d'entreprise qualifiant lors d'une réunion du comité d'entreprise de «ramassis de merde et de mensonge» un courrier qu'elle avait signé ainsi que les citations directes la dénonçant, la salariée a bien versé aux débats des éléments susceptibles de laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral ; qu'en décidant du contraire, la Cour d'appel a violé les textes susvisés ;

3/ ALORS encore QUE les éléments qui permettent de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral ne doivent pas nécessairement concerner un seul salarié dès lors que celui qui s'en plaint fait partie des personnes visées ; qu'en écartant les éléments produits par Mme X... au motif que d'autres salariés étaient également visés, la Cour d'appel a statué par un motif erroné et violé les textes susvisés.

4/ ALORS QUE la Cour d'appel a déclaré que la salariée s'était contentée de produire des certificats d'arrêts de travail faisant état d'un syndrome dépressif n'établissant pas le lien avec un harcèlement imputable avec l'employeur, quand ces pièces comportaient les mentions suivantes «syndrome axio dépressif secondaire à des conflits sur le lieu de travail», «état anxio dépressif avec asthénie, insomnie et angoisses, secondaires à une situation conflictuelle grave sur les lieux du travail» ; qu'en faisant omettant ces mentions déterminantes, la Cour d'appel a dénaturé par omission les deux certificats d'arrêts de travail susvisés et partant a violé l'article 1134 du Code du travail ;

5/ ALORS QUE le salarié n'étant tenu que d'apporter des éléments qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, sa demande ne peut être rejetée au motif qu'il ne justifie pas du lien de causalité entre son état de santé et la dégradation de ses conditions de travail ; que la Cour d'appel qui a reproché à la salariée d'avoir produit des certificats d'arrêt de travail n'établissant pas que son état dépressif avait pour cause le comportement de son employeur, a violé les textes susvisés.


DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté partiellement le syndicat CGT des personnels des établissements SAINTE-MARGUERITE et l'Union locale CGT de Toulon et de l'Union départementale CGT du Var de leur demande de condamnation de la société CLINIQUE SAINT-JEAN à leur verser des dommages et intérêts ;

AUX MOTIFS QUE l'action des syndicats demeure recevable dès lors qu'en l'état des dispositions du présent arrêt faisant droit pour partie aux demandes de la salariée, il a été porté atteinte à l'intérêt collectif de ce syndicat et de cette Union locale ;

ALORS QUE la Cour d'appel ayant déterminé le montant du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession représenté par les syndicats en considération du mal fondé de la demande d'indemnisation du harcèlement moral subi par la salariée, la cassation à intervenir sur le premier moyen s'étendra au chef du dispositif attaqué par le présent moyen, en application de l'article 624 du Code de procédure civile.


TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR sursis à statuer sur la demande tendant à la condamnation de la société CLINIQUE SAINT-JEAN à lui verser un rappel de salaire pour la période du 8 septembre 2006 au 30 mai 2010 ;

AUX MOTIFS QU'il sera sursis à statuer sur les autres demandes de la salariée concernant son droit à réparation du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans l'attente de la décision définitive concernant l'annulation de l'autorisation de licenciement ;

1/ ALORS QUE lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail ; que l'envoi d'une demande d'autorisation de licenciement à l'inspecteur du travail ne suspend pas ce délai ; qu'en déboutant la salariée de sa demande de rappel de salaires entre la fin du délai d'un mois survenue le 8 septembre 2006 et la notification du licenciement adressée le 18 septembre 2006 et reçue le 27 septembre 2006, la Cour d'appel a violé l'article L. 1226-4 du Code du travail ;

2/ ALORS QUE la loi spéciale déroge à la loi générale ; que l'obligation de reprise du paiement des salaires prévue par l'article L. 1226-4 du Code du travail pèse sur l'employeur jusqu'au reclassement ou au licenciement du salarié protégé, sans qu'il puisse lui être opposé l'impossibilité d'indemnisation tant que la décision d'annulation de l'autorisation administrative de licenciement n'est pas définitive, prévue l'article L. 2422-4 du Code du travail ; qu'en refusant d'indemniser la salariée durant la période écoulée entre la fin du délai de l'article L. 1226-4 du Code du travail survenue le 8 septembre 2006 et la date de sa réintégration, la Cour d'appel a violé les textes susvisés.

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