Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 21 février 2012, 11-12.138, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été placé en liquidation judiciaire le 25 septembre 1997 ; que, le 7 août 2006, l'administration fiscale lui a adressé une proposition de rectification de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) portant sur les années 2004 à 2006 ; qu'après mise en recouvrement d'une certaine somme à ce titre et rejet de sa réclamation, M. X... a saisi le tribunal de grande instance afin d'être déchargé de cette imposition ;

Sur le quatrième moyen, pris en sa seconde branche :

Attendu que, dans son mémoire en défense du 8 août 2011, le directeur général des finances publiques déclare abandonner le recouvrement d'une somme relative à l'ISF des années 1995 à 2003 ; qu'il a ultérieurement produit une décision de dégrèvement du 19 octobre 2011 ; que le moyen est devenu sans objet ;

Mais sur le premier moyen :

Vu l'article L. 641-9 du code de commerce dans sa rédaction alors applicable ;

Attendu que les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par son liquidateur ;

Attendu que, pour dire régulière la procédure mise en oeuvre par l'administration fiscale, l'arrêt retient que la proposition de rectification, établie en application de l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, ne doit être adressée qu'à la personne du contribuable, personnellement tenu, fût-il en redressement ou en liquidation judiciaire, de l'obligation fiscale de déclarer annuellement un état de sa fortune en application de l'article 885 W du code général des impôts et que cela est d'autant plus vrai que les époux X... ont déposé des déclarations d'ISF sans intervention du liquidateur judiciaire du mari ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les dettes fiscales et les actes de la procédure de rectification d'imposition sont susceptibles d'avoir une incidence sur le patrimoine du débiteur, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

Donne acte au directeur général des finances publiques de ce qu'il renonce au bénéfice de l'arrêt attaqué en ce qu'il a trait à l'impôt de solidarité sur la fortune des années 1995 à 2003 et de ce qu'un dégrèvement est intervenu le 19 octobre 2011 ;

Dit n'y avoir lieu à statuer de ce chef ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses autres dispositions, l'arrêt rendu entre les parties le 29 novembre 2010 par la cour d'appel de Douai ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit irrégulière la notification de la proposition de rectification de l'impôt de solidarité sur la fortune au titre des années 2004 à 2006 ;

Condamne le directeur général des finances publiques aux dépens incluant ceux de l'arrêt partiellement cassé ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un février deux mille douze.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de M. X...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé en toutes ses dispositions le jugement déféré, d'avoir rejeté la réclamation de Henri X... et d'avoir dit valide et justifiée la proposition de rectification en date du 7 août 2006 ;

Aux motifs que « la proposition de rectification qu'établit l'administration fiscale en application de l'article L. 55 du livre des procédures fiscales ne doit être adressée qu'à la personne du contribuable, personnellement tenu, fût-il en redressement ou en liquidation judiciaire, de l'obligation fiscale de déclarer annuellement un état de sa fortune en application de l'article 885 W du code général des impôts (application de Cass. crim., 11 mars 2009 Bull. crim. 2009 n°55, s'agissant d'un arrêt rendu à propos de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales) ; que cela est d'autant plus vrai en l'espèce que ce sont les époux X..., sans intervention du liquidateur judiciaire de Henri X..., qui ont déposé des déclarations ISF en leur qualité de détenteurs d'avoirs privés supérieurs au taux d'imposition ; qu'il doit en outre être rappelé que Madame Françoise X...-Y... n'est quant à elle pas en liquidation » (arrêt attaqué, p. 4, al. 2 et 3) ;

Alors que le jugement qui prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit dessaisissement du débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens ; qu'à partir de cette date, tous les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine, y compris ceux qui se rapportent à ses dettes fiscales, sont exercés par le liquidateur judiciaire ; qu'ainsi, les actes de la procédure d'imposition, susceptibles d'avoir une incidence sur le patrimoine du débiteur, telle la proposition de rectification, doivent être adressés au liquidateur judiciaire ; qu'au cas présent, en jugeant que la proposition de rectification ne devait être adressée qu'au contribuable, en dépit de sa liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9 du Code de commerce, dans sa version en vigueur au moment des faits.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé en toutes ses dispositions le jugement déféré, d'avoir rejeté la réclamation de Henri X... et d'avoir dit valide et justifiée la proposition de rectification en date du 7 août 2006 ;

Aux motifs que « selon courrier de son conseil en date du 12 octobre 2006, Henri X... a demandé que son cas fût soumis à la commission départementale de conciliation, ce que l'administration fiscale lui a refusé le 25 octobre 2006 ; que cette commission intervient en cas d'insuffisance des prix ou évaluations ayant servi de base à l'impôt de solidarité sur la fortune (application de Cass. com. 13 janvier 2009 Bull 2009 IV n°4) ; qu'en l'espèce, le désaccord ne tient pas à une quelconque évaluation de biens ou de droits mais à la réintégration à faire – ou non – à l'actif X... d'une créance sur la société Challenger Holding dont le montant est connu puisque judiciairement fixé (en sorte que, quoiqu'en dise Henri X..., il n'y a pas de litige d'évaluation) et à la prise en considération – ou non – d'un passif fiscal ressortant lui-même de documents de redressement établis par l'administration fiscale ; que dans cette situation, un tel litige ainsi présenté ne relevait pas de la compétence de la commission départementale de conciliation en sorte que l'administration fiscale n'était pas tenue de proposer sa saisine ou de donner suite à la demande de saisine formée par le contribuable ; qu'à ce stade de raisonnement, la procédure de rectification contradictoire mise en oeuvre par l'administration fiscale doit être considérée comme régulière » (arrêt attaqué, p. 4, al. 4 à 8) ;

Alors que, lorsque le contribuable conteste l'évaluation d'un bien effectuée par l'administration fiscale – même si cette contestation est soulevée à titre accessoire ou subsidiaire – et fait la demande de soumettre ce désaccord à l'attention de la commission départementale de conciliation, l'administration est tenue d'accéder à sa demande ; qu'au cas présent, M. X... critiquait le refus de l'administration fiscale de saisir ladite commission, cependant que leur désaccord portait notamment sur la possibilité de réduire la valeur de la créance litigieuse, afin de prendre en compte la situation financière du débiteur (concl. p. 5, al. 7 et 8, p. 6, al. 1 à 3) ; qu'en rejetant pourtant les demandes de l'exposant, au motif que le désaccord ne tenait pas à une quelconque évaluation de biens ou de droits, mais à la réintégration à faire – ou non – à l'actif X... d'une créance sur la société Challenger Holding, la cour d'appel, qui a par ailleurs (p. 5) reconnu que se posait la question de l'évaluation de la créance, pour tenir compte de son caractère irrévocable, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 59 et L. 59 B du Livre des procédures fiscales ;

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé en toutes ses dispositions le jugement déféré, d'avoir rejeté la réclamation de Henri X... et d'avoir dit valide et justifiée la proposition de rectification en date du 7 août 2006 ;

Aux motifs que « cette créance n'est

- ni nulle car Henri X... n'a rien perdu de son droit à recouvrement, étant observé qu'il n'allègue pas – et démontre moins encore – avoir tenté la mise en oeuvre d'un quelconque processus d'exécution forcée (il évoque, à ses conclusions p. 9, le fait que « Toute nouvelle mesure de recouvrement est donc apparue au liquidateur comme ne pouvant aboutir » mais il ne communique sur ce point aucun document émanant de la SELARL Soinne, ès qualités, susceptible d'étayer son affirmation)

- ni irrécouvrable car, même si la société Challenger Holding n'a apparemment plus d'activité au point qu'elle aurait été radiée du registre du commerce, sa personnalité morale demeure, aucune liquidation judiciaire n'ayant été prononcée ;

qu'ainsi la créance de 6.000.000,00 F détenue par Henri X... contre la société Challenger Holding aurait-elle dû figurer à l'actif du patrimoine déclaré au titre de l'ISF ; que de ce point de vue, la proposition de rectification de l'administration fiscale est fondée » (arrêt attaqué, p. 5, al. 7 à 9) ;

Alors que M. X... soutenait devant la cour d'appel que le montant imposable de la créance litigieuse devait être significativement inférieur à son montant nominal, compte tenu de la cessation de toute activité par la société débitrice, entraînant jusqu'à sa radiation du registre de commerce et des sociétés, et de la réduction des chances de recouvrement qui en résultait (p. 9, al. 1 à 6) ; qu'au cas présent, la cour d'appel a jugé que la créance litigieuse n'était pas irrécouvrable, au motif que la société Challenger Holding avait gardé sa personnalité morale ; qu'en statuant ainsi, par un motif inopérant, étranger à toute notion de solvabilité et donc de recouvrement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 760 et 885 D du Code général des impôts.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé en toutes ses dispositions le jugement déféré, d'avoir rejeté la réclamation de Henri X... et d'avoir dit valide et justifiée la proposition de rectification en date du 7 août 2006 ;

Aux motifs que « quant à la déduction du passif fiscal correspondant à des redressements fiscaux antérieurs, il se constate que les époux X... ont fait figurer, à l'annexe 4 « passif et autres déductions » de leurs déclarations ISF :

- en 2004 : un redressement de l'impôt sur le revenu de 74.162,00 €
et un redressement de l'ISF de 27.910,00 € ;

- en 2005 : un redressement de l'impôt sur le revenu des années 1999, 2000 et 2001 de 82.580,00 € et un redressement de l'ISF de 27.883,00 € ;

- en 2006 : un redressement de l'impôt sur le revenu des années 1999, 2000 et 2001 de 82.580,00 € et un redressement de l'ISF de 27.883,00 € ;

que la proposition de rectification de l'administration fiscale écarte ces déductions car elles correspondent à des redressements contestés ; qu'Henri X... ne critique que le redressement pour 2006 ; que pour 2006, le passif déductible tel que déclaré par les époux X... enregistre tout d'abord un redressement de l'impôt sur le revenu des années 1999, 2000 et 2001 de 82.580,00 € : or ce redressement a été contesté par Henri X... ainsi qu'en témoigne un arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Douai le 5 novembre 2009, s'agissant d'un document produit par Henri X... à son dossier ; que le passif déductible tel que déclaré par les époux X... enregistre de même un redressement de l'ISF de 27.883,00 € : or il résulte de la lecture de l'arrêt rendu le 19 février 2009 par la cour d'appel de Douai, également produit à son dossier par Henri X..., que les déclarations ISF des années 1995 à 2003 ont fait l'objet d'une notification de redressements en date du 27 janvier 2004 (spécialement, au titre des années 2001 à 2003, déjà pour réintégration à l'actif déclarable de la créance sur la société Challenger Holding) et que cette notification a été contestée ; qu'il s'avère ainsi que ces redressements visés par les époux X... à leurs déclarations ISF, spécialement celle pour 2006, n'étaient pas définitifs, ce qui empêchait leur mention au passif déductible » (arrêt attaqué, p. 5, dernier alinéa et p. 6, al. 1 à 6) ;

1° Alors, d'une part, que les dettes fiscales sont déductibles de l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune, lorsqu'elles sont certaines dans leur principe et dans leur montant le jour du fait générateur dudit impôt ; qu'au cas présent, l'exposant attirait l'attention de la cour d'appel sur la date de la contestation de la dette fiscale issue du redressement de l'impôt sur le revenu d'un montant de 82.580,00 €, en rappelant que cette dette n'avait été contestée que le 15 mars 2006, soit postérieurement au 1er janvier 2006, date du fait générateur de l'impôt sur la fortune en cause ; que la cour d'appel a pourtant refusé la déduction de cette dette de l'assiette de l'impôt sur la fortune 2006, au motif qu'elle avait été contestée par le contribuable (concl., p. 10, al. 2 et 3) ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée par M. X..., si la contestation n'était pas postérieure au fait générateur de l'impôt sur la fortune 2006, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 768 et 885 D du Code général des impôts ;

2° Alors, d'autre part, que les dettes fiscales sont déductibles de l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune, lorsqu'elles sont certaines dans leur principe et dans leur montant le jour du fait générateur dudit impôt ; qu'au cas présent, il est constant que la dette fiscale issue du redressement de l'impôt sur la fortune au titre des années 1995 à 2003 avait été contestée par le contribuable uniquement dans sa partie relative aux années 2001 à 2003 ; que la partie de la dette afférente au redressement relatif aux années 1995 à 2000 n'avait donc jamais été contestée ; qu'en jugeant pourtant que la dette issue de ce redressement, dans son intégralité, n'était pas certaine et ne pouvait donc être déduite de l'assiette de l'impôt sur la fortune litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 768 et 885 D du Code général des impôts.

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