Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 8 février 2012, 11-11.417, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 2270 du code civil, ensemble l'article L. 110-4 du code de commerce dans sa rédaction applicable en la cause ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 novembre 2010), que la commune de Saint-Thibault-des-Vignes (la commune) a fait édifier un centre culturel ; que les travaux ont été réceptionnés le 27 juin 1990 ; que des infiltrations sont apparues ; qu'après expertise, la juridiction administrative a statué sur les responsabilités des intervenants à l'acte de construire ; que M. X..., M. Y..., architectes maîtres d'oeuvre, et leur assureur, la société Mutuelle des architectes français (MAF) ont assigné en garantie le groupement d'Intérêt économique G20 (GIE G20), assureur de la société bureau d'études Gaudriot, membre du groupement chargé de la maîtrise d'oeuvre de l'opération ;

Attendu que, pour déclarer cette action prescrite, l'arrêt retient que la réception a été prononcée le 27 juin 1990, que les architectes et la société MAF ont attrait le GIE G20 après l'expiration de la garantie décennale, que l'article L. 110-4 du code de commerce n'a pas pour effet de différer le point de départ de la prescription de l'action en garantie d'un locateur d'ouvrage à l'encontre de son cotraitant à la date de la réalisation du dommage dès lors que l'action en garantie procède des désordres à l'ouvrage, et non des rapports contractuels extérieurs à l'acte de construire nés de la convention de maîtrise d'oeuvre entre les membres du groupement, et que la prescription décennale de l'action en garantie était acquise à la date de la délivrance au GIE G20 de l'assignation du 1er septembre 2005 ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son assureur n'est pas fondé sur la garantie décennale, mais est de nature contractuelle si ces constructeurs sont contractuellement liés, et de nature quasi délictuelle s'ils ne le sont pas, de sorte que le point de départ du délai de cette action n'est pas la date de réception des ouvrages, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 novembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne le GIE G20 aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne le GIE G20 à payer à la société Mutuelle des architectes français la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils pour la société Mutuelle des architectes français et MM. X... et Y...

Le moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré prescrite, par acquisition du délai décennal d'épreuve, l'action formée par MM X... et Y... et la MAF à l'encontre du GIE 20, en sa qualité d'assureur du BET GAUDRIOT SA,

Aux motifs que " la réception a été prononcée le 27 juin 1990 avec effet au 11 mai 1990, le délai de la garantie décennale expirant donc le 11 mai 2000 ; que les désordres sont apparus en 1992 ; que sur requête du 2 mai 2000, le maître de l'ouvrage a obtenu la désignation d'un expert par ordonnance de référé du 23 août 2000 au contradictoire de MM. X... et Y... et de la MAF ; qu'à la demande de ces derniers les opérations d'expertise ont été rendues communes par ordonnance du 23 mars 2003 à la société GAUDRIOT, laquelle a fait en sorte que l'expertise soit commune à son assureur le GIE G20, ce qui résulte de l'ordonnance du 20 juin 2003 ; que par requête du 6 avril 2005 le maître de l'ouvrage a saisi le tribunal administratif en ouverture du rapport d'expertise ; que les architectes et la MAF ont appelé en garantie la société GAUDRIOT devant le tribunal administratif ; que par acte du 1er septembre 2005 les architectes et la MAF ont appelé en garantie le GIE G20 devant le tribunal de grande instance de Nanterre ;
Que l'interruption de la prescription décennale par la requête de la commune de SAINT-THIBAULT-LES-VIGNES n'a d'effet qu'à l'égard des parties à l'instance en référé devant le juge administratif, c'est-à-dire les architectes et la MAF, mais pas envers la société GAUDRIOT ou le GIE G20 ; que les architectes et la MAF ont attrait la société GAUDRIOT après l'expiration du délai de la garantie décennale (l'ordonnance de référé étant du 23 mars 2003), de même qu'ils ont attrait au fond le GIE G20 devant le tribunal de grande instance de Nanterre le 1er septembre 2005, après l'expiration du délai de la garantie décennale ;
Qu'en outre, l'article L. 110-4 du code de commerce dans sa rédaction applicable au présent litige, c'est-à-dire dans celle qui est antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, et dont il résulte que les obligations contractuelles ou quasi-délictuelles nées à l'occasion du commerce en commerçants se prescrivent par 10 ans si elles n'ont pas été soumises à des prescriptions spéciales plus courtes, n'a pas pour effet, comme l'a sans erreur dit le tribunal, de différer le point de départ de la prescription de l'action en garantie d'un locateur d'ouvrage à l'encontre de son " co-traitant ", société commerciale par la forme, à la date de la réalisation du dommage ou celle à laquelle la victime en a eu connaissance, dès lors que l'action en garantie procède des désordres à l'ouvrage, et non des rapports contractuels extérieurs à l'acte de construire nés de la convention de maîtrise d'oeuvre entre les membres du groupement ;
Que l'action en garantie exercée par les architectes et la MAF à l'encontre de l'assureur de la société GAUDRIOT se prescrit par le même délai que l'action en garantie exercée à l'encontre de cette dernière, de sorte que la prescription doit également être admise en ce qui la concerne ;
Considérant que les premiers juges ont, par des motifs pertinents et circonstanciés que la cour adopte, exactement retenu que la prescription décennale de l'action en garantie était acquise à la date de la délivrance au GIE G20 de l'acte introductif d'instance du 1er septembre 2005, et alors que l'assureur n'était plus exposé au recours de son assuré " (arrêt p. 9 et 10),

Et aux motifs, à les supposés adoptés du jugement, qu'il importe peu « que les architectes aient mis en cause le BET BEFS-TEC INGENIERIE dans le délai de dix ans suivant la délivrance de l'acte introductif d'instance par le maître de l'ouvrage, laquelle ne constitue pas, en toute hypothèse, la manifestation du dommage survenu en 1992, soit plus de dix ans avant la décision portant extension de la mission de l'expert à ce bureau d'études, et alors que les architectes avaient eu connaissance des désordres par la désignation de l'expert Z... par ordonnance de référé du 23 août 2000, et se trouvaient ainsi en mesure d'appeler dans le délai décennal susvisé le BET BEFS-TEC INGENIERIE à y concourir » (jug. p. 7),

Alors que, d'une part, le recours d'un constructeur contre un autre constructeur, ou son assureur, n'est pas fondé sur la garantie décennale mais est de nature contractuelle si ces constructeurs sont contractuellement liés, et de nature quasi-délictuelle s'ils ne le sont pas, de sorte que son point de départ n'est pas la date de réception des ouvrages ; que ce recours peut donc être exercé alors même que le délai de garantie décennale serait expiré ; qu'en l'espèce, MM X... et Y..., et le bureau d'études BEFS-TEC, aux droits duquel est venue la société GAUDRIOT, assuré auprès du GIE G20, ont été chargés d'une mission de maîtrise d'oeuvre par la commune de ST THIBAULT DES VIGNES en vue de la construction d'un centre culturel ; qu'après la réception des travaux, prononcée le 27 juin 1990 avec effet au 11 mai 1990, MM X... et Y... ont été assignés devant le juge administratif par la commune le 2 mai 2000, et ont formé un recours contre le GIE G 20 devant le juge civil le 1er septembre 2005 ; que pour déclarer ce recours tardif, la cour a retenu qu'il a été formé après l'expiration du délai de garantie décennale, violant ainsi les articles L. 110-4 du code de commerce et 2270 du Code civil ;

Alors que, d'autre part et à titre subsidiaire, le délai de recours d'un architecte contre un autre constructeur ou son assureur ne court qu'à compter de l'assignation en justice dirigée contre lui, seule cette assignation étant susceptible de constituer un dommage subi par le maître d'oeuvre qui ne dispose d'aucun intérêt à agir avant cette date ; qu'en l'espèce, les architectes ont été assignés par le maître d'ouvrage le 2 mai 2000 ; qu'en déclarant irrecevable leur recours dirigé le 1er septembre 2005 contre l'assureur du bureau d'études membre du groupement de maîtrise d'oeuvre, la Cour d'appel a violé L. 110-4 du code de commerce ;

Alors qu'enfin, dans leurs conclusions d'appel, les architectes et leur assureur ont fait valoir que l'assignation délivrée à leur encontre avait interrompu le délai à l'égard du BEFS-TEC, également membre du groupement de maîtrise d'oeuvre, les prestations des uns et des autres étant indivisibles ; qu'en rejetant leur recours contre l'assureur du BEFS-TEC, sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

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