Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 18 janvier 2012, 11-81.324, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre criminelle
- N° de pourvoi : 11-81.324
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation
- Président
- M. Louvel
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Laurent X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 21e chambre, en date du 7 février 2011, qui, pour dégradation involontaire du bien d'autrui par explosion ou incendie dû au manquement à une obligation de sécurité ou de prudence, l'a condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 4 janvier 2012 où étaient présents : M. Louvel président, Mme Lazerges conseiller rapporteur, Mme Chanet, MM. Pometan, Foulquié, Moignard, Castel, Raybaud, Mme Caron conseillers de la chambre, Mme Leprieur, M. Laurent conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Sassoust ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire LAZERGES, les observations de Me Le PRADO, de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général SASSOUST ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-3, 111-4, 121-3, 322-5 du code pénal, des articles préliminaire, 390-1, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X...coupable de dégradation ou détérioration involontaire du bien d'autrui par explosion ou incendie dû au manquement à une obligation de sécurité ou de prudence et a, en conséquence, statué sur la peine et sur les intérêts civils ;
" aux motifs que sur l'action publique, les conclusions du service d'incendie et de secours des Yvelines ne sont pas remises en cause par le prévenu et que l'incendie a bien été causé par un mégot mal éteint lui appartenant, jeté par la fenêtre et qui, roulant dans la gouttière et poussé par un vent violent a enflammé un tas de feuilles, le feu s'étant propagé aux bois de la charpente ; qu'il n'est pas reproché à M. X...d'avoir volontairement mis le feu à l'immeuble, l'article 322-5 du code pénal visant la destruction, la dégradation ou la détérioration involontaire d'un bien appartenant à autrui par l'effet notamment d'un incendie provoqué par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ; qu'il résulte des dispositions de l'article 1728 du code civil que le preneur est notamment tenu « d'user de la chose louée en bon père de famille » ; que cette obligation légale implique de la part du preneur d'être normalement prudent et diligent, attentif, soucieux des biens et/ ou des intérêts qui lui sont confiés comme s'il s'agissait des siens propres ; qu'en fumant selon ses habitudes à la fenêtre ouverte de sa cuisine sans avoir pris soin d'éteindre soigneusement sa cigarette avant de la jeter à l'extérieur ou de s'être assuré d'avoir déposé le mégot dans un cendrier hermétique et hors des parties communes, alors même que les conditions de météorologiques de la journée comportait un risque particulier : sécheresse et vent marqué, M. X...a enfreint cette norme légale telle qu'interprétée par la jurisprudence ; que les fonctions du prévenu chargé d'un emploi public dans le domaine de la prévention et de la sûreté ne pouvaient que le sensibiliser aux risques encourus ; qu'au regard de ces éléments, l'infraction apparaît caractérisée et comme l'a retenu le tribunal, M. X...doit être déclarée coupable des faits reprochés ;
" 1°) alors que, pour pouvoir être légalement poursuivi, le délit de détérioration involontaire du bien d'autrui par incendie dû à un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence postule que l'acte saisissant la juridiction fasse état de l'obligation de sécurité et de prudence imposée par la loi ou le règlement qui aurait effectivement été méconnue, que la circonstance de viser seulement les termes de l'article 322-5 du code pénal ne peut caractériser le manquement à telle ou telle obligation légale ou réglementaire particulière qui, en l'occurrence, aurait été une violation de l'article 1728 du code civil non visé par la prévention qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour a violé les textes et les principes cités susvisés ;
" 2°) alors que subsidiairement, à supposer même que l'article 322-5 du code pénal précité n'exige pas, pour son application, que soit visé dans la citation ou la convocation en justice le texte législatif ou réglementaire prévoyant l'obligation de sécurité ou de prudence dont la violation constitue l'élément matériel du délit de détérioration involontaire du bien d'autrui par incendie dû à un manquement à une obligation, le prévenu ne peut être déclaré coupable de ce délit sans avoir été invité à présenter ses observations sur le texte législatif ou réglementaire en question ; que l'article 1728 du code civil n'a pas été visé à la prévention ; qu'il n'a même pas été invoqué par la partie civile dans ses conclusions déposées devant la cour d'appel ; qu'en statuant, au visa de ce texte, sans avoir invité M. X...à présenter ses observations, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
" 3°) alors que, en tout état de cause la détérioration d'un bien appartenant à autrui par l'effet d'un incendie ne constitue une infraction pénale que si l'incendie résulte d'un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ; que l'obligation générale du preneur posée par l'article 1728 du code civil d'user de la chose louée en bon père de famille n'est pas une obligation de sécurité ou de prudence au sens de l'article 322-5 du code pénal ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a donc méconnu les textes susvisés ;
" 4°) alors que la loi pénale est d'interprétation stricte ; qu'en énonçant, pour déclarer M. X...coupable de dégradation ou détérioration involontaire du bien d'autrui par explosion ou incendie dû au manquement à une obligation de sécurité ou de prudence, que M. X...avait enfreint une « norme légale telle qu'interprétée par la jurisprudence », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
" 5°) alors qu'en décidant que l'infraction « apparaît caractérisée », la cour d'appel s'est prononcée par des motifs dubitatifs privant ainsi sa décision de base légale au regard des textes susvisés " ;
Vu l'article 322-5 du code pénal ;
Attendu que le délit de dégradation involontaire par explosion ou incendie ne peut être caractérisé qu'en cas de manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 24 juillet 2008, un incendie s'est déclaré dans les combles d'un immeuble situé ... à Versailles ; que l'enquête a fait apparaître que l'incendie avait été causé par une cigarette mal éteinte, jetée par la fenêtre par M. X..., locataire dans l'immeuble ; que celui-ci a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour dégradation involontaire par explosion ou incendie dû à un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ;
Attendu que, pour confirmer le jugement déclarant M. X...coupable de ces faits, l'arrêt retient qu'il a méconnu les dispositions de l'article 1728 du code civil aux termes desquelles le preneur est notamment tenu d'user de la chose louée en bon père de famille ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que l'article 1728 du code civil n'édicte pas d'obligation de sécurité ou de prudence au sens de l'article 322-5 du code pénal, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 7 février 2011, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application, au profit de l'Office public interdépartemental de l'Essonne, du Val d'Oise et des Yvelines, de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit janvier deux mille douze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;