Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 15 décembre 2011, 10-25.740, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Donne acte à la société GMF du désistement de son pourvoi sauf en ce qu'il est dirigé contre l'EURL Les Opalines Hauteville-lès-Dijon ;

Attendu que, selon l'arrêt attaqué, Lucien X..., pensionnaire de la maison de retraite Les Opalines, atteint de la maladie d'Alzheimer, a été frappé, au cours de déambulations nocturnes, par un autre pensionnaire, Marcel Y..., souffrant de la même maladie, et qu'il a succombé à ses blessures ; que l'arrêt attaqué (Dijon, 7 septembre 2010) a débouté les ayants-cause de Lucien X... de toutes leurs demandes à l'égard de l'EURL Les Opalines gérant l'établissement et a condamné les héritiers de Marcel Y..., entre temps décédé, in solidum avec la société GMF assurances, à les indemniser et à rembourser certaines sommes à la Caisse nationale de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF, la société GMF étant en outre condamnée à garantir les consorts Y... des condamnations prononcées à leur encontre ;

Sur la première branche du moyen unique :

Attendu que la société GMF assurances fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que la maison de retraite médicalisée accueillant des patients atteints de la maladie d'Alzheimer soumis à un régime comportant une liberté de circulation doit être considérée comme ayant accepté la charge d'organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie de ses pensionnaires et doit répondre des dommages qu'ils
ont causés ; qu'en écartant toute responsabilité de l'EURL Les Opalines de ce chef, la cour d'appel a violé l'article 1384, alinéa 1er, du code civil ;

Mais attendu que Marcel Y..., auteur des coups mortels, étant hébergé à la maison de retraite Les Opalines en vertu d'un contrat, la cour d'appel a retenu à bon droit que cette dernière ne pouvait être considérée comme responsable, au titre de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil, des dommages causés par lui ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur les deuxième et troisième branches :

Attendu que, subsidiairement, la société GMF assurances adresse les mêmes reproches à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ que la maison de retraite accueillant des patients atteints de la maladie d'Alzheimer engage sa responsabilité en cas d'organisation défectueuse du service de surveillance et de manquement à son obligation de sécurité ; que la cour d'appel, qui a constaté que M. Y..., atteint de la maladie d'Alzheimer, avait séjourné dans un centre hospitalier spécialisé en psychiatrie pour un état d'agitation et des problèmes d'agressivité à la suite de violences commises sur la personne de son épouse, ce dont la maison de retraite était informée et que le directeur de celle-ci avait lui-même reconnu que les travaux pour accueillir les personnes atteintes de cette maladie n'étaient pas terminés, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1147 du code civil ;

2°/ que la maison de retraite accueillant des patients atteints de la maladie d'Alzheimer doit mettre en oeuvre tous les moyens pour prévenir les risques découlant de la liberté d'aller et venir de ces patients ; que la cour d'appel, qui a constaté que la maison de retraite n'avait effectué que trois rondes sur les cinq prévues par le protocole, que l'accident était survenu dans l'heure suivant la troisième ronde, ce dont il résultait que M. Y... avait pu porter des coups mortels à M. X... sans que cette agression n'alertât personne, la victime ayant été découverte gisant sur le sol, a violé l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu qu'appréciant souverainement le rapport d'enquête de la DDASS et les circonstances de fait, la cour d'appel a constaté que si Marcel Y... avait été hospitalisé auparavant suite à des problèmes d'agressivité, il n'était pas établi qu'il eût présenté un tel comportement à l'égard des autres pensionnaires depuis son arrivée, que l'établissement était apte à recevoir des personnes atteintes des pathologies dont souffraient l'auteur et la victime et que, si un "protocole" interne prévoyait cinq rondes par nuit alors que trois seulement avaient été effectuées la nuit en question, rien n'indiquait que les faits se fussent déroulés à l'heure auxquelles elles auraient dû avoir lieu, puisque, lors de la dernière ronde entre quatre et cinq heures du matin, avant la découverte du corps de Lucien X... à six heures, ce dernier prenait une collation dans sa chambre tandis que Marcel Y... dormait dans la sienne ; qu'elle en a déduit, sans encourir aucun des griefs allégués, que l'EURL Les Opalines, tenue d'une obligation de surveiller les pensionnaires qui lui étaient confiés pour éviter qu'ils ne s'exposent à des dangers ou y exposent autrui, n'avait commis aucune faute ayant joué un rôle causal dans la survenance du dommage ;

Qu'en ses deuxième et troisième branches, le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société GMF aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société GMF, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à l'EURL Les Opalines ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille onze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Blanc et Rousseau, avocat aux Conseils, pour la société GMF assurances

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement ayant dit que l'EURL Les Opalines était responsable du décès de M. X... survenu le 17 décembre 2004,

Aux motifs que M. Y..., placé sous tutelle par jugement du 10 mars 2005, était atteint de la maladie d'Alzheimer ; que la maison de retraite n'étant liée à ses résidents que par un contrat de séjour et n'ayant pas accepté la charge d'organiser et de contrôler à titre permanent leur mode de vie, sa responsabilité ne pouvait être recherchée sur le fondement de la responsabilité de l'article 1384 alinéa premier du code civil ; qu'avant son entrée à la maison de retraite, M. Y... avait séjourné au centre hospitalier spécialisé de la Chartreuse, en psychiatrie, pour un état d'agitation ; que la victime, âgée de 98 ans, était insomniaque et se déplaçait dans les chambres des autres résidents ; que la nuit des faits, trois rondes avaient été effectuées par les deux membres du personnel de service, de 20 heures à 22 heures, de une heure à 3 heures 30 et de quatre à cinq heures qu'à 6 heures du matin, l'aide soignante avait découvert le décès ; que l'état de santé des deux résidents relevait d'une maison de retraite médicalisée du type des Opalines ; que l'organisation de la surveillance de nuit était bonne ; qu'il n'y avait pas de défaut réitéré de surveillance ; qu'il n'y avait pas dans le comportement des deux protagonistes d'éléments pouvant mettre en garde contre la survenue d'un tel élément, même s'ils étaient mentalement diminués ; qu'aucun élément n'établissait que l'EURL Les Opalines eût été inapte à recevoir des résidents présentant des affections dont souffraient messieurs Y... et X... même si son directeur avait indiqué que des travaux étaient en cours pour accueillir des personnes atteintes de maladie d'Alzheimer ; que si M. Y..., ancien boxeur amateur, avait été hospitalisé au CHS de la Chartreuse suite à des problèmes d'agressivité, il ne résultait pas de l'enquête qu'il ait eu un tel comportement à l'égard des autres résidents de la maison de retraite depuis son arrivée ; que si le protocole définissant le poste de veilleuse de nuit au sein de la maison de retraite indiquait au chapitre «responsabilités particulières» qu'il fallait faire cinq rondes minimum dans la nuit, l'EURL faisait observer qu'il ne s'agissait pas d'un document contractuel ; qu'il n'était pas démontré que l'absence des deux dernières rondes aient eu un rôle causal dans la survenance des faits dès lors qu'il n'était pas établi qu'ils s'étaient situés à l'heure où l'une ou l'autre aurait dû avoir lieu, le personnel étant intervenu pour constater à 3 heures 30 que M. X... était toujours assis au bord de son lit ;

Alors que 1°) la maison de retraite médicalisée accueillant des patients atteints de la maladie d'Alzheimer soumis à un régime comportant une liberté de circulation doit être considérée comme ayant accepté la charge d'organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie de ses pensionnaires et doit répondre des dommages qu'ils ont causés ; qu'en écartant toute responsabilité de l'EURL Les Opalines de ce chef, la cour d'appel a violé l'article 1384 alinéa 1er du code civil ;

Alors subsidiairement que 2°) la maison de retraite accueillant des patients atteints de la maladie d'Alzheimer engage sa responsabilité en cas d'organisation défectueuse du service de surveillance et de manquement à son obligation de sécurité ; que la cour d'appel, qui a constaté que M. Y..., atteint de la maladie d'Alzheimer, avait séjourné dans un centre hospitalier spécialisé en psychiatrie pour un état d'agitation et des problèmes d'agressivité à la suite de violences commises sur la personne de son épouse, ce dont la maison de retraite était informée et que le directeur de celle-ci avait lui-même reconnu que les travaux pour accueillir les personnes atteintes de cette maladie n'étaient pas terminées, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1147 du code civil ;

Alors que 3°) la maison de retraite accueillant des patients atteints de la maladie d'Alzheimer doit mettre en oeuvre tous les moyens pour prévenir les risques découlant de la liberté d'aller et venir de ces patients ; que la cour d'appel, qui a constaté que la maison de retraite n'avait effectué que trois rondes sur les cinq prévues par le protocole, que l'accident était survenu dans l'heure suivant la troisième ronde, ce dont il résultait que M. Y... avait pu porter des coups mortels à M. X... sans que cette agression n'alertât personne, la victime ayant été découverte gisant sur le sol, a violé l'article 1147 du code civil.

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