Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 20 octobre 2011, 10-14.069, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre civile 1
- N° de pourvoi : 10-14.069
- Publié au bulletin
- Solution : Rejet
- Président
- M. Charruault
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 26 janvier 2010), que M. X..., qui avait conçu et développé un logiciel, dénommé "Sage", destiné aux huissiers de justice, puis un second logiciel, dénommé "WinSage", a réalisé une nouvelle version de ce dernier sous la dénomination "H. Open", en tant que salarié au sein de la société Daxel, reprise par la société Fiducial informatique, laquelle a continué la commercialisation du logiciel "H. Open" nouvellement rebaptisé "Fiducial Huissiers" ; qu'ayant quitté la société Fiducial informatique, il a conçu un nouveau logiciel dénommé "Athéna", également destiné aux huissiers de justice, dont il a d'abord confié la commercialisation à la société Développement professionnel spécialisé informatique (DPSI) qui assurait la maintenance du logiciel "Sage", avant de constituer la société Alphapi en vue du développement du logiciel "Athéna", dont il a alors confié la commercialisation à la société And@lys, créée avec d'anciens collaborateurs de la société Fiducial informatique, la société DPSI restant chargée d'en assurer l'installation et la maintenance ; que la société Fiducial informatique, invoquant ses droits sur les logiciels "Sage", "WinSage", "H. Open" et "Fiducial Huissiers" a fait procéder à des saisies-contrefaçons au domicile de M. X... et aux sièges sociaux des sociétés Alphapi, DPSI et And@lys, du logiciel "Athéna", de deux programmes sources du logiciel "H. Open" et "H. Open AV" contenus dans la mémoire de l'ordinateur de M. X... et de CD d'installation et de mise à jour du logiciel "Fiducial Huissiers" dans les locaux de la société Alphapi ;
Attendu que la société Fiducial Informatique fait grief à l'arrêt attaqué de rejeter sa demande tendant à faire juger que, "au titre des opérations de migration", M. X... ainsi que les sociétés Alphapi, DPSI et And@lys avaient, "en détenant, utilisant et modifiant sans droits les logiciels de la société Fiducial", commis des actes de contrefaçon et d'avoir, par voie de conséquence, écarté toute concurrence déloyale et parasitaire imputable à ces sociétés, alors, selon le moyen :
1°/ que l'interopérabilité vise à permettre le fonctionnement du logiciel en interaction avec d'autres logiciels, de façon à assurer une communication cohérente et constante entre deux logiciels ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les opérations de migration visaient, non pas à permettre la communication entre les deux logiciels "Athena" et "H. Open", mais à remplacer l'un par l'autre ; que dès lors, en affirmant que ces opérations de migration étaient justifiées par l'interopérabilité, la cour d'appel a violé l'article L. 122-6-1-IV du code de la propriété intellectuelle, tel qu'il doit être interprété à la lumière de la Directive n° 91/250 du 14 mai 1991 ;
2°/ que, selon la directive n° 91/250 du 14 mai 1991, la protection du droit d'auteur "s'applique à toute forme d'expression d'un programme d'ordinateur" (article 1er § 2) et qu' "un programme d'ordinateur est protégé s'il est original, en ce sens qu'il est la création intellectuelle propre à son auteur" et qu' "aucun autre critère ne s'applique pour déterminer s'il peut bénéficier d'une protection" (article 1er § 3) ; que dès lors sont protégés par le droit d'auteur, non seulement les codes sources, mais aussi les programmes exécutables ; en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L.112-2. 13° du code de la propriété intellectuelle, tel qu'il doit être interprété à la lumière de l'article 1er § 2 et § 3 de la directive n° 91/250 du 14 mai 1991 ;
3°/ que l'utilisateur d'un logiciel ne peut transmettre celui-ci à un tiers sans l'accord de son auteur ; qu'en l'espèce, la société Fiducial faisait valoir que les licences bénéficiant aux utilisateurs de ses logiciels ne leur permettaient pas de transférer ou de transmettre lesdits logiciels à des tiers et que les sociétés DPSI et And@lys n'avaient pu accéder aux programmes litigieux qu'en régénérant un code confidentiel, modifié quotidiennement et inconnu des utilisateurs ; que la lecture du contrat de licence versé aux débats confirmait que celui-ci n'autorisait nullement les utilisateurs à effectuer, sans autorisation, des opérations de migration, ni à transmettre le logiciel à un tiers pour procéder à de telles opérations ; la cour d'appel qui n'a procédé à aucune recherche et ne s'est nullement expliquée à cet égard, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-6 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle ;
4°/ que le principe de libre concurrence ne saurait justifier l'utilisation d'un logiciel au mépris des droits d'auteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en invoquant le principe de la libre concurrence pour justifier les opérations de migration, sans avoir précisément recherché si les sociétés DPSI et la société And@lys n'avaient pas, pour effectuer les opérations de migration, fait un usage contrefaisant des logiciels en cause ; qu'elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-6, L. 122-6-1-IV.3°, L. 122-6-1-V et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu que, selon la définition de la directive CE n° 91/250 du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur, désormais codifiée par la directive CE n° 2009/24 du 23 avril 2009, l'interopérabilité est la capacité d'échanger des informations et d'utiliser mutuellement les informations échangées ; que, dès lors, la cour d'appel a, à bon droit, énoncé que les opérations de migrations de données, réalisées par M. X... et la société Alphapi, habilités à cette fin par les huissiers de justice titulaires de la licence d'utilisation du logiciel "H. Open", pour récupérer les fichiers de ce programme, s'inscrivaient dans les strictes nécessités de l'interopérabilité autorisée par l'article L. 122-6-1 IV du code de la propriété intellectuelle qui prévoit la nullité de toute stipulation contraire, et a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Fiducial informatique aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile condamne la société Fiducial informatique à payer aux sociétés And@lys, DPSI et Alphapi ainsi qu'à M. X... la somme totale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Bénabent, avocat aux Conseils pour la société Fiducial informatique.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société FIDUCIAL de sa demande tendant à faire juger que, « au titre des opérations de migration », Monsieur X... ainsi que les sociétés ALPHAPI, DPSI et AND@LYS avaient, « en détenant, utilisant et modifiant sans droits les logiciels de la société FIDUCIAL », commis des actes de contrefaçon et d'avoir, par voie de conséquence, écarté toute concurrence déloyale et parasitaire imputable à ces sociétés ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « la société FIDUCIAL entend se prévaloir comme de nature à caractériser des faits de contrefaçon, la découverte, à l'occasion des opérations de saisie opérées tant au siège commun des sociétés DPSI et AND@LYS à Amiens qu'au domicile de Bernard X..., de programmes destinés à réaliser le transfert, sur le nouveau logiciel Athena, de fichiers informatiques gérés par Fiducial Huissiers pour le compte des études ayant choisi d'abandonner celui-ci au profit du logiciel Athena ; mais que les constatations relevées dans les procès-verbaux de saisie démontrent que ces opérations de migration de données, réalisées à partir de programmes exécutables destinés à récupérer les fichiers sans accéder aux codes sources, s'inscrivent dans le strict respect de l'interopérabilité autorisée par l'article L.122-6-1 du Code de la propriété intellectuelle, afin notamment d'assurer la communicabilité entre logiciels dans le but de garantir à l'utilisateur, dans le respect de la libre concurrence, la possibilité d'abandonner un système de gestion informatique pour un autre sans perdre les données saisies ; que c'est à bon droit que le tribunal, sur la base de la description des saisies opérées, a considéré que, ne portant pas sur des codes sources, seuls protégés par les droits d'auteur, la détention et l'utilisation par les sociétés intimées de programmes exécutables du logiciel Fiducial Huissiers, en vue d'assurer, à la demande des utilisateurs, le transfert de leurs fichiers informatiques sur le logiciel Athena, n'étaient pas soumises à autorisation du détenteur des droits d'exploitation du logiciel Fiducial Huissiers et qu'en conséquence les faits de contrefaçon n'étaient pas caractérisés ; » (arrêt, p.10)
Et AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES DES PREMIERS JUGES QUE « si la saisie à Aix les Bains a révélé l'existence de CD-Rom d'installation et de mises à jour du logiciel Fiducial Huissiers, Monsieur X... et la société ALPHAPI dont les propos sont relayés par les autres défendeurs, ont justifié de leur détention légitime puisqu'il s'agit, aux dires de l'huissier et de l'expert qui ont réalisé la saisie, de programmes exécutables, c'est-à-dire de programmes destinés à être diffusés qui avaient été remis à ALPHAPI par des huissiers de justice titulaires d'une licence d'exploitation et anciens clients de FIDUCIAL, afin de récupérer au sein de cette application les données spécifiques et personnelles concernant leur étude et de les transférer vers le logiciel Athena ; que DPSI et AND@LYS qui ont invoqué la saisie description dans leurs locaux à Amiens de matériels et documents relatifs à l'extraction de données (procès-verbal de saisie p.4, 5 et 6 et annexe 2), se sont aussi largement expliqué sur cette technique, soutenant que FIDUCIAL procède aussi pour son compte à de tels transferts de données (pièces 1,4,8 et 9 de DPSI et pièce 12 de AND@LYS ), ce que la demanderesse n'a pas contesté ; qu'ils ont aussi rappelé à bon droit que l'interopérabilité est expressément autorisée par l'article L.122-6-1 du Code de la propriété intellectuelle, disposition aussi notée par la société AND@LYS qui a tenu à dire qu'elle n'assure pas elle -même de telles opérations de migration de données puisqu'elle n'est que chargée de la commercialisation du logiciel et d'aucune intervention technique : donc, à Amiens, seule DPSI assure en tant que de besoin la migration de données ; que, ne s'agissant pas de codes sources, les défendeurs (hors la société AND@LYS non concernée par cette activité) ne peuvent se voir reprocher la détention et l'utilisation de programmes exécutables H. Open et, partant, une contrefaçon, contrairement à ce que soutient FIDUCIAL, d'autant que l'expert a, lors de la saisie du 7 avril 2005, révélé la détention effective par ALPHAPI qui l'a créé et transmis à DPSI d'un logiciel d'extraction de données assurant une migration fiable, rapide et sécurisée des données, un tel système étant capital pour capter de nouveaux clients antérieurement attachés à la concurrence ; que la société FIDUCIAL ne peut alléguer du fait que ses programmes Fiducial ne comportent pas de fonctions d'extraction pour interdire de tels transferts à Monsieur X..., sa société et DPSI ; qu'en outre, Monsieur Y... et Madame Z..., huissiers de justice utilisateurs de H. Open, ont attesté avoir, en 2004, pour le premier et en 2005, pour la seconde, effectivement confié à Monsieur X... les CD-Rom de mise à jour du logiciel H. Open légalement en leur possession afin de lui permettre de réaliser la migration des fichiers du logiciel H. Open vers le logiciel Athena (pièces 11 et 12 de Monsieur X...) ; que l'utilisation de ses documents de FIDUCIAL par Monsieur X... et les sociétés défenderesses ne peut être critiquée, ces transferts de données étant parfaitement licites, permettant aux utilisateurs de passer d'un logiciel à un autre sans être captifs et sans perdre les données de leur étude : il s'agit là du libre jeu de la concurrence et FIDUCIAL n'a pas contesté avoir procédé pour le compte de ses clients à un tel transfert parallèlement à la vente de son logiciel (pièces 8 et 9 de DPSI) ; » (jugement de première instance, p.13)
ALORS QUE, DE PREMIERE PART, l'interopérabilité vise à permettre le fonctionnement du logiciel en interaction avec d'autres logiciels, de façon à assurer une communication cohérente et constante entre deux logiciels ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a constaté que les opérations de migration visaient, non pas à permettre la communication entre les deux logiciels « Athena » et « H. Open », mais à remplacer l'un par l'autre ; que, dès lors, en affirmant que ces opérations de migration étaient justifiées par l'interopérabilité, la Cour d'appel a violé l'article L.122-6-1-IV du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'il doit être interprété à la lumière de la Directive n° 91/250 du 14 mai 1991 (considérants 10 à 12) ;
ALORS QUE, DE DEUXIEME PART, selon la directive n° 91/250 du 14 mai 1991, la protection du droit d'auteur « s'applique à toute forme d'expression d'un programme d'ordinateur » (article 1er § 2) et qu'« un programme d'ordinateur est protégé s'il est original, en ce sens qu'il est la création intellectuelle propre à son auteur » et qu' « aucun autre critère ne s'applique pour déterminer s'il peut bénéficier d'une protection » (article 1er § 3) ; que dès lors sont protégés par le droit d'auteur, non seulement les codes sources, mais aussi les programmes exécutables ; qu'en affirmant le contraire, la Cour d'appel a violé l'article L.112-2. 13° du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'il doit être interprété à la lumière de l'article 1er § 2 et § 3 de la directive n° 91/250 du 14 mai 1991 ;
ALORS QUE, DE TROISIEME PART l'utilisateur d'un logiciel ne peut transmettre celui-ci à un tiers sans l'accord de son auteur ; qu'en l'espèce, la société FIDUCIAL faisait valoir que les licences bénéficiant aux utilisateurs de ses logiciels ne leur permettaient pas de transférer ou de transmettre lesdits logiciels à des tiers et que les sociétés DPSI et AND@LYS n'avaient pu accéder aux programmes litigieux qu'en régénérant un code confidentiel, modifié quotidiennement et inconnu des utilisateurs (conclusions d'appel de la société FIDUCIAL signifiées le 21 octobre 2009, p.16 et 17) ; que la lecture du contrat de licence versé aux débats (pièce n°5) confirmait que celui-ci n'autorisait nullement les utilisateurs à effectuer, sans autorisation, des opérations de migration, ni à transmettre le logiciel à un tiers pour procéder à de telles opérations ; que la Cour d'appel qui n'a procédé à aucune recherche et ne s'est nullement expliquée à cet égard, a privé sa décision de base légale au regard des articles L.122-6 et L.335-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
ALORS QUE, DE QUATRIEME PART le principe de libre concurrence ne saurait justifier l'utilisation d'un logiciel au mépris des droits d'auteur ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a statué par un motif inopérant en invoquant le principe de la libre concurrence pour justifier les opérations de migration, sans avoir précisément recherché si les sociétés DPSI et la société AND@LYS n'avaient pas, pour effectuer les opérations de migration, fait un usage contrefaisant des logiciels en cause ; qu'elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles L.122-6, L.122-6-1-IV.3° , L.122-6-1-V et L.335-3 du Code de la propriété intellectuelle.