Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 11 octobre 2011, 10-87.212, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre criminelle
- N° de pourvoi : 10-87.212
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation
- Président
- M. Louvel
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- La société Electricité de France,
contre l'arrêt de la cour d'appel de FORT-DE-FRANCE, chambre correctionnelle, en date du 16 septembre 2010, qui, pour homicide involontaire, l'a condamnée à 30 000 euros d'amende ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 13 septembre 2011 où étaient présents : M. Louvel président, Mme Koering-Joulin conseiller rapporteur, M. Blondet, Mme Guirimand, MM. Beauvais, Guérin, Straehli, Finidori, Monfort, Mmes Mirguet, Caron conseillers de la chambre, Mme Divialle, M. Maziau conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Finielz ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de Mme le conseiller KOERING-JOULIN, les observations de la société civile professionnelle ROGER et SEVAUX, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FINIELZ ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-2, 121-3, 221-6 du code pénal, préliminaire, 515, 551, 591 à 593 du code de procédure pénale, L. 230-2 du code du travail, (désormais articles L. 4121-1 et L. 4121-2), 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de base légale, violation de la loi ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement déféré sur l'action publique ayant déclaré la société EDF, personne morale, coupable du délit d'homicide involontaire et l'ayant condamnée à la peine de 30 000 euros d'amende ;
"aux motifs que, sur la mise en jeu de la responsabilité pénale de la société EDF, les premiers juges ont opéré une exacte application du droit aux faits en considérant que l'omission dans la prévention afférente à la société EDF de l'identité des auteurs ayant commis des manquements constitutifs du délit d'homicide, n'est pas de nature à faire grief, dès lors que l'infraction n'a pu être commise que par ses organes ou représentants, en l'espèce MM. X... et Y... ; que cela est d'autant plus vrai à présent que le manquement de ceux-ci à une obligation de sécurité résulte désormais d'une décision de justice devenue définitive ; que ces premiers juges ont aussi à juste titre estimé que le statut de ces derniers et leurs attributions clairement définies en font des représentants de la société EDF, nonobstant l'absence formelle de délégation de pouvoirs ;
"1) alors que les personnes morales sont pénalement responsables des infractions commises pour leur compte par les personnes physiques disposant d'un pouvoir de diriger et d'engager la personne morale à l'égard des tiers, agissant ainsi en qualité de représentants de celle-ci ; qu'en retenant que MM. Y... et X... avaient la qualité de représentants de la société EDF, engageant ainsi la responsabilité pénale de cette personne morale, en raison de leur statut et de leurs attributions, sans en préciser le contenu ni caractériser en quoi le statut et les attributions de ces deux agents de maîtrise conduiraient à leur voir reconnaître un pouvoir de direction et de représentation de la société EDF, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"2) alors que l'autorité de la chose jugée n'a qu'une portée relative et que l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans les limites fixées par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant ; qu'en considérant que la société EDF engageait sa responsabilité pénale à plus forte raison dès lors que les condamnations de MM. Y... et X... étaient devenues définitives, la cour d'appel a méconnu le principe de l'effet dévolutif de l'appel et a ainsi violé l'article 515, alinéa 1, du code de procédure pénale ;
"aux motifs que, sur le manquement imputé à la société EDF à une obligation de sécurité, la prévention libellée avec rigueur et clarté, en ce qui concerne le manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, se réfère expressément aux dispositions de l'article L. 230-2 du code du travail ; que cette disposition prévoit notamment que le chef d'établissement prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs de l'établissement, y compris des travailleurs temporaires, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, d'information et de formation ainsi que la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés ; qu'il doit aussi en vertu de ce texte évaluer les risques, planifier la prévention et donner les instructions appropriées aux travailleurs ; que le rapport rigoureux et circonstancié établi le 22 juillet 2004 sur l'accident du travail dont a été victime M. Z... par l'inspection du travail, souligne en termes particulièrement péremptoires : « l'insuffisante évaluation des risques au sens de l'article L. 230-2 du code du travail et précisément l'absence d'analyse des risques liés notamment à la coactivité » ; que ce manquement incontestable à une obligation de sécurité imputable à la personne morale ayant un lien de causalité direct et déterminant avec le décès de M. Z..., c'est donc à bon droit que les premiers juges ont déclaré la société EDF coupable du délit d'homicide involontaire ;
"3) alors que ne met pas le prévenu en mesure de préparer utilement sa défense la citation laissant un doute sur le fondement juridique de l'infraction poursuivie ; qu'en considérant que la prévention, faisant référence à un manquement à l'obligation de sécurité et de prudence prévue par la loi ou le règlement, était libellée avec rigueur et clarté dès lors qu'elle renvoyait à la méconnaissance des termes de l'article L. 230-2, devenu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, quand ce texte ne pose que des principes généraux applicables en matière de prévention des risques dans l'entreprise, la cour d'appel a violé ensemble les articles 6 § 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire et 551 du code de procédure pénale ;
"4) alors que, seules les obligations de sécurité et de prudence pénalement sanctionnées peuvent servir de fondement à la caractérisation d'une faute non-intentionnelle par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ; qu'en retenant que la société EDF avait manqué à une obligation de sécurité et de prudence imposée par l'article L. 230-2, devenu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2, du code du travail faisant obligation à l'employeur d'évaluer les risques, de planifier la prévention et de donner des instructions adéquates aux salariés quand ce texte n'était assorti d'aucune sanction pénale et ne pouvait ainsi servir de fondement à un manquement à une obligation de sécurité et de prudence imposée par la loi ou le règlement, la cour d'appel a violé les articles 121-3 et 221-6 du code pénal ;
"5) alors qu'en retenant que la société EDF avait manqué à une obligation de sécurité et de prudence découlant de l'article L. 230-2, devenu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2, du code du travail en n'analysant pas « les risques liés à la coactivité » tels que mentionnés dans le rapport de l'inspection du travail en date du 22 juillet 2004 sans rechercher préalablement, comme elle y était invitée par la société EDF, si la société TEM n'était pas la seule intervenante sur le chantier en date du 29 avril 2004 rendant invraisemblable l'existence d'un prétendu risque lié à la coactivité de plusieurs entrepreneurs sur le chantier, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"6) alors qu'en toute hypothèse, en retenant que la société EDF avait manqué à une obligation de sécurité et de prudence découlant de l'article L. 230-2, devenu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2, du code du travail en n'analysant pas « les risques liés à la coactivité » tels que mentionnés dans le rapport de l'inspection du travail, en date du 22 juillet 2004, sans préciser préalablement en quoi la prétendue coactivité de plusieurs entrepreneurs sur le chantier, à la supposer établie, aurait présenté un risque dont la survenance aurait conduit au décès de M. Z..., la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, le 29 avril 2004, à Ducos (Martinique), alors que M. Z..., employé temporaire de la société Travaux électriques martiniquais (TEM) à laquelle la société Electricité de France (EDF) avait fait appel pour procéder au remplacement d'isolateurs et de parafoudres, faisait l'ascension d'un poteau électrique, sa longe a heurté des conducteurs du réseau encore placés sous tension, provoquant une forte décharge électrique qui, en lui faisant lâcher prise, a entraîné sa chute mortelle d'une hauteur de 8,40 mètres du sol ;
Attendu que MM. X... et Y..., agents de la société EDF chargés de procéder conjointement aux différentes opérations préalables aux travaux effectués par M. Z..., ont été déclarés coupables d'homicide involontaire pour avoir, dans le cadre du travail, par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, provoqué la mort de M. Z..., faute pour eux de s'être assurés de la mise hors tension d'un poteau électrique sur lequel ils avaient laissé l'employé intervenir ;
Attendu que, pour confirmer le jugement ayant condamné la société EDF pour homicide involontaire, l'arrêt retient, notamment, que l'infraction a été commise par MM. X... et Y..., qui, leur statut et leurs attributions étant clairement définis, étaient les représentants de la société EDF "nonobstant l'absence formelle de délégation de pouvoirs" ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans mieux s'expliquer sur l'existence effective d'une délégation de pouvoirs ni sur le statut et les attributions des agents mis en cause propres à en faire des représentants de la personne morale, au sens de l'article 121-2 du code pénal, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 16 septembre 2010, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Basse-Terre, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Fort-de-France et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze octobre deux mille onze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;