Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 21 juin 2011, 10-20.461, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 24 février 2010), que Mme X... détenait l'usufruit d'actions de la société espagnole Contisa dont ses enfants étaient nus-propriétaires ; que, par acte notarié du 5 décembre 1996, elle a unilatéralement renoncé à cet usufruit et a acquitté le droit fixe prévu par l'article 680 du code général des impôts ; qu'estimant qu'il s'agissait d'une donation, l'administration fiscale lui a notifié un redressement le 4 septembre 2003 et a mis en recouvrement les droits correspondants ; qu'à la suite du rejet de sa réclamation, Mme X... a saisi le tribunal de grande instance afin d'obtenir la décharge de cette imposition ;

Sur le moyen unique pris en ses première et deuxième branches, qui sont recevables :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes alors, selon le moyen :

1°/ que la renonciation à l'usufruit d'un bien n'est constitutive d'une donation passible des droits d'enregistrement au taux progressif et donc translative et non plus abdicative ou extinctive qu'à la date où l'ensemble des éléments constitutifs de la donation sont réunis, ce qui suppose un abandon irrévocable de l'usufruit avec une intention libérale et l'acceptation du bénéficiaire ; qu'un acte de renonciation à usufruit pouvant être abdicatif et non translatif, il n'emporte pas réunion de l'usufruit et de la nue-propriété tant que le nu-propriétaire n'a pas accepté l'usufruit abandonné ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt attaqué que Mme X... a, par acte du 5 décembre 1996, enregistré le 27 décembre suivant, renoncé unilatéralement à l'usufruit qu'elle détenait sur 523.432 titres de la société espagnole Contisa et que ses enfants, nus-propriétaires, ont déclaré ses titres en pleine propriété dans les déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune qu'ils ont souscrites le 15 juin 1997, enfin, que les redressements de droits d'enregistrement litigieux ont été notifiés au titre de l'année 1996, après requalification par l'administration fiscale de cette renonciation à usufruit en donation ; qu'en estimant que le fait générateur des droits de donation était nécessairement l'acte de renonciation à usufruit du 5 décembre 1996 et que ces droits pouvaient donc être exigibles avant que l'usufruit délaissé n'ait été accepté expressément ou tacitement par les nus-propriétaires, les juges d'appel ont violé les dispositions des articles 677, 750 ter, 784 et 777 du code général des impôts et de l'article 894 du code civil ;

2°/ que la renonciation unilatérale à l'usufruit ne constitue une donation indirecte au profit du nu-propriétaire que si elle est faite avec une intention libérale envers celui-ci et si elle est acceptée par lui comme telle ; que le fait générateur des droits d'enregistrement dus au titre d'une telle donation est au plus tôt la date de l'acceptation tacite du bénéficiaire de l'usufruit ainsi abandonné ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt attaqué que Mme X... faisait valoir dans ses conclusions, que l'acceptation tacite du bénéficiaire résultait au plus tôt de la déclaration d'impôt de solidarité sur la fortune souscrites par ses sept enfants, nus-propriétaires des titres en cause, le 15 juin 1997, lesquelles incluait la valeur en pleine propriété de ceux-ci ; qu'en décidant néanmoins que les redressements litigieux avaient pour fait générateur l'acte de renonciation du 5 décembre 1996 de sorte qu'ils étaient dus au titre de l'année 1996, bien que les droits d'enregistrement litigieux ne pouvaient pas être devenus exigibles et être dus avant le 15 juin 1997, date d'acceptation tacite par les nus-propriétaires de l'usufruit délaissé, et qu'il n'était pas contesté que l'acceptation de ces derniers n'était pas antérieure au 1er janvier 1997, les juges d'appel ont violé les articles 677, 750 ter, 784 et 777 du code général des impôts et de l'article 894 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que l'acceptation des donataires n'avait pu être que tacite et que l'administration avait confronté les déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune souscrites, antérieurement et postérieurement à l'acte de renonciation, par Mme X... et ses enfants, l'arrêt retient que ces derniers avaient manifesté leur acceptation en faisant figurer en pleine propriété, dans leurs déclarations fiscales, les actions dont l'usufruit avait été abandonné par leur mère ; qu'ayant relevé qu'il n'était pas soutenu que les revenus produits par ces titres n'avaient pas été perçus, l'arrêt retient encore que le droit d'usufruit n'était pas resté vacant entre la déclaration de son abandon et l'établissement des déclarations fiscales ; que la cour d'appel a exactement déduit de ces constatations et appréciations que la réunion de l'usufruit des actions à leur nue-propriété s'est opérée sans délai ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le même moyen pris en sa troisième branche :

Attendu que Mme X... fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que les redressements de droits d'enregistrement se rapportant à des conventions écrites ou verbales, doivent être notifiés à l'un quelconque des débiteurs solidaires, en cette qualité et non à titre personnel, et que l'article 1712 du code général des impôts a pour seul objet de régler le recours des parties entre elles à l'occasion du paiement des droits d'enregistrement et ne vise que la contribution au paiement de l'impôt ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt attaqué que la notification de redressements du 4 septembre 2003 afférente aux droits de donation litigieux a été adressée à Mme X... à titre personnel ; qu'en justifiant la régularité de la notification de redressement à Mme X... non pas en tant que débiteur solidaire mais en vertu de l'article 1712 précité, inapplicable à une procédure de redressement, sous prétexte que l'acte de renonciation du 5 décembre 1996 comportait une clause indiquant que "tous les frais, droits et émoluments des présentes et leurs suites seront supportés et acquittés par Mme Arlette X..., née Y..., les juges d'appel ont violé les dispositions des articles L. 57 du livre des procédures fiscales, 1705 et 1712 du code général des impôts ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article 1705 du code général des impôts que toutes les parties qui ont figuré dans un acte sont tenues solidairement des droits d'enregistrement auxquels cet acte est soumis ; qu'il s'ensuit que l'administration des impôts peut notifier un redressement tendant au paiement des droits estimés dus à l'un quelconque des débiteurs solidaires de la dette fiscale ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer au directeur général des finances publiques la somme de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille onze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils, pour Mme Y...

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté Mme Arlette Y..., veuve X..., de toutes ses demandes,

Aux motifs que l'article 1712 du code général des impôts dispose que les droits des actes civils et judiciaires emportant translation de propriété ou d'usufruit de meubles ou immeubles, sont supportés par les nouveaux possesseurs, et ceux de tous les autres actes le sont par les parties auxquelles les actes profitent, lorsque, dans ces divers cas, il n'a pas été stipulé de dispositions contraires dans les actes ; qu'en l'espèce l'acte de renonciation à usufruit inclut une clause selon laquelle « tous les frais, droits et émoluments des présentes et de leurs suites seront supportés et acquittés par Madame Arlette X... née Y..., comparante, qui s'y oblige» ; que l'administration fiscale est donc bien fondée à se prévaloir de cette clause, pour réclamer les droits de mutation impayés à Arlette X..., pour autant que cet acte puisse être considéré comme un acte translatif de propriété ou d'usufruit ; qu'aucune irrégularité ne résulte donc du fait que le redressement a été notifié à Arlette X... et non à ses enfants donataires ; que le caractère gratuit de l'acte n'est pas discuté, ni le fait qu'il a pour conséquence de rendre exigibles des droits de mutation à titre gratuit, Arlette X... ne contestant que le moment auquel s'est opérée la réunion de l'usufruit qu'elle abandonnait à la nue-propriété de ses enfants ;
qu'en ce concerne le moment auquel est intervenu le transfert de propriété, force est d'observer que, sur le plan formel, l'acte de renonciation est le seul acte qui ait été formalisé, et l'acceptation des donataires n'a donc pu être que tacite ; que, cependant, ces derniers ont manifesté de façon non équivoque leur acceptation en faisant figurer en pleine propriété à leurs propres déclarations fiscales quelques mois plus tard les actions dont l'usufruit avait été abandonné par leur mère ; qu'il ne peut être admis que la réunion de l'usufruit des actions à la nue-propriété des enfants d'Arlette X... ait été différée jusqu'à l'établissement de la déclaration fiscale de ces derniers, ce qui équivaudrait à considérer que le droit d'usufruit abandonné serait resté vacant entre la déclaration d'abandon d'usufruit et ce moment ; qu'il n'est d'ailleurs pas soutenu que les revenus produits par ces titres n'auraient pas été perçus ; que, cependant, la renonciation à usufruit étant muette sur l'identité des titulaires de la nue-propriété, l'administration, pour caractériser les conséquences fiscales de la déclaration d'abandon d'usufruit, était bel et bien contrainte de se livrer à des recherches afin d'établir au profit de qui avait eu lieu la mutation, le seul fait de devoir opérer un rapprochement avec la donation antérieure et avec les déclarations fiscales des donataires caractérisant suffisamment ces recherches au sens de l'article L.180 du livre des procédures fiscales en son dernier alinéa ; que, seul le délai de prescription prévu par l'article L.186 de ce même livre est donc applicable, soit dix ans ; que le redressement opéré par l'administration n'est donc pas atteint par la prescription ;

Alors, d'une part, que la renonciation à l'usufruit d'un bien n'est constitutive d'une donation passible des droits d'enregistrement au taux progressif et donc translative et non plus abdicative ou extinctive qu'à la date où l'ensemble des éléments constitutifs de la donation sont réunis, ce qui suppose un abandon irrévocable de l'usufruit avec une intention libérale et l'acceptation du bénéficiaire ; qu'un acte de renonciation à usufruit pouvant être abdicatif et non translatif, il n'emporte pas réunion de l'usufruit et de la nue-propriété tant que le nu-propriétaire n'a pas accepté l'usufruit abandonné ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt attaqué que Mme X... a, par acte du 5 décembre 1996, enregistré le 27 décembre suivant, renoncé unilatéralement à l'usufruit qu'elle détenait sur 523.432 titres de la société espagnole CONTISA et que ses enfants, nus-propriétaires, ont déclaré ses titres en pleine propriété dans les déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune qu'ils ont souscrites le 15 juin 1997, enfin, que les redressements de droits d'enregistrement litigieux ont été notifiés au titre de l'année 1996, après requalification par l'administration fiscale de cette renonciation à usufruit en donation ; qu'en estimant que le fait générateur des droits de donation était nécessairement l'acte de renonciation à usufruit du 5 décembre 1996 et que ces droits pouvaient donc être exigibles avant que l'usufruit délaissé n'ait été accepté expressément ou tacitement par les nus-propriétaires, les juges d'appel ont violé les dispositions des articles 677, 750 ter, 784 et 777 du code général des impôts et de l'article 894 du code civil ;

Alors, d'autre part, que la renonciation unilatérale à l'usufruit ne constitue une donation indirecte au profit du nu-propriétaire que si elle est faite avec une intention libérale envers celui-ci et si elle est acceptée par lui comme telle ; que le fait générateur des droits d'enregistrement dus au titre d'une telle donation est au plus tôt la date de l'acceptation tacite du bénéficiaire de l'usufruit ainsi abandonné ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt attaqué que Mme X... faisait valoir dans ses conclusions, que l'acceptation tacite du bénéficiaire résultait au plus tôt de la déclaration d'impôt de solidarité sur la fortune souscrites par ses sept enfants, nus-propriétaires des titres en cause, le 15 juin 1997, lesquelles incluait la valeur en pleine propriété de ceux-ci ; qu'en décidant néanmoins que les redressements litigieux avaient pour fait générateur l'acte de renonciation du 5 décembre 1996 de sorte qu'ils étaient dus au titre de l'année 1996, bien que les droits d'enregistrement litigieux ne pouvaient pas être devenus exigibles et être dus avant le 15 juin 1997, date d'acceptation tacite par les nus-propriétaires de l'usufruit délaissé, et qu'il n'était pas contesté que l'acceptation de ces derniers n'était pas antérieure au 1er janvier 1997, les juges d'appel ont violé les articles 677, 750 ter, 784 et 777 du code général des impôts et de l'article 894 du code civil ;

Alors, enfin et subsidiairement, que les redressements de droits d'enregistrement se rapportant à des conventions écrites ou verbales, doivent être notifiés à l'un quelconque des débiteurs solidaires, en cette qualité et non à titre personnel, et que l'article 1712 du code général des impôts a pour seul objet de régler le recours des parties entre elles à l'occasion du paiement des droits d'enregistrement et ne vise que la contribution au paiement de l'impôt ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt attaqué que la notification de redressements du 4 septembre 2003 afférente aux droits de donation litigieux a été adressée à Mme X... à titre personnel ; qu'en justifiant la régularité de la notification de redressements à Mme X... non pas en tant que débiteur solidaire mais en vertu de l'article 1712 précité, inapplicable à une procédure de redressement, sous prétexte que l'acte de renonciation du 5 décembre 1996 comportait une clause indiquant que « tous les frais, droits et émoluments des présentes et leurs suites seront supportés et acquittés par Mme Arlette X... née Y... », les juges d'appel ont violé les dispositions des articles L.57 du livre des procédures fiscales, 1705 et 1712 du code général des impôts.

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