Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 16 juin 2011, 10-17.898, Inédit
Cour de cassation - Chambre civile 1
- N° de pourvoi : 10-17.898
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
- Président
- M. Charruault (président)
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que Pierre X... est décédé le 23 mai 1983 en laissant à sa succession, son épouse, Mme Germaine Y... avec laquelle il s'était marié en 1939 sous le régime conventionnel de communauté réduite aux acquêts, donataire ayant opté pour l'usufruit de l'universalité de la succession, et leurs deux enfants, M. Georges X... et Mme Hélène X..., épouse Z... ; que lors des opérations de liquidation et partage de la succession ordonnées par jugement du 13 novembre 1997, les successibles se sont opposés sur le sort du portefeuille de valeurs mobilières dépendant de la communauté ; qu'entérinant les conclusions du rapport de l'expert désigné par un premier jugement pour décrire l'évolution du portefeuille et rechercher les opérations de vente ayant porté atteinte à sa structure, le tribunal a notamment retenu qu'en sa qualité d'usufruitière de l'universalité des biens de son époux, Mme Y... a commis un abus de jouissance en effectuant des prélèvements sur le portefeuille, prononcé l'extinction de son droit d'usufruit et décidé qu'elle doit rapporter à la succession une somme de 196 219, 07 euros représentant " la différence entre le montant auquel devrait être évalué le portefeuille sans les prélèvements et son montant réel " ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir refusé d'ordonner une nouvelle expertise et d'avoir fixé à 113 972, 41 euros la somme que Mme Y... doit rapporter à la succession alors que :- même s'il n'a pas été récusé, un magistrat ne peut siéger en appel après avoir siégé en première instance, fut-ce en qualité de juge commissaire ou de juge de la mise en état ; qu'en l'espèce, madame Corbel, conseiller lors de l'audience devant la cour d'appel d'Amiens, avait déjà connu le dossier en qualité de juge-commissaire en charge des opérations de compte, liquidation et partage (ordonnance sur requête du 3 juin 2002) et en qualité de juge de la mise en état (ordonnance de clôture du 16 juillet 2003) ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu qu'aux termes de l'article 430 du code de procédure civile les contestations afférentes à la composition d'une juridiction doivent être présentées, à peine d'irrecevabilité, dès l'ouverture des débats, faute de quoi aucune nullité ne peut être ultérieurement prononcée de ce chef ; qu'en l'espèce il ne résulte ni de l'arrêt, ni des productions qu'une telle contestation ait été soulevée devant la cour d'appel ; d'où il suit que le moyen est irrecevable ;
Sur le deuxième moyen, ci-après annexé :
Attendu que sous couvert de critiquer la décision de la cour d'appel en ce qu'elle a, dans l'exercice de son pouvoir souverain, refusé d'ordonner la nouvelle expertise réclamée par Mme Z... avec une mission similaire à celle confiée à l'expert désigné par le tribunal, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation par les juges du fond des conclusions de cet expert, soumises à la contradiction des parties, au vu desquelles ils ont statué comme ils ont fait sur l'existence d'un abus de jouissance commis par l'usufruitière et sur le montant de la somme qu'elle est tenue de rapporter à la succession ; qu'ainsi, abstraction faite du motif justement critiqué par la première branche, l'arrêt attaqué n'encourt pas les griefs du moyen ;
Sur le troisième moyen, ci-après annexé :
Attendu que la cour d'appel qui a exactement énoncé qu'en aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve et qui a estimé dans l'exercice de son pouvoir souverain que Mme Z... ne produisait aucun élément de nature à fonder ses soupçons quant à d'éventuels apports de l'indivision à la société gérée par la fille de M. Gérard X..., n'était pas tenue d'ordonner une expertise afin de rechercher les mouvements de fonds entre l'indivision et cette société ; que le moyen ne peut donc être accueilli ;
Mais sur le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 578 du code civil ;
Attendu que l'usufruitier d'un portefeuille de valeurs mobilières a la charge d'en conserver la substance et de le rendre ;
Attendu que pour fixer à 113 972, 41 euros le montant de la somme due par Mme Y... en conséquence de l'extinction de son usufruit sur le portefeuille de valeurs mobilières la cour d'appel a pris en considération le seul montant des dissipations commises ;
Attendu qu'en statuant ainsi alors que l'usufruitière était tenue de rendre la valeur qui aurait été celle du portefeuille en l'absence de ces prélèvements, la cour d'appel a violé, par refus d'application, le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que Mme Y... doit rapporter à la succession une somme de 113 972, 41 euros, l'arrêt rendu le 11 juin 2009, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne M. Georges X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. Georges X... à payer à Mme Z... la somme de 3 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize juin deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils pour Mme Z....
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu d'ordonner une nouvelle expertise et d'AVOIR fixé à 113. 972, 41 euros la somme que madame Germaine Y... veuve X... devra rapporter à la succession ;
ALORS QUE, même s'il n'a pas été récusé, un magistrat ne peut siéger en appel après avoir siégé en première instance, fut-ce en qualité de juge commissaire ou de juge de la mise en état ; qu'en l'espèce, madame Corbel, conseiller lors de l'audience devant la Cour d'appel d'Amiens, avait déjà connu le dossier en qualité de juge-commissaire en charge des opérations de compte, liquidation et partage (ordonnance sur requête du 3 juin 2002) et en qualité de juge de la mise en état (ordonnance de clôture du 16 juillet 2003) ; qu'ainsi, la Cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu d'ordonner une nouvelle expertise ;
AUX MOTIFS QU'« il convient d'observer en premier lieu qu'une évaluation du portefeuille de valeurs mobilières qui tiendrait compte de l'évolution du CAC 40 ne serait pas nécessairement plus favorable à l'appelante puisque devant être faite au jour le plus proche du partage, elle devrait intégrer les récentes évolutions du marché boursier ; mais il convient surtout de rappeler que l'absence de prise en compte par monsieur B...de l'évolution du CAC 40 avait donné lieu à un dire auquel l'expert avait répondu en expliquant que cet indice ayant fortement progressé à compter de 1996 alors que les retraits les plus significatifs ayant affecté le compte-titres des époux Pierre X... sont intervenus avant cette date, il n'était pas opportun de prendre cette évolution en considération ; à cet avis, que la Cour fait sien, s'ajoute un autre argument : à savoir que l'indice CAC 40 ne rend compte que de l'évolution d'un portefeuille qu'en termes purement spéculatifs : il privilégie les plus values sur les dividendes alors que, contrairement à une idée très répandue, un portefeuille d'actions est un placement à long terme, à plus forte raison lorsque, comme en l'espèce, la propriété en est démembrée au profit d'un héritier qui, n'en ayant que l'usufruit, ne peut pas l'aliéner ; quant aux investigations menées auprès de la Banque de Picardie, devenue HSBC, madame Z... ne démontre pas qu'elles seraient plus fructueuses si elles étaient menées par un autre expert que monsieur B..., qui a expliqué dans son rapport n'avoir pu obtenir de cette banque aucun relevé antérieur à 2003 du fait, notamment, de la clôture de certains comptes ; une nouvelle expertise, plus de trois ans après le dépôt du premier rapport, n'aboutira assurément pas à de meilleurs résultats » ;
1°) ALORS QUE, tenu de se fonder sur des faits pertinents et véridiques, le juge du fond ne peut refuser d'ordonner une mesure d'expertise au prétexte que la réalité qu'elle pourrait révéler ne serait pas nécessairement favorable à celle des parties qui la sollicite ; qu'en l'espèce, pour refuser d'ordonner une nouvelle mesure d'expertise aux fins d'évaluer, en fonction de l'évolution de l'indice CAC 40, le portefeuille de valeurs mobilières et l'atteinte y ayant été portée du fait des prélèvements opérés par madame Germaine X..., la Cour d'appel a considéré qu'une telle évaluation ne serait pas nécessairement favorable à madame Hélène X... du fait de la chute de cet indice boursier au cours des dernières années ; qu'en statuant de la sorte, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 143 et 144 du Code de procédure civile ;
2°) ALORS en tout état de cause QUE l'usufruitier d'un portefeuille de valeurs mobilières a la charge d'en conserver la substance et de le rendre et n'est autorisé à gérer cette universalité en cédant des titres que dans la mesure où il les remplace ; que la réparation qu'il doit au nu-propriétaire en cas de méconnaissance de cette obligation est évaluée en fonction de l'atteinte ainsi portée à la substance de la chose ; qu'en l'espèce, pour refuser une expertise aux fins d'évaluer l'atteinte portée à la substance du portefeuille en fonction de l'indice CAC 40, la Cour d'appel a relevé que cet indice avait fortement progressé à compter de 1996 alors que les retraits les plus significatifs avaient été effectués par madame Germaine X... avant cette date ; qu'en se fondant sur une telle circonstance, inopérante dans la logique d'une détermination de l'atteinte portée à la substance du portefeuille, la Cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des articles 143 et 144 du Code de procédure civile ;
3°) ALORS de même QUE l'indice CAC 40 est déterminé à partir du cours de 40 actions cotées en continu et dont la valorisation boursière est la plus importante ; qu'il constitue le seul moyen de déterminer l'évolution de la substance d'un portefeuille de valeurs mobilières ou, du moins, une tendance d'évolution selon que ce portefeuille comprend ou non les titres constitutifs de cet indice ; qu'en l'espèce, madame Hélène X... faisait reproche à l'expert de s'être référé uniquement au coefficient d'érosion monétaire, comme si la chose confiée à madame Germaine X... n'était constituée que de simples sommes d'argent ; qu'en refusant le principe d'une nouvelle expertise aux fins de se référer au CAC 40 au prétexte que celui-ci ne rend compte de l'évolution d'un portefeuille qu'en termes purement spéculatifs du fait qu'il privilégie les plus values sur les dividendes, la Cour d'appel s'est fondée sur un motif inexact et a encore privé sa décision de base légale au regard des articles 143 et 144 du Code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE le motif inintelligible équivaut à une absence de motif ; qu'en affirmant que l'indice CAC 40 ne rend compte de l'évolution d'un portefeuille qu'en termes purement spéculatifs du fait qu'il privilégie les plus values sur les dividendes, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
5°) ALORS QUE madame Hélène X... faisait valoir que l'expert, outre qu'il n'avait pas poussé ses investigations auprès de la Banque de Picardie, n'avait pas davantage suffisamment interrogé le centre des services informatiques FICOBA afin de déterminer si des comptes ouverts au nom de monsieur Pierre X... avaient été clôturés ; qu'en laissant ce moyen sans réponse, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu d'ordonner une nouvelle expertise ;
AUX MOTIFS QUE « madame Z... ne produit aucun élément qui fonderait ses soupçons quant à d'éventuels apports de l'indivision à la SARL Conseils et Participations Catésiens, gérée par madame Isabelle X... ou qui justifierait, plus généralement, de nouvelles investigations sur les comptes alors qu'aux termes de l'article 146 du Code de procédure civile, une mesure d'instruction ne peut être ordonnée pour suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve » ;
ALORS QUE le juge ne peut refuser d'ordonner une expertise aux fins de déterminer la réalité d'un préjudice qui ne pouvait être établi que par des recherches de pièces auxquelles le demandeur ne pouvait lui-même procéder ; que le juge saisi d'une demande d'expertise doit ainsi rechercher si la partie intéressée n'était pas tenue, pour apporter la preuve de sa prétention, de recourir à des éléments en la seule possession de son adversaire ; qu'en l'espèce, madame X... épouse Z... ne pouvait légitimement disposer d'éléments se rapportant au financement des activités de sa nièce, madame Isabelle X... ; qu'en lui refusant le droit à une expertise par cela seul qu'elle ne produisait aucun élément qui fonderait ses soupçons quant à d'éventuels apports de l'indivision à la SARL Conseils et Participations Catésiens sans constater la possibilité qui aurait été la sienne de se procurer ce type d'élément, la Cour d'appel a violé l'article 146 du Code de procédure civile.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR fixé à 113. 972, 41 euros la somme que madame Germaine Y... veuve X... devra rapporter à la succession ;
AUX MOTIFS QUE « la décision déférée sera réformée en ce qui concerne le montant de la somme que madame Y... devra rapporter à la succession ; il y a lieu en effet de la condamner à rapporter une somme égale à la moitié des prélèvements qu'elle a opérés pour tenir compte à la fois des dissipations commises et de ses droits dans le portefeuille dont elle était usufruitière mais qui lui appartenait pour moitié puisqu'il n'est pas contesté qu'il s'agit d'un bien commun » ;
1°) ALORS QUE, tenu de respecter le principe du contradictoire, le juge du fond ne peut soulever d'office un moyen sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, s'ils demandaient l'infirmation de la décision déférée en ce qu'elle avait prononcé la déchéance du droit d'usufruit, monsieur Georges X... et madame Germaine X..., subsidiairement, ne faisaient pas valoir que le portefeuille de valeurs mobilières constituait un bien commun et qu'il convenait en conséquence de limiter le rapport à la moitié des prélèvements irréguliers ; qu'en soulevant d'office ce moyen pris de la nature du bien donné en usufruit, sans inviter madame Hélène X... à présenter ses observations, la Cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE l'indemnisation due par l'usufruitier ayant porté atteinte à la substance d'un portefeuille de valeurs mobilières en y effectuant des prélèvements non autorisés ne peut être limitée au strict montant de ces derniers mais doit correspondre à la différence entre la valorisation effective au moment de la restitution du portefeuille ainsi amputé et sa valorisation théorique si ces prélèvements n'avaient pas eu lieu ; qu'en limitant, en l'espèce, le rapport du par madame Germaine X... à la succession au strict montant des prélèvements irrégulièrement effectués, la Cour d'appel a ignoré le principe de la réparation intégrale dans ce cas spécifique et a violé les articles 578, 587, 618 et 1149 du Code civil.