Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 mai 2011, 09-71.566, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 29 septembre 2009), qu'engagé à compter du 14 novembre 1994 en qualité de directeur d'entrepôt par la société Métro Cash et Carry, spécialisée dans la fourniture en gros de restaurants, M. X..., qui exerçait en dernier lieu les fonctions de directeur de l'entrepôt de Six-Fours, a été licencié pour faute grave le 7 octobre 2005 ;

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié des indemnités de rupture en jugeant le licenciement fondé sur une simple cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, qu'ayant relevé que M. X..., directeur de l'entrepôt de Perpignan de la société Métro Cash et Carry, avec le statut de cadre dirigeant, avait dissimulé à son employeur, et ce en dépit d'une clause d'exclusivité, son activité de gérant d'un restaurant -la Brasserie Les Halles– client de l'entrepôt, avait abusé de son pouvoir hiérarchique en demandant «à des salariés placés sous son autorité de ne pas révéler cette situation, avait lui-même concédé à la société dont il avait la gérance et sous couvert du nom de son associé des avantages particuliers», avait «utilisé à cette fin le code informatique attribué à son prédécesseur», «avait consenti à la société dont il était le gérant un plafond de crédit ainsi que des délais de paiement inhabituels», ce dont la cour d'appel en a déduit qu'il «résulte de l'ensemble de ces éléments que le salarié a non seulement violé ses obligations contractuelles mais également méconnu son obligation de loyauté vis à vis de l'employeur» et en écartant cependant la faute grave par des motifs inopérants, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5, et L. 1234-9 du code du travail ;

Mais attendu qu'ayant relevé que le salarié, dans l'entreprise depuis onze ans, faisant l'objet d'appréciations élogieuses de son travail, n'avait fait bénéficier l'entreprise tierce dont il était le gérant d'aucun avantage particulier en dehors de ceux habituellement octroyés à la clientèle fidèle et n'avait commis aucun acte de concurrence déloyale au préjudice de son employeur, la cour d'appel a pu décider que les faits imputés au salarié n'étaient pas de nature à justifier la rupture immédiate du contrat de travail et ne constituaient donc pas une faute grave ;

Que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Métro Cash et Carry aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Cash et Carry à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre mai deux mille onze.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Métro Cash et Carry

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR dit le licenciement de Monsieur X... justifié par une cause réelle et sérieuse ne constituant pas une faute grave et d'avoir en conséquence condamné à la société Métro Cash & Carry à lui payer des sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

AUX MOTIFS QU'au soutien des griefs invoqués dans la lettre de licenciement, l'employeur verse divers documents relatifs à la SARL Brasserie des Halles établissant que cette société a été constituée au mois de novembre 2004 à égalité de parts entre Daniel X... (nommé gérant) et Ludivine Y..., qu'elle a été immatriculée au registre du commerce de PERPIGNAN le 10 novembre 2004 et que Mlle Y... a cédé ses parts le 3 janvier 2005 à Monsieur Maël Z... ; qu'il résulte par ailleurs des pièces versées aux débats, qu'un contrat a été établi en vue de la délivrance d'une carte dite REFLEXE (permettant d'obtenir un paiement différé ou fractionné ainsi que des points de fidélité ouvrant un droit à cadeau) à Madame Y... puis à Monsieur Xavier Z... (père de Maël Z...) par Madame A..., exerçant les fonctions de conseillère carte REFLEXE à PERPIGNAN, et ce à la demande de Monsieur X... qui lui a demandé "la plus grande discrétion sur cette affaire par rapport aux autres employés", selon l'attestation établie par l'intéressée ; que le témoin ajoute ne pas avoir conservé un double de ce contrat "pour éviter qu'il ne puisse être découvert par quelqu'un, car le nom ne correspondait pas à celui du k-bis" ; que Madame A... déclare enfin qu'elle a en outre été chargée de surveiller l'arrivée du BODACC pour que l'annonce légale ne soit pas repérée par les hôtesses et que le journal d'annonces concerné a été récupéré par Monsieur X... lui-même ; que Madame B..., responsable administrative, témoigne de même avoir appris par Monsieur X... qu'il venait de s'associer avec Monsieur Z... "sur l'affaire de la Brasserie, qu'il était le gérant et que cela devait rester secret " ; que Madame C..., chef de département et "bras droit" de Monsieur X..., déclare quant à elle avoir reçu la même confidence qui lui a "posé un problème de conscience", ne sachant pas si cet investissement pouvait être compatible avec le poste de Directeur ; que le témoin ajoute qu'ayant demandé à plusieurs reprises à Monsieur X... s'il avait informé Monsieur D... (directeur régional), ses questions sont demeurées sans réponse ; qu'enfin, Madame E..., responsable caisses, déclare avoir reçu la même information de Monsieur X... «dans un contexte de confidentialité» ; que l'employeur justifie que le 10 décembre 2004, le contrat REFLEXE litigieux a bénéficié d'une augmentation de plafond de 2.000 € à 5.000 €, cette opération ayant été réalisée à l'aide du code informatique de l'ancien directeur, Monsieur F... ; que du reste, dans son attestation produite par le salarié, Monsieur Xavier Z... déclare lui-même «avoir sollicité auprès de Monsieur X... une augmentation de plafond car (les) achats étaient de plus en plus importants», ce qui lui a été accordé par Monsieur X... «comme à tout autre client régulier de l'entrepôt» ; qu'en dépit de ce plafond limité à 5.000 € et alors que le contrat autorisait un différé de paiement de 8 jours, il est établi que la Brasserie des Halles a effectué des achats à crédit du 26 octobre 2004 (à hauteur de 17.215,30 €) au 25 novembre 2004, et que le solde de 19 790,13 € restant dû n'a été réglé que courant décembre 2004 par un chèque personnel de Monsieur X..., ce dont a attesté Madame E... ; qu'enfin, il ressort des pièces comptables communiquées par l'employeur que les repas «d'inventaire» du 22 novembre 2004 et celui de fin d'année 2004, ont été pris à la Brasserie des Halles par le personnel de la société MÉTRO pour les sommes respectives de 607,10 € et 1.680 € indiquées dans la lettre de licenciement, dont le décaissement a été autorisé par Monsieur X... ; que de même, il apparaît que fin 2004 et début 2005, des salariés de l'entreprise ont pris des repas à la Brasserie des Halles, ayant donné lieu à des notes de frais visées par Monsieur X... ; que le contrat de travail de Monsieur X... comporte la clause suivante «Monsieur Daniel X... doit apporter à l'exercice de ses fonctions tout le soin et la diligence qu'elles exigent. II est chargé des intérêts de la Société et doit accomplir toutes tâches conformes à ceux-ci et agir, en toutes circonstances, pour le bien de la Société. Monsieur Daniel X... doit, sans exception ni réserve, consacrer à la Société la totalité de son activité professionnelle. Il ne peut exercer aucun autre emploi ou fonctions, soit dans une autre entreprise, soit pour son compte personnel, même en qualité de conseil, sans l'autorisation écrite et préalable de la Société. Il en est de même de toutes fonctions honorifique" ; que par ailleurs, les délégations de pouvoirs "directeur" successivement consenties à Monsieur X..., et notamment celles du 2 février 2004 et du 17 mai 2005, contiennent les dispositions suivantes : «dans le cadre de la présente délégation, vous aurez ainsi à respecter et faire respecter l'ensemble de la réglementation applicable aux opérations liées à la réception, la détention et la revente des produits et notamment dans les domaines relatifs aux ventes entre professionnels, formation de prix, publicité et promotion des produits, conformité et sécurité des produits, et de façon générale toutes les opérations commerciales traitées dans votre établissement." ; que le salarié conteste la validité de la clause d'exclusivité en raison de sa généralité et pour n'avoir pas été selon lui indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise ni proportionnée au but recherché, sans toutefois expliquer pourquoi, non seulement il n'a pas a minima informé son employeur, mais demandé au contraire à ses subordonnées de rester discrètes ; qu'il fait valoir de manière inopérante qu'il n'assumait pas la gestion de fait de la société "La Brasserie des Halles", dont il était en tout état de cause le gérant de droit ; (…) ; qu'en définitive, le salarié se bornant à contester les faits dans leur ensemble sans apporter aucun élément probant, il est ainsi établi :

- que faute d'avoir jugé nécessaire de solliciter son autorisation écrite et préalable, le salarié s'est à tout le moins abstenu d'informer son employeur qu'il était devenu gérant associé d'une autre entreprise, qui plus est d'un restaurant situé à proximité immédiate de son lieu de travail et fréquenté par des subordonnées dont il visait les notes de frais ;

- qu'il a demandé au contraire à des salariées placées sous son autorité de ne pas révéler cette situation, ce qui démontre sa volonté de dissimulation et la parfaite conscience qu'il avait de commettre une entorse à ses obligations contractuelles ;

- qu'il a lui-même concédé à la société dont il avait pris la gérance et sous couvert du nom de son associé, des avantages particuliers dans le cadre du contrat MÉTRO REFLEXE, habituellement octroyés par son employeur à la clientèle fidèle ;

- qu'il a utilisé à cette fin le code informatique attribué à son prédécesseur ;

- qu'il a consenti à la société dont il était le gérant un plafond de crédit ainsi que des délais de paiement inhabituels ;

- qu'il a transgressé les règles dont il était contractuellement chargé d'assurer le respect en tant que Directeur de l'entrepôt ;

que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi, conformément aux dispositions des articles 1134 du code civil et L.120-4 devenu L. 1222-1 du code du travail, qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que le salarié a non seulement violé ses obligations contractuelles mais également méconnu son obligation de loyauté à l'égard de l'employeur ; que toutefois, si elle est constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement, la faute ainsi commise n'était pas d'une gravité telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant le préavis ; que selon les attestations produites par l'employeur lui-même et hormis les avantages susvisés, la société «la Brasserie des Halles» n'a bénéficié d'aucune faveur ; que les témoins déclarent ainsi :

- Madame C... : «je me suis attachée à ce qu'il n'y ait aucune faveur, aucun cadeau client, aucune sortie de marchandise sans facture, aucune baisse de prix, ni avoir sans justificatif. La Brasserie des Halles était et est un client comme un autres» ;

- Madame E... : «Je n'ai jamais constaté de passe-droits particuliers lors du passage en caisses de M. Z..., son gestionnaire dans l'affaire, ni de cadeaux client. Concernant les manifestations faites à la Brasserie des Halles, deux à ma connaissance, repas de l'inventaire général, durant lequel je n'ai rien constaté d'anormal, et repas de fin d'année en janvier 2005, auquel je n'ai pas assisté car j'étais en vacances. La Brasserie des Halles est un client comme les autres et j'applique la même vigilance qu'avec tout autre client» ; que si l'employeur produit quelques notes de frais des subordonné(e)s de Monsieur X..., visées par lui, pour des repas pris à la Brasserie des Halles, ces pièces sont insuffisantes à faire la preuve que Monsieur X... aurait incité ses subordonné(e)s à fréquenter ce restaurant, ce qui est au surplus démenti par le témoignage de Madame G... (ancienne attachée commerciale à l'entrepôt de PERPIGNAN), versé aux débats par le salarié :

«(...) Etant impliqué financièrement dans ce commerce, Monsieur X... m'a interdit de venir déjeuner aux frais de la société METRO, comme j'avais l'habitude de le faire régulièrement auparavant... Quant au repas d'encadrement auquel j'ai assisté, le choix du restaurant s'est fait en concertation avec les membres de l'encadrement, sans que Monsieur X... n'ait pris la moindre position. Nous avons choisi ce restaurant de part sa proximité avec l'entrepôt et surtout pour faire plaisir à notre collègue M. Z... Xavier» ; qu'en outre, une seule note de frais de Monsieur X... lui-même est communiquée par l'employeur, datée du 13 décembre 2004, pour un montant de 324,05 €, cette dépense n'est pas mise en corrélation de manière significative avec la facture de 143,40 € établie par la Brasserie du Marché de Gros le 24 septembre 2004, soit antérieurement à la constitution de la SARL Brasserie des Halles ; que par ailleurs, si la société la Brasserie des Halles a bénéficié d'un délai de paiement auprès de la société MÉTRO du fait des fonctions exercées par Monsieur X..., il est acquis que fin décembre 2004 la Brasserie des Halles n'était plus débitrice de la société METRO et celle-ci n'allègue aucune anomalie postérieure jusqu'au remplacement de Monsieur X..., courant mai 2005, ni aucun préjudice matériel ; que de plus, la société MÉTRO n'a été victime d'aucune concurrence déloyale de la part de son salarié du fait de ses fonctions de gérant de la Brasserie des Halles ; qu'en outre, il résulte des éléments produits par le salarié que la gérance de la société "La Brasserie Les Halles", dans laquelle Monsieur X... a investi, était de fait plutôt exercée par Monsieur Z... ; que de surcroît, le salarié justifie avoir été félicité par l'employeur le 17 juin 2003 pour «l'excellente tenue de l'entrepôt ainsi que par l'enthousiasme et le dynamisme de (son) équipe» ainsi que «pour la progression régulière de (son) chiffre d'affaires…», et l'augmentation de sa rémunération, notifiée par lettre du 23 mai 2005, confirme cette appréciation positive de l'employeur, jusqu'à la découverte des faits reprochés ; qu'enfin, lorsque les faits ont été portés à la connaissance de l'employeur, Monsieur X... n'exerçait plus ses fonctions à Perpignan mais à Six Fours, ce qui constitue une circonstance supplémentaire permettant son maintien dans l'entreprise pendant l'exécution de son préavis ;

ALORS QUE caractérise une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise, le fait pour un cadre dirigeant d'abuser de ses fonctions, de violer délibérément ses obligations contractuelles et de manquer sciemment à son obligation de loyauté en dissimulant à son employeur ses agissements visant à favoriser sa propre entreprise ; qu'ayant relevé que Monsieur X..., directeur de l'entrepôt de Perpignan de la société Métro Cash & Carry, avec le statut de cadre dirigeant, avait dissimulé à son employeur, et ce en dépit d'une clause d'exclusivité, son activité de gérant d'un restaurant - la Brasserie les Halles – client de l'entrepôt, avait abusé de son pouvoir hiérarchique en demandant «à des salariés placées sous son autorité de ne pas révéler cette situation, ce qui démontre sa volonté de dissimulation et la parfaite conscience qu'il avait de commettre une entorse à ses obligations contractuelles», avait lui-même «concédé à la société dont il avait la gérance et sous couvert du nom de son associé des avantages particuliers», avait «utilisé à cette fin le code informatique attribué à son prédécesseur», «avait consenti à la société dont il était le gérant un plafond de crédit ainsi que des délais de paiement inhabituels», avait «transgressé les règles dont il était contractuellement chargé d'assurer le respect en tant que directeur de l'entrepôt», ce dont la Cour en a déduit qu'il «résulte de l'ensemble de ces éléments que le salarié a non seulement violé ses obligations contractuelles mais également méconnu son obligation de loyauté vis à vis de l'employeur» et en écartant cependant la faute grave aux motifs inopérants tirés de ce que la société la «Brasserie des Halles» n'aurait bénéficié d'aucune autre faveur ou de ce que Monsieur X... avait été félicité sur la qualité de son travail, avait bénéficié d'une augmentation de salaire et de ce qu'il était devenu directeur de l'entrepôt de Six Fours, avant que son employeur ne découvre ses agissements, la Cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L.1234-1, L.1234-5, et L.1234-9 du Code du travail.

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