Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 15 mars 2011, 10-13.824, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. X... et la société Coquelle Gourdin, que sur le pourvoi incident relevé par la société Hervé Balladur international et HB consult ;

Attendu selon l'arrêt attaqué, que, depuis 1995, M. X... a été salarié de la société Hervé Balladur international (la société HBI), spécialisée dans l'organisation des transports internationaux à Marseille ; que le 13 février 2004, eu égard à ses bons et loyaux services et à son implication personnelle dans cette société, il a bénéficié de la part de son actionnaire principal, la société HB consult, de l'attribution de quarante actions de la société HBI au prix symbolique d'un euro ; que cette cession et ses conditions ont été formalisées dans un pacte d'actionnaires, signé le 13 février 2004 et contenant une clause de non-concurrence envers la société HBI ; que le 4 octobre 2005, M. X... a démissionné de son emploi, pour entrer au service de l'agence marseillaise de la société Coquelle Gourdin, société concurrente de son ancien employeur ; que soutenant que son ancien salarié démarchait systématiquement leur clientèle en proposant des conditions plus avantageuses et que plusieurs de leurs clients s'étaient détournés pour s'adresser à la société Coquelle Gourdin, les sociétés HBI et HB consult ont fait assigner M. X... ainsi que la société Coquelle Gourdin en réparation ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, ensemble l'article 1131 du code civil ;

Attendu que lorsqu'elle a pour effet d'entraver la liberté de se rétablir d'un salarié, actionnaire ou associé de la société qui l'emploie, la clause de non-concurrence signée par lui, n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour la société de verser à ce dernier une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives ;

Attendu que pour condamner in solidum M. X... et la société Coquelle Gourdin à payer à la société HBI une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour avoir violé la clause de non-concurrence inscrite dans le pacte d'actionnaires du 13 février 2004, l'arrêt retient que la validité d'une clause de non-concurrence insérée dans un pacte d'actionnaires n'est pas subordonnée à l'existence d'une contrepartie financière ;

Attendu qu'en statuant ainsi la cour d'appel a violé le principe et le texte susvisés ;

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 1134 du code civil ;

Attendu que pour statuer comme elle a fait, la cour d'appel retient aussi qu'au demeurant le droit d'entrée de M. X... dans le capital de la société HBI a été symbolique et constituerait la contrepartie financière ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les termes du pacte d'actionnaires, relevés par l'arrêt, précisaient que l'attribution des actions à M. X... était réalisée en contrepartie de ses "bons et loyaux services", de son "'implication personnelle" et de l'activité déployée par lui, dans l'activité et le développement de la société HBI ", la cour d'appel a dénaturé les termes de cette convention et violé le texte susvisé ;

Sur le moyen, pris en sa troisième banche :

Vu le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, ensemble l'article 1131 du code civil ;

Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient que la clause de non-concurrence est justifiée par un motif légitime, qu'elle est proportionnée et n'apporte pas une restriction trop importante à la liberté du travail de M. X... lequel peut continuer à exercer dans le secteur professionnel qui est le sien, mais doit seulement ne pas démarcher la seule clientèle de la société HBI ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la clause était limitée géographiquement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche :

Vu l'article 1134 du code civil ;

Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient, enfin, que la clause qui est limitée, pour la période postérieure à l'actionnariat de M. X..., à ne pas démarcher la clientèle de la société HBI est valide en ce qu'elle est justifiée par un motif légitime, qu'elle est proportionnée et n'apporte pas une restriction trop importante à la liberté du travail de M. X... lequel peut continuer à exercer dans le secteur professionnel qui est le sien, mais doit seulement ne pas démarcher la seule clientèle de la société HBI ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les termes du pacte d'actionnaires précisaient que M. X... s'interdisait de participer ou de s'intéresser directement ou indirectement, à quelque titre que ce soit, à des activités de même nature que celles exploitées et développées par la société HBI et, en outre, pour la période post-contractuelle, à ne pas démarcher activement les clients de cette société, la cour d'appel a dénaturé les termes de cette convention et violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 novembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne les sociétés HBI et HB consult aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à la société Coquelle-Gourdin et M. X... la somme globale de 2 500 euros et rejette leur demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mars deux mille onze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils pour la société Coquelle-Gourdin et M. X...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR a réformé la décision des premiers juges en toutes ses dispositions, d'AVOIR condamné in solidum Monsieur Lionel X... et la SAS COQUELLE-GOURDIN à porter et payer à la SAS HERVE BALLADUR INTERNATIONAL la somme de 35.000 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt, et celle de 4.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE « la validité d'une clause de non-concurrence insérée dans un pacte d'actionnaires n'est pas subordonnée à l'existence d'une contrepartie financière ; qu'au demeurant le « droit d'entrée » de Monsieur Lionel X... dans le capital de la SAS HERVE BALADUR INTERNATIONAL a été symbolique (1 euro l'action) et constituerait la contrepartie financière ; que la clause de non-concurrence, limitée dans le temps et visant, pour ce qui concerne la « seconde période » (celle en cause) une interdiction limitée (celle pour Monsieur Lionel X..., ancien actionnaire, de ne pas démarcher activement les clients de la SAS HERVE BALLADUR INTERNATIONAL) est valide ; que la clause de nonconcurrence, telle qu'elle est rédigée, a un motif légitime (empêcher l'ancien actionnaire de démarcher les clients de la SAS HERVE BALLADUR INTERNATIONAL qu'au surplus il prospectait en exécution de son contrat de travail), qu'elle n'est pas disproportionnée par rapport à l'objet du pacte d'actionnaires par lequel Monsieur Lionel X... est entré dans le capital de la SAS HERVE BALLADUR et qu'enfin elle n'apportait pas une restriction trop importante à la liberté du travail (ou du commerce et de l'industrie) dont Monsieur X... bénéficie ; qu'il n'était pas interdit à Monsieur X... tout emploi salarié dans le secteur où il travaillé, sauf à ne pas contacter la clientèle de la SAS HERVE BALLADUR que, de surcroît, il avait en charge aux terme de son contrat de travail »

1. - ALORS QU'une clause de non-concurrence n'est licite, en toute matière, que si elle comporte l'obligation pour le créancier de verser au débiteur une contrepartie financière ; qu'en l'espèce, pour déclarer valable la clause de non-concurrence litigieuse qui interdisait au débiteur « de s'intéresser directement ou indirectement, à quelque titre que ce soit, à des activités de même nature que celles exploitées et développées par la Société », la Cour d'appel a affirmé que la validité d'une clause de non-concurrence insérée dans un pacte d'actionnaires n'était pas subordonnée à l'existence d'une contrepartie financière ; qu'en statuant ainsi la Cour d'appel a violé le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, ensemble l'article 1131 du Code civil ;

2. – ALORS QUE les juges du fond doivent se garder de dénaturer les termes clairs et précis des conventions ; Qu'en décidant qu'« au demeurant » la contrepartie financière de la clause de non-concurrence résiderait dans le prix symbolique des actions vendues à Monsieur X..., alors qu'il résultait des termes clairs et précis du pacte d'actionnaires que le prix symbolique en question trouvait sa contrepartie dans les « bons et loyaux services, (…) l'implication personnelle, et (…) l'activité déployée par Monsieur Lionel X..., dans l'activité et le développement de la Société HBI », la Cour d'appel a dénaturé ledit pacte d'actionnaires, et violé en conséquence l'article 1134 du Code civil ;

3. – ALORS QU'une clause de non-concurrence n'est licite, en toute matière, que si elle est limitée dans le temps et dans l'espace, et proportionnée aux intérêts légitimes du créancier au regard de l'objet du contrat, ces conditions étant cumulatives ; Qu'en l'espèce, la Cour d'appel a estimé que la clause de non-concurrence litigieuse était valable alors qu'elle ne comportait aucune limitation géographique ; Qu'en statuant ainsi la Cour d'appel a violé le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle ;

4. – ALORS QUE les juges du fond doivent se garder de dénaturer les termes clairs et précis des conventions ; qu'en décidant que la clause de non-concurrence ne prévoyait, pour la période post-contractuelle, qu'une « interdiction limitée (…), celle (…) de ne pas démarcher activement les anciens clients », et qu'il n'était donc pas « interdit à Monsieur Lionel X... tout emploi salarié dans le secteur professionnel où il a travaillé, sauf à ne pas contacter la seule clientèle de la SAS Hervé Balladur », alors qu'il résultait des termes clairs et précis du pacte d'actionnaires que le débiteur « s'interdi sait de participer ou de s'intéresser directement ou indirectement, à quelque titre que ce soit, à des activités de même nature que celles exploitées et développées par la Société » et, « en outre », pour la période post-contractuelle, « à ne pas démarcher activement les clients de la Société », la Cour d'appel a dénaturé ledit pacte d'actionnaires, et violé en conséquence l'article 1134 du Code civil ;


Moyen produit au pourvoi incident par Me Blanc, avocat aux Conseils pour les sociétés Hervé Balladur international (HBI) et HB consult

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir, seulement, condamné, in solidum, Monsieur X... et la société Coquelle Gourdin à payer 35.000 € de dommages-intérêts à la société HBI, et d'avoir débouté cette dernière de ses demandes tendant à voir fixer son préjudice matériel à 180.000 € et son préjudice moral et résultant de sa désorganisation à 120.000 € ;

Aux motifs que la SAS HBI avait produit des documents établissant le « transfert » partiel ou total de clients de la SAS HBI à la SAS Coquelle Gourdin, résultant de l'action de Monsieur X... immédiatement après son embauche le 24 octobre 2005 par la SAS Coquelle Gourdin ; qu'une attestation de l'expert-comptable de la SAS HBI révélait que le volume d'affaires réalisé par les clients gérés dans le « portefeuille » de Monsieur X... était passé en termes de marge brute de 182.798 € en 2005 à 38.650 € en 2006 ; qu'il convenait de fixer à 35.000 € le montant des dommages-intérêts réparant la perte de marge brute provenant de la violation de la clause de non-concurrence en considération du fait qu'il n'était pas avéré que tous les « transferts » de clients allégués étaient imputables à l'action de Monsieur X..., la condamnation étant prononcée « in solidum » avec la SAS Coquelle Gourdin qui avait agi en concertation frauduleuse avec Monsieur X... et qui, bien qu'avisé par la société HBI, dès le 29 novembre 2005, de la situation de Monsieur X..., l'avait maintenu dans ses fonctions ;

Alors 1°) que la cour d'appel a constaté que 1°) le « transfert » partiel ou total de clients de la société HBI à la société Coquelle Gourdin résultait de l'action de Monsieur X... immédiatement après son embauche par cette dernière 2°) le volume d'affaires réalisé par les clients gérés dans le « portefeuille » de Monsieur X... au sein de la société HBI était passé en termes de marge brute de 182.798 € en 2005 à 38.650 € en 2006 mais qu'il convenait de fixer à 35.000 € les dommages-intérêts réparant la perte de marge car il n'était pas avéré que tous les « transferts » de clients étaient imputables à l'action de Monsieur X... 3°) la SAS Coquelle Gourdin avait agi en concertation frauduleuse avec Monsieur X... ; que la société HBI a soutenu que la perte de marge pour 2006 et 2007, de 144.148 € et 133.049 €, avait « vocation à se reproduire d'année en année » (conclusions récapitulatives signifiées le 30 avril 2009) ; que la cour d'appel, qui a seulement réparé la perte de marge brute en 2006 imputable à la seule activité de Monsieur X..., sans réparer la perte de marge brute ayant vocation à se reproduire imputable à l'action concertée de Monsieur X... et de la société Coquelle Gourdin, a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice ;

Alors 2°) qu'en s'étant bornée à réparer la perte de marge brute, sans répondre aux conclusions de la société HBI faisant valoir qu'elle avait « également » subi un préjudice moral et résultant de la désorganisation de la société pouvant être évalué à 120.000 € (conclusions d'appel p. 17), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

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