Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 1 février 2011, 09-70.121, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le premier moyen :

Vu les articles L. 1233-3 et L. 1233-61 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagée par la société coopérative agricole Sud Céréales à compter du 18 juin 1973, Mme X..., qui exerçait en dernier lieu les fonctions d'assistante auprès de la direction générale, a été licenciée pour motif économique le 28 septembre 2005 ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale :

Attendu que pour rejeter la demande de la salariée tendant à l'annulation de son licenciement en raison de l'absence de plan de sauvegarde de l'emploi, l'arrêt retient que le nombre de licenciements envisagés et effectués étant inférieur à 10 sur une période de 30 jours, l'employeur n'était pas tenu d'élaborer un tel plan ;

Attendu cependant que, lorsqu'elles entraînent la rupture du contrat de travail, les préretraites mises en oeuvre en raison de difficultés économiques doivent être prises en compte pour déterminer si un plan de sauvegarde de l'emploi est obligatoire ;

Qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans rechercher si les mesures de préretraites mises en oeuvre par l'employeur avant les licenciements n'avaient pas entraîné la rupture du contrat de travail des salariés concernés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le second moyen de cassation :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu entre les parties le 5 mai 2009 par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Condamne la société Sud Céréales aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne également à payer Mme X... la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille onze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils pour Mme Y....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté Mme X... de sa demande présentée à titre principal, tendant à voir prononcer la nullité du licenciement pour motif économique qui lui a été notifié par la société Sud Céréales le 28 septembre 2005 et la condamnation de la société Sud Céréales au versement de dommages-intérêts en réparation du préjudice né de cette nullité,

AUX MOTIFS QUE la salariée fait valoir que son licenciement est nul au regard des dispositions de l'article L. 1235-19 du code du travail, lequel dispose : « Dans les entreprises employant au moins cinquante salariés, lorsque le nombre de licenciements est au moins égal à dix dans une même période de trente jours, l'employeur doit établir et mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre et pour faciliter le reclassement du personnel dont le licenciement ne pourrait être évité » ; que la société Sud Céréales employait au moment du licenciement collectif 181 salariés permanents ; que dans une note du 1er septembre 2005 adressée aux membres du comité d'entreprise, l'employeur faisant état de difficultés économiques rencontrées, expliquait qu'il avait déjà pris des mesures préventives telles que des mises en préretraites de salariés mais que le licenciement de 8 salariés de différentes structures juridiques appartenant à l'UES Sud Céréales était envisagé ; que de même, le procès-verbal de la réunion extraordinaire du comité d'entreprise UES Sud Céréales du 1er septembre 2005 mentionne que la direction communique qu'elle est obligée de réaliser un licenciement économique entraînant la suppression de 7 à 8 postes dans le groupe et un procès-verbal du 6 septembre suivant énonce la liste des services touchés par ledit licenciement de moins de dix salariés ; que le compte-rendu de l'entretien préalable de Mme X... mentionne également « licenciement économique de moins de dix salariés » et vise « 8 personnes et 2 CIF » ; que les deux salariés ayant sollicité des congés individuels formation ne peuvent être assimilés à des salariés licenciés alors que l'un d'eux auquel ladite formation a été refusée n'a pas été licencié pour autant ; que dès lors, il n'était pas nécessaire de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi compte tenu du nombre de licenciements envisagés et effectués, celui-ci étant inférieur à 10 ;

ALORS QUE dans les entreprises de cinquante salariés et plus, lorsque le projet de licenciement concerne dix salariés ou plus dans une même période de trente jours, l'employeur doit établir et mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre ; qu'à cet égard, toute opération de gestion du personnel, tendant, pour un motif économique, à la suppression de nombreux emplois, s'analyse en un projet de licenciement collectif, et que toute rupture projetée du contrat de travail pour un motif économique doit être pris en compte pour déterminer le seuil de mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'emploi ; qu'ainsi, l'employeur qui envisage, à l'occasion de difficultés économiques, de se séparer de plus de dix salariés sur une même période de trente jours, soit par des licenciements soit par des mises en préretraite, doit respecter l'exigence de mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi ; qu'en l'espèce, Mme X... faisait valoir que la société Sud Céréales avait manqué à son obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi puisque, préalablement à la notification des huit licenciements secs, elle avait déjà procédé à dix mises en préretraite totale et neuf mises en préretraite partielle ; que la cour d'appel a à cet égard constaté que l'employeur avait effectivement indiqué dans une note du 1er septembre 2005 avoir pris des mesures de mise en préretraite ; qu'en considérant néanmoins qu'il n'était pas nécessaire pour l'employeur de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi dès lors que le nombre de licenciements envisagés et effectués était inférieur à dix, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si du fait des mesures de mis en préretraite qui avaient précédé les licenciements, l'employeur n'avait pas l'obligation d'établir un tel plan, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 1233-3, L. 1233-61, L. 1233-26 et L. 1233-27 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté Mme X... de sa demande tendant à voir juger le licenciement pour motif économique qui lui a été notifié par la société Sud Céréales le 28 septembre 2005 sans cause réelle et sérieuse et à voir condamner la société Sud Céréales à lui verser des dommages-intérêts à ce titre,

AUX MOTIFS QU'en vertu de l'article L. 1232-6 du code du travail, lorsque le licenciement est prononcé pour un motif économique, la lettre de licenciement doit énoncer le ou les motifs économiques ou de changement technologique invoqués par l'employeur ; qu'il résulte de ces textes que la notification de la lettre de rupture doit énoncer aussi bien l'élément causal du licenciement, c'est-à-dire les raisons économiques motivant la décision de licencier, que son élément matériel lequel, en vertu de l'article L. 1233-3 dudit Code, est constitué soit par une suppression d'emploi, soit par une transformation d'emploi soit par une modification du contrat de travail ; que la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est libellée en ces termes : « … Madame, nous sommes au regret de vous notifier votre licenciement pour motif économique pour les motifs suivants : les résultats financiers de l'UES Sud Céréales au 30/06/2005 seront en perte de plus d'1 million d'euros. Plusieurs raisons expliquent ce résultat : la réforme de la politique agricole commune qui suspend les aides financières aux coopératives ; la fin de la loi Robien qui e u pour conséquence une augmentation d'environ 10% des charges patronales, la mise en place de l'usine de riz qui était indispensable à la survie de notre activité mais qui sollicite aujourd'hui des fonds importants. De plus, nos prévisions budgétaires ont permis de mettre en évidence que dans une telle situation, la perte pour l'exercice 2005/2006 pourrait atteindre 750.000 euros ; mais aussi qu'à moyen terme la situation économique ne s'améliorait pas. En conséquence, nous sommes au regret de supprimer le service communication et par conséquent votre poste. Malgré nos efforts, aucun reclassement n'a pu être envisagé dans le groupe… » ; que la coopérative agricole Sud Céréales fait état de difficultés financières et invoque une dégradation de sa situation économique suite à des décisions conjoncturelles ; qu'en effet, les bilans produits font ressortir un résultat négatif pour l'exercice 2004/2005, avec des pertes de 1.787.748 euros alors qu'il était positif pour l'exercice précédent ; que de même, les difficultés financières atteignaient le groupe Sud Céréales lequel enregistrait au 30/06/2005 une perte de 2.253.230 euros ; que par ailleurs, la société fait état d'une restructuration nécessaire pour réduire les charges afférentes à des activités non vitales, telle la communication interne ; que Mme X... conteste avoir été attachée au service communication et revendique le statut de collaboratrice à la direction générale de la société, occupant selon elle le poste de secrétaire de direction ; que Mme X... qui a été engagée sans contrat de travail écrit a occupé plusieurs fonctions successives sans que des avenants soient établis ; qu'il résulte des pièces versées au dossier et notamment de ses entretiens annuels de notation que la salariée souhaitait évoluer vers la communication et que le poste d'assistante de communication lui a été confié au début de l'année 2005 ; que dans le journal interne Plein Sud rédigé par Mme X... en mars 2005, l'organigramme de l'entreprise faisant état des nouvelles fonctions et nouveaux collaborateurs, la mentionne comme « assistante communication », directement rattachée au Directeur général et ayant pour activité principale la diffusion et le contrôle de la bonne utilisation de la charte graphique ; que dans ce nouvel organigramme le poste de secrétaire de direction a disparu ; que la salariée elle-même mentionnera dans ses recherches d'emploi futures qu'elle était affectée au service communication depuis 2005 et avait suivi des formations « Photoshop » et « In design » afin de parfaire ses connaissances en la matière ; que dans l'organigramme de novembre 2005, soit postérieurement au licenciement contesté, le service communication n'apparaît plus et le poste de secrétaire de direction n'a pas été recréé ; que dès lors, le motif allégué constitue un motif économique réel et sérieux et la suppression du poste est avérée ; qu'en outre, le licenciement pour motif économique n'a une cause réelle et sérieuse que si l'employeur s'est trouvé dans l'impossibilité de reclasser le salarié ; que l'UES Sud Céréales regroupait plusieurs structures majoritairement détenues par la société coopérative agricole ; que cependant l'UES rencontrait des difficultés économiques dans tout le groupe et son organisation était restructurée avec suppression de postes ; que le directeur général de la société coopérative a sollicité l'ensemble des structures sur les offres d'emploi disponibles mais aucun reclassement interne s'est avéré possible, sauf pour un des salariés inclus dans le licenciement collectif ; que l'employeur justifie avoir procédé à des recherches de reclassement auprès des sociétés du groupe et même en externe auprès de sociétés situées dans le même bassin d'emploi ; qu'il verse au dossier les réponses négatives formulées par ces dernières avant la mise en oeuvre du licenciement de Mme X... ; qu'en conséquence, il y a lieu de dire et juger que l'employeur a satisfait à son obligation de recherche de reclassement mais qu'il s'est trouvé dans l'impossibilité de reclasser sa salariée ;

1°) ALORS QUE le juge ne peut écarter les prétentions d'une partie sans s'expliquer sur l'ensemble des éléments qu'elle a soumis à son examen à l'appui de ces prétentions, et a fortiori sur ses éléments de preuve les plus déterminants ; qu'en l'espèce, Mme X... faisait valoir que, contrairement aux énonciations de la lettre de licenciement, délimitant les termes du litige, son licenciement ne pouvait être justifié par la suppression du service communication et du poste qu'elle y aurait occupé, puisqu'elle était depuis plus de 30 ans secrétaire de direction, et l'était restée même après l'adjonction à ses fonctions de certaines tâches de communication ; qu'elle produisait à cet égard l'attestation Assedic délivrée par son employeur à la suite de son licenciement, mentionnant « dernier emploi tenu : secrétaire de direct », ainsi que le certificat de travail signé par l'employeur après le licenciement, et certifiant que Mme X... avait fait partie du personnel de l'entreprise du 18.06.73 jusqu'au 28.12.05, soit jusqu'à la fin de son préavis consécutif au licenciement, « en qualité de secrétaire de direct. » ; qu'en affirmant néanmoins, pour dire que la suppression de poste visée dans la lettre de licenciement, concernant un poste du service communication, était avérée, et que le licenciement était par conséquent justifié, que Mme X... s'était vu confier le poste d'assistante de communication au début de l'année 2005, sans aucunement prendre en considération ni s'expliquer sur les documents précités, établis par l'employeur, et attestant de l'occupation par Mme X..., jusqu'à son licenciement, du poste de secrétaire de direction, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE, en tout état de cause, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi ; qu'en l'espèce, Mme X... faisait valoir que l'employeur était déjà au courant des difficultés économiques de la société Sud Céréales lorsqu'il lui a attribué progressivement à partir de mars 2005, après trente-deux années exercées au poste de secrétaire de direction, des fonctions de communication, avant de supprimer le service communication quelques mois plus tard, en septembre 2005, et qu'il n'avait pas agi de bonne foi, au moins à raison de sa légèreté blâmable, en affectant ainsi une salariée, d'une très grande ancienneté à son poste, à des fonctions susceptibles d'être supprimées sous peu, sans l'informer du risque qu'elle encourait en cas d'acceptation de cette évolution de ses fonctions; qu'en rejetant la demande d'indemnité de l'exposante au titre d'un licenciement injustifié, sans aucunement rechercher si l'employeur n'avait pas adopté un comportement empreint de mauvaise foi, serait-ce au prix d'une légèreté blâmable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil et L. 1222-1 du code du travail ;

3°) ALORS QUE l'employeur doit exécuter sérieusement et loyalement son obligation de reclassement, ce qui implique qu'il procède à un examen individuel des possibilités de reclassement ; que l'envoi de lettres-circulaires aux sociétés du groupe par l'entreprise qui licencie ne constitue pas une exploration effective et suffisante des possibilités de reclassement ; qu'en l'espèce, en considérant néanmoins que l'employeur avait satisfait à son obligation de recherche de reclassement, sans avoir recherché si le fait que la société Sud Céréales se soit contentée d'envoyer une lettre-circulaire aux entreprises du groupe listant l'ensemble des salariés dont le poste devait être supprimé et que les sociétés contactées aient répondu par la négative dans des termes identiques dès le lendemain, ne caractérisait pas une démarche purement formelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail ;

4°) ALORS QUE l'employeur doit exécuter sérieusement et loyalement son obligation de reclassement ; que Mme X... faisait valoir que la lettre-circulaire envoyée par la société Sud Céréales aux entreprises du groupe la désignait comme secrétaire de direction, bien que l'employeur s'évertuait par ailleurs à soutenir, pour justifier le bien fondé du licenciement motivé par la suppression du service communication, qu'à la date de son licenciement Mme X... était assistante de communication et n'exerçait plus aucune fonction de secrétaire de direction ; qu'en considérant néanmoins que l'employeur avait satisfait à son obligation de recherche de reclassement en adressant une lettre-circulaire désignant Mme X... comme secrétaire de direction, après avoir pourtant retenu, pour juger le licenciement justifié, que celle-ci occupait en dernier lieu un emploi d'assistante de communication et aurait recentré son activité sur le domaine de la communication, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-4 du code du travail.

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