Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 15 décembre 2010, 08-45.242, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 6 novembre 2008) que M. X... a été engagé, le 20 octobre 2005, par la société Le Domaine de Valmont, suivant un " contrat nouvelles embauches ", en qualité de " responsable maintenance " ; que son employeur ayant rompu, sans motivation, son contrat par lettre du 14 avril 2006, il a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir paiement de diverses sommes ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de l'employeur :

Attendu que la société le Domaine de Valmont fait grief à l'arrêt de la condamner à payer des sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier et dépourvu de cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, que le principe général de sécurité juridique s'oppose à ce que la constatation, par le juge, de la non-conformité d'une loi interne à l'ordre international permette rétroactivement la remise en cause de relations contractuelles établies, exécutées et définitivement rompues de bonne foi ; qu'en l'espèce, elle a conclu le 20 octobre 2005 avec M. X..., un contrat nouvelles embauches dans les conditions autorisées par l'article 2 de l'ordonnance n° 2005--893 du 2 août 2005 ; que ce contrat a été rompu, dans les conditions également prévues par cette ordonnance, alors en vigueur, le 14 avril 2006 ; que par arrêt du 29 mars 2006, soit postérieurement à la conclusion du contrat considéré, la Cour de cassation a déclaré la Convention OIT n° 158 directement applicable devant les juridictions nationales ; qu'aux termes d'un second arrêt du 1er juillet 2008, postérieur à la rupture, elle a, contredisant la décision du Conseil d'Etat du 19 octobre 2005, déclaré non conforme aux exigences de cette convention l'article 2 de l'ordonnance du 2 août 2005 " en ce qu'il écarte les dispositions générales relatives à la protection préalable de licenciement, à l'exigence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement, à son énonciation et à son contrôle " ; qu'en remettant en cause, par application rétroactive de cette jurisprudence, la rupture du contrat nouvelles embauches conclu, exécuté et résilié avant son intervention, la cour d'appel qui a permis la remise en cause rétroactive de relations juridiques établies et résiliées de bonne foi, a violé les principes de sécurité juridique et de confiance légitime et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Mais attendu d'abord, que les arrêts rendus les 29 mars 2006 et 1er juillet 2008 par la Cour de cassation, chambre sociale, n'ont pas opéré de revirement de jurisprudence ;

Attendu ensuite, que la bonne foi des contractants n'est pas de nature à faire échec à l'application des normes régissant légalement leurs relations ; que selon l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, " les traités ou accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois " ; qu'en écartant l'article 2 de l'ordonnance du 2 août 2005 instituant le contrat nouvelles embauches comme contraire aux dispositions de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail sur le licenciement adoptée à Genève le 22 juin 1982 et entrée en vigueur en France le 16 mars 1990, la cour d'appel n'a fait qu'appliquer exactement au litige les normes en vigueur et n'a dès lors pas méconnu le principe de sécurité juridique et l'article 6. 1 de la Convention européenne de sauvegarde et des libertés fondamentales ;

Que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident du salarié :

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail ;

Attendu qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production de tous éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en apportant, le cas échéant, ses propres éléments sur les horaires effectivement réalisés ;

Attendu que pour rejeter la demande du salarié en paiement d'heures supplémentaires, l'arrêt retient que le document récapitulatif dactylographié non circonstancié produit, alors que des heures supplémentaires figurent sur les bulletins de salaire, n'est pas de nature à étayer la demande ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le salarié avait produit un décompte des heures qu'il prétendait avoir réalisées auquel l'employeur pouvait répondre, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. X... de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, l'arrêt rendu le 6 novembre 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;

Condamne la société d'exploitation Le Domaine de Valmont aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société d'exploitation Le Domaine de Valmont à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille dix.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils pour la société d'exploitation le Domaine de Valmont (demanderesse au pourvoi principal).

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la Société d'Exploitation Le Domaine de Valmont à payer à Monsieur X... les sommes de 1 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier, 5 000 € à titre de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et 1 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE " ainsi que le soutient Monsieur X..., l'article 2 de l'ordonnance du 2 août 2005 instituant le contrat nouvelle embauche, invoqué par l'employeur, est contraire aux dispositions de la convention n° 158 de l'OIT ; que dès lors, par application des articles L. 1232-2 et suivants, L. 1232-6 et suivants du Code du travail, la rupture notifiée sans entretien préalable, par une lettre qui ne comporte aucun motif, est tout à la fois irrégulière et abusive ; que les préjudices subis à cet égard, par application de l'article L. 122-14-5 devenu L. 1235-5 du Code du travail, seront appréciés comme il suit dans le dispositif " ;

ALORS QUE le principe général de sécurité juridique s'oppose à ce que la constatation, par le juge, de la non-conformité d'une loi interne à l'ordre international permette rétroactivement la remise en cause de relations contractuelles établies, exécutées et définitivement rompues de bonne foi ;
qu'en l'espèce, la Société LE DOMAINE DE VALMONT a conclu à la date du 20 octobre 2005 avec Monsieur X... un contrat nouvelles embauches dans les conditions autorisées par l'article 2 de l'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005 ; que ce contrat a été rompu, dans les conditions également prévues par cette ordonnance, alors en vigueur, le 14 avril 2006 ; que par arrêt 29 mars 2006, soit postérieurement à la conclusion du contrat considéré, la Cour de cassation a déclaré la Convention OIT n° 158 directement applicable devant les juridictions nationales ; qu'aux termes d'un second arrêt du 1er juillet 2008, postérieur à sa rupture, elle a, contredisant la décision du Conseil d'Etat du 19 octobre 2005, déclaré non conforme aux exigences de cette convention l'article 2 de l'ordonnance du 2 août 2005 " en ce qu'il écarte les dispositions générales relatives à la procédure préalable de licenciement, à l'exigence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement, à son énonciation et à son contrôle " ; qu'en remettant en cause, par application rétroactive de cette jurisprudence, la rupture du contrat nouvelles embauches conclu, exécuté et résilié avant son intervention entre Monsieur X... et la Société d'Exploitation Le Domaine de Valmont la Cour d'appel, qui a permis la remise en cause rétroactive de relations juridiques établies et résiliées de bonne foi, a violé les principes de sécurité juridique et de confiance légitime et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Moyen produit par Me Ricard, avocat aux Conseils pour M. X... (demandeur au pourvoi incident).

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur X... de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et de congés payés sur heures supplémentaires ;

AUX MOTIFS QUE en l'espèce, le document récapitulatif dactylographié non circonstancié produit, alors que des heures supplémentaires figurent sur les bulletins de salaire, n'est pas de nature à étayer la demande ;

ALORS QUE la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties, et s'il appartient au salarié de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande, l'employeur doit produire les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; que la simple production d'un document manuscrit émanant du salarié suffit à établir le nombre des heures supplémentaires effectuées ; qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que le salarié avait versé aux débats un état des heures travaillées et non réglées de nature à étayer sa demande, la Cour d'appel a violé l'article L. 3171-4 (ancien L. 212-1-1) du Code du travail ;

ALORS QUE la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et que le juge ne peut, pour rejeter une demande d'heures supplémentaires, se fonder sur l'insuffisance des preuves apportées par le salarié et doit examiner les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, que l'employeur est tenu de lui fournir ; que, pour sa part, Monsieur X... a produit un décompte des heures supplémentaires effectuées et non réglées et s'est prévalu de la défaillance de la société DOMAINE DE VALMONT en ce domaine ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, au vu des seuls éléments fournis par le salarié et sans tenir compte de la carence de l'employeur, pourtant expressément dénoncée par le salarié, la Cour d'appel a violé l'article L. 3171-4 (ancien L. 212-1-1) du Code du travail ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES DES PREMIERS JUGES QUE le Conseil remarque qu'un certain nombre d'heures est payé par le nouvel exploitant, que ce paiement n'a jamais été contesté par le salarié durant la durée du contrat de travail, non plus que lors du licenciement. Il faut attendre la procédure prud'homale pour que soit produit un décompte dactylographié anonyme, non motivé, non circonstancié, que le Conseil juge dépourvu de force probante ;

ALORS QUE la renonciation à un droit ne se présume pas ; qu'en retenant que le paiement d'un certain nombre d'heures supplémentaires par l'employeur n'avait pas été contesté par le salarié pendant la durée du contrat de travail ni pendant le licenciement, pour le débouter de sa demande en paiement des heures supplémentaires non réglées, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil.

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