Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 16 novembre 2010, 09-87.211, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Mme Noëlla X... épouse Y...,
- La société MAIF, partie intervenante,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 4-11, en date du 1er septembre 2009, qui, dans la procédure suivie contre la première des chefs d'homicides et de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, 1382 du code civil, 3 de la loi du 5 juillet 1985, défaut de base légale, défaut et contradiction de motifs ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Mme Y... à verser à M. Z... en réparation de son préjudice extrapatrimonial la somme totale de 69 500 euros, sous déduction des provisions déjà versées, et à verser à Mme Z... épouse A... en réparation de son préjudice extra-patrimonial la somme totale de 30 000 euros sous déduction des provisions déjà versées ;

"aux motifs qu'il ressort du rapport d'expertise médicale qu'à la suite de l'accident M. Z..., qui ne présentait pas de pathologie mentale avant les faits, a présenté un syndrome post-traumatique directement en rapport avec l'accident dont il a été victime ; qu'il dû être suivi par un psychiatre en raison de l'acuité du syndrome dépressif avec sentiment de perte d'efficience au niveau professionnel et le constat que le mode de fonctionnement antérieur de sa famille était complètement déstructuré ; que son mode de vie familial a été profondément remanié, ce qui est vécu par lui comme une très profonde blessure ; qu'il a donc subi un préjudice psychologique direct et personnel distinct du retentissement traumatique résultant du décès de sa mère ; que le préjudice extra-patrimonial de M. Z..., qui était âgé de 53 ans lors de l'accident sera indemnisé comme suit :
- souffrances endurées : elles sont caractérisées par le traumatisme initial et les traitements subis et elles seront indemnisées par l'allocation de la somme de 3 000 euros ;
- préjudice d'agrément permanent : les séquelles dépressives constatées par l'expert gênant M. Z... lors de quelques activités ; ce préjudice sera indemnisé par l'allocation de la somme de 1 500 euros ;
- préjudice moral en sa qualité d'ayant droit : 15 000 euros ;
- préjudice moral par ricochet : 50 000 euros ;
que M. Z... recevra ainsi, en réparation de son préjudice extrapatrimonial une indemnité totale de 69 500 euros en deniers ou quittances ;

qu'en ce qui concerne Mme Z..., il ressort du rapport d'expertise médicale qu'à la suite de l'accident, cette dernière, qui ne présentait pas de pathologie mentale avant les faits, est en arrêt de longue durée depuis le 11 décembre 1999 ; que son syndrome post-traumatique ne s'est pas amendé mais s'est structuré sur le mode d'une névrose post-traumatique caractérisée par un sentiment de déréalisation avec perte de repères temporels ; que des problèmes de couple sont survenus ; qu'elle fuit les contacts et est atteinte de troubles du sommeil ; qu'elle aussi subit un préjudice psychologique direct et personnel distinct du retentissement traumatique résultant du décès de sa mère ; que le préjudice extra-patrimonial de Mme A..., qui était âgée de 41 ans lors de l'accident, sera indemnisé comme suit :
- préjudice moral en sa qualité d'ayant-droit : 15 000 euros ;
- préjudice moral par ricochet : 15 000 euros ;
que Mme A... recevra ainsi, en réparation de son préjudice extrapatrimonial une indemnité totale de 30 000 euros en deniers ou quittances ;

"1 - alors que le juge ne peut indemniser deux fois le même préjudice, sauf à méconnaître le principe de la réparation intégrale ; qu'en l'espèce, il était constant que Mme Z... n'était pas présente dans le véhicule au moment de l'accident, de sorte que le préjudice moral qu'elle avait pu subir du fait de l'accident consistait uniquement en un préjudice par ricochet du fait du décès de sa mère ; que la cour d'appel ne pouvait, dès lors, sauf à méconnaître le principe de la réparation intégrale, lui allouer à la fois une réparation au titre d'un «préjudice moral en sa qualité d'ayant droit», et une réparation au titre d'un « préjudice moral par ricochet », indemnisant ainsi, en réalité, deux fois le même dommage ;

"2 - alors que le juge ne peut indemniser deux fois le même préjudice, sauf à méconnaître le principe de la réparation intégrale ; que M. Z... soutenait, à tort, devant la cour d'appel, devoir être indemnisé au titre de son préjudice moral en trois qualités distinctes, ayant droit, victime par ricochet, victime directe ; qu'en réalité, si M. Z... avait pu subir un préjudice psychologique direct du fait de l'accident, distinct du préjudice moral subi du fait du décès de sa mère, il ne pouvait en revanche réclamer une indemnisation à la fois en qualité d'ayant droit et de victime par ricochet, ces deux dénominations recouvrant en réalité un même préjudice moral résultant de la perte de sa mère décédée dans l'accident ; que la cour d'appel ne pouvait, dès lors, par des motifs insuffisants et contradictoires, relever que M. Z... avait subi un préjudice psychologique direct et personnel distinct du retentissement traumatique résultant du décès de sa mère, pour lui allouer une réparation au titre d'un préjudice moral « en qualité d'ayant droit », et un préjudice moral « par ricochet » , se rattachant tous deux au décès de sa mère" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 5 juin 1999, le véhicule conduit par M. Gino Z..., qui transportait ses deux parents, a été impliqué dans un accident de la circulation au cours duquel sa mère est décédée ; que, par jugement du 9 décembre 1999 devenu définitif, le tribunal correctionnel a déclaré Mme Y..., conductrice d'un autre véhicule impliqué, coupable d'homicides et blessures involontaires et entièrement responsable des conséquences de l'accident ; que, recevant la constitution de partie civile de M. Gino Z... et de sa soeur, Mme Patricia Z..., les juges ont, notamment, condamné Mme Y... à payer à chacun, en leur qualité d'ayants droit, 50 000 francs, à titre dommages-intérêts et, à leur demande, ordonné une expertise médico-psychologique pour déterminer le préjudice psychologique qu'ils avaient subi ; que, selon les experts, l'accident et le décès de leur mère est à l'origine, pour tous deux, d'un symptôme dépressif post-traumatique grave et exigeant un traitement ; qu'au vu de ces rapports le tribunal a condamné la prévenue à payer, au titre du préjudice moral personnel, 15 000 euros à M. Z... et 10 000 euros à Mme Z... ;

Attendu qu'en cet état, si c'est à la suite d'une erreur de terminologie que les juges ont dit qu'ils réparaient ainsi le préjudice moral des parties civiles, alors que celui-ci avait été définitivement fixé par le premier jugement, la décision n'encourt pas pour autant la censure, la Cour de cassation étant en mesure de s'assurer que ces dommages-intérêts, dont les juges ont souverainement apprécié le montant, réparent, en réalité, le traumatisme psychique subi par les intéressés, qui est distinct de leur préjudice moral ;

Mais, sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 515, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de base légale, défaut et contradiction de motifs ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception d'irrecevabilité de l'appel soulevée par Mme Y..., a condamné Mme Y... à verser à M. Z... en réparation de son préjudice extrapatrimonial la somme totale de 69 500 euros, sous déduction des provisions déjà versées, et à Mme Z... épouse A... en réparation de son préjudice extra-patrimonial la somme totale de 30 000 euros sous déduction des provisions déjà versées ;

"aux motifs qu'il ressort du rapport d'expertise médicale qu'à la suite de l'accident M. Z..., qui ne présentait pas de pathologie mentale avant les faits, a présenté un syndrome post-traumatique directement en rapport avec l'accident dont il a été victime ; qu'il dû être suivi par un psychiatre en raison de l'acuité du syndrome dépressif avec sentiment de perte d'efficience au niveau professionnel et le constat que le mode de fonctionnement antérieur de sa famille était complètement déstructuré ; que son mode de vie familial a été profondément remanié, ce qui est vécu par lui comme une très profonde blessure ; qu'il a donc subi un préjudice psychologique direct et personnel distinct du retentissement traumatique résultant du décès de sa mère ; que le préjudice extrapatrimonial de M. Z..., qui était âgé de 53 ans lors de l'accident sera indemnisé comme suit :
- souffrances endurées : elles sont caractérisées par le traumatisme initial et les traitements subis et elles seront indemnisées par l'allocation de la somme de 3 000 euros ;
- préjudice d'agrément permanent : les séquelles dépressives constatées par l'expert gênant M. Z... lors de quelques activités ; ce préjudice sera indemnisé par l'allocation de la somme de 1 500 euros ;
- préjudice moral en sa qualité d'ayant droit : 15 000 euros ;
- préjudice moral par ricochet : 50 000 euros ;
que M. Z... recevra ainsi, en réparation de son préjudice extrapatrimonial une indemnité totale de 69 500 euros en deniers ou quittances ;
qu'en ce qui concerne Mme Z..., il ressort du rapport d'expertise médicale qu'à la suite de l'accident, cette dernière, qui ne présentait pas de pathologie mentale avant les faits, est en arrêt de longue durée depuis le 11 décembre 1999 ; que son syndrome post-traumatique ne s'est pas amendé mais s'est structuré sur le mode d'une névrose post-traumatique caractérisée par un sentiment de déréalisation avec perte de repères temporels ; que des problèmes de couple sont survenus ; qu'elle fuit les contacts et est atteinte de troubles du sommeil ; qu'elle aussi subit un préjudice psychologique direct et personnel distinct du retentissement traumatique résultant du décès de sa mère ; que le préjudice extra-patrimonial de Mme A..., qui était âgée de 41 ans lors de l'accident, sera indemnisé comme suit :
- préjudice moral en sa qualité d'ayant-droit : 15 000 euros ;
- préjudice moral par ricochet : 15 000 euros ;
que Mme A... recevra ainsi, en réparation de son préjudice extrapatrimonial une indemnité totale de 30 000 euros en deniers ou quittances ;

"1°) alors que la cour d'appel ne peut, sur le seul appel du prévenu, réformer le jugement au profit de la partie civile non appelante et intimée; qu'en l'espèce, ainsi que le faisaient valoir Mme Y... et son assureur, les consorts Z... ne pouvaient formuler la moindre demande supplémentaire à leur encontre devant la cour d'appel dès lors qu'ils n'avaient pas formé en temps utile un appel incident ; que la cour d'appel ne pouvait, dès lors, sauf à méconnaître le principe précité, alourdir comme elle l'a fait les condamnations indemnitaires mises à la charge de Mme Y... et de son assureur au profit des parties civiles non appelantes et intimées, concernant leur préjudice moral par ricochet ;

"2°) alors que la cour d'appel ne peut, sur le seul appel du prévenu, réformer le jugement au profit de la partie civile non appelante et intimée ; qu'en l'espèce, ainsi que le faisaient valoir Mme Y... et son assureur, la MAIF, les consorts Z... ne pouvaient formuler la moindre demande supplémentaire à leur encontre en l'absence d'appel incident ; que, par un premier jugement du 9 décembre 1999, le tribunal correctionnel a octroyé à Gino et Patricia Z..., au titre de leur préjudice « en qualité d'ayant droit », la somme de 50 000 francs (7 622,45 euros) chacun ; que les premiers juges, dans leur jugement du 23 mai 2006, n'ont pas modifié les montants octroyés en 1999 au titre de ce préjudice, ce qu'ils ne pouvaient d'ailleurs pas faire s'agissant d'une condamnation définitive ; que la cour d'appel a néanmoins porté les sommes allouées au titre du préjudice en qualité d'ayant droit à la somme de 15 000 euros chacun pour Gino et Patricia Z... ; qu'à supposer même que le montant octroyé par le jugement du 9 décembre 1999 ait pu être modifié en considérant qu'il n'avait été octroyé qu'à titre provisionnel, ce montant était devenu définitif pour n'avoir pas été remis en cause par les premiers juges, et en l'absence d'appel des parties civiles ; qu'en conséquence, la cour d'appel ne pouvait, sauf à méconnaître le principe précité, aggraver sur ce chef de préjudice le sort de Mme Y... et de son assureur, la MAIF sur leur seul appel ;

"3°) alors que la partie civile qui n'a pas interjeté appel incident n'est pas recevable, en cause d'appel, à formuler une demande tendant à l'indemnisation d'un nouveau préjudice ou à l'augmentation de l'indemnisation d'un préjudice existant ; qu'en l'espèce, Gino et Patricia Z..., dont la cour d'appel a relevé qu'ils n'ont pas interjeté appel de la décision de première instance, ont formulé en cause d'appel une demande d'indemnisation au titre de leur préjudice d'ayant-droit et au titre d'un « préjudice moral par ricochet » prétendument distinct, supérieure aux sommes octroyées par les premiers juges ; que Mme Y... et la société MAIF faisaient valoir qu'en l'absence d'appel incident dans les délais légaux, ces demandes étaient irrecevables ; que la cour d'appel ne pouvait, sauf à entacher sa décision d'un défaut de motifs, écarter sans la moindre explication cette exception d'irrecevabilité" ;

Vu l'article 515 du code de procédure pénale ;

Attendu que la cour d'appel ne peut, sur le seul appel du prévenu, aggraver le sort de l'appelant ;

Attendu qu'en augmentant, comme elle l'a fait, les indemnités allouées à Gino et Patricia Z..., alors qu'elle était saisie du seul appel de Mme Y..., la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs, sans qu'il y ait lieu d'examiner le deuxième moyen proposé :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 1er septembre 2009, mais en ses seules dispositions ayant fixé le préjudice extrapatrimonial de M. Gino Z... et Mme Patricia Z..., respectivement à 65 000 et 30 000 euros ;

FIXE le montant de l'indemnisation réparant le préjudice psychique M. Gino Z... à 15 000 euros et celui de Mme Patricia Z... à 10 000 euros ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de PARIS, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

DIT n'y avoir lieu à application, au profit de M. Gino Z... et Mme Patricia Z..., de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Radenne conseiller rapporteur, M. Palisse conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Villar ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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