Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 1er juin 2010, 09-40.144, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon le jugement attaqué (conseil de prud'hommes de Cholet, 17 novembre 2008), que dix-sept salariés, employés par la société Safen (la société), ayant participé à un mouvement de grève du 1er au 6 juin 2007, ont saisi le conseil de prud'hommes pour demander la condamnation de l'employeur à payer, pour douze d'entre eux, la somme de 150 euros à titre de prime exceptionnelle, et pour tous, des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par l'absence de paiement ou le retard dans le paiement de cette prime ;

Attendu que la société fait grief au jugement de faire droit à cette demande, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en vertu de l'article L. 2511-1 du code du travail, le versement par l'employeur d'une prime aux salariés ayant travaillé au cours d'une grève n'est interdit que pour autant qu'il est constitutif d'une mesure discriminatoire en raison de l'exercice normal du droit de grève ; qu'il résulte de l'article L. 1134-1 du code de travail que, dès lors que celui qui invoque une mesure discriminatoire présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination, il incombe à l'employeur de démontrer que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que l'employeur démontre donc que le versement d'une prime exceptionnelle aux salariés ayant travaillé durant un conflit collectif est licite, lorsque cet avantage a pour objet de compenser une charge inhabituelle de travail ou la soumission à des sujétions particulières au cours de la période litigieuse ; qu'au cas présent, la société Safen exposait que les salariés ayant travaillé au cours de la période litigieuse avaient dû, en plus de l'accomplissement de leurs tâches habituelles, accueillir, orienter et organiser le travail de leurs collègues extérieurs qui n'avaient aucune connaissance de l'établissement de Cholet et de l'organisation du travail en son sein, cette démarche étant au demeurant accomplie pour éviter le risque de perdre un client important de l'entreprise ; que la prime exceptionnelle avait donc pour objet de compenser la charge inhabituelle de travail résultant de cette sujétion ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme il lui était expressément demandé, si le versement de la prime à tous les salariés ayant accompli un travail au cours de la période du 1er au 6 juin 2007 n'était pas justifié par un élément objectif résultant de la charge inhabituelle de travail au cours de cette période, le conseil de prud'hommes a privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés ;

2°/ que toute décision de justice doit être motivée et que méconnaît cette exigence le conseil de prud'hommes qui se détermine sans viser la moindre pièce versée aux débats ni analyser, même sommairement, les éléments de preuve sur lesquels il se fonde ; que la société Safen exposait que la prime litigieuse avait été attribuée aux seuls salariés ayant travaillé au cours de la période du 1er au 6 juin 2007 et ayant, par conséquent, subi une surcharge de travail liée à l'encadrement des salariés venant d'établissements extérieurs ; qu'elle exposait, en produisant son bulletin de paie, que M. X... qui était absent de l'entreprise, non pas en raison de sa participation au mouvement de grève mais par suite d'un arrêt maladie, n'avait pas perçu la prime litigieuse ; qu'elle exposait en outre qu'elle avait versé la prime forfaitaire à cinq salariés grévistes car, du fait du caractère limité de leur participation à la grève, ils avaient travaillé au cours de lé période litigieuse et avait subi les sujétions donnant lieu à l'attribution de la prime ; qu'en affirmant néanmoins à deux reprises, pour considérer que l'attribution de la prime aurait eu pour objet de récompenser la non-participation à la grève, que la prime aurait été attribuée "à tous les salariés", "y compris des salariés n'ayant pas travaillé durant la grève", sans indiquer les éléments de preuve sur lesquels il se fonde ni le nom des salariés ayant perçu la prime sans avoir travaillé au cours de la période du 1er au 6 juin 2007, le conseil de prud'hommes a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que subsidiairement, alors la société Safen faisait valoir, en produisant son bulletin de paie, que M. X... était absent de l'entreprise non pas en raison de sa participation au mouvement de grève mais par suite d'un arrêt maladie ; qu'en allouant néanmoins à ce salarié un rappel de prime et des dommages-intérêts résultant d'une discrimination fondée sur l'exercice du droit de grève, sans rechercher la raison de l'absence de ce dernier au cours de la période litigieuse, le conseil de prud'hommes n'a pas répondu à ce chef déterminant de conclusions, violant à nouveau l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'est discriminatoire l'attribution par l'employeur d'une prime aux salariés selon qu'ils ont participé ou non à un mouvement de grève ;

Et attendu que le conseil de prud'hommes, qui a constaté que n'étaient exclus du paiement de la prime que les seuls salariés ayant participé à la grève, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa troisième branche, comme étant nouveau, mélangé de fait et de droit, est mal fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Safen aux dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille dix.MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour la société Safen

Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR condamné la Société SAFEN à verser un rappel de prime exceptionnelle de 150 euros à Messieurs Z..., A..., B..., C..., D..., E..., F..., G..., H..., I..., X... et J..., et d'AVOIR condamné la Société SAFEN à leur verser la somme de 50 euros de dommages-intérêts chacun, ainsi qu'à Messieurs K..., L..., M..., N... et O..., et d'AVOIR condamné la société SAFEN à payer à chacun des salariés la somme de 30 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

AUX MOTIFS QUE « s'il est interdit à tout employeur de prendre en considération l'appartenance ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions (Code du Travail, L.122-45 et suivants), la charge de la preuve est repartie entre le salarié et l'employeur. Le salarié doit prouver qu'il y a une différence de traitement avec les autres salariés placés dans une situation identique. Les demandeurs démontrent que les salariés qui ont participé à la grève n'ont pas obtenu le paiement d'une prime, quelle que soit leur durée de participation, attribuée à tous les salariés. L'employeur doit établir que cette différence de traitement est justifiée par des éléments objectifs étrangers à l'appartenance syndicale ou à l'exercice d'une activité syndicale. Or, en l'état, l'employeur fait preuve de mauvaise foi en rétablissant la prime, sur la base de sa défense, à savoir la valorisation des efforts durant la période, à 5 salariés, et seulement après la saisine du Conseil, qui ont travaillé au moins 1 jour durant la période de grève, prouvant ainsi que l'attribution de la prime était bien la non participation au mouvement de grève. Aucun salarié ne doit subir de différence de traitement et la demande en annulation de la mesure discriminatoire sera donc retenue par le Conseil ; l'employeur ayant décidé d'attribuer une prime à ses salariés, y compris des salariés n'ayant pas travaillé durant la grève, il devra en assurer le paiement à tous dans des conditions normales. Tous les salariés ayant formulés une demande, auront le paiement excepté messieurs L..., M..., K..., N... et O..., ces derniers ayant retiré leur demande de paiement de la prime. Les salariés ayant subi un préjudice, ils en demandent la réparation devant le Conseil des Prud'hommes qui, après avoir constaté la discrimination, se doit d'en apprécier le montant. Il sera donc accordé à chacun des demandeurs des dommages et intérêts d'un montant de 50 euros. Messieurs L... et AUTRES ayant dû saisir le Conseil des Prud'hommes pour faire valoir leurs droits, il leurs sera alloué la somme de 30 euros chacun, au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile. Par suite de ce qui précède, la demande de la société SAFEN au titre de l'article 700 du Code procédure civile sera rejetée » ;

ALORS, D'UNE PART, QU'en vertu de l'article L. 2511-1 du Code du travail, le versement par l'employeur d'une prime aux salariés ayant travaillé au cours d'une grève n'est interdit que pour autant qu'il est constitutif d'une mesure discriminatoire en raison de l'exercice normal du droit de grève ; qu'il résulte de l'article L. 1134-1 du Code de travail que dès, lors que celui qui invoque une mesure discriminatoire présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination, il incombe à l'employeur de démontrer que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que l'employeur démontre donc que le versement d'une prime exceptionnelle aux salariés ayant travaillé durant un conflit collectif est licite, lorsque cet avantage a pour objet de compenser une charge inhabituelle de travail ou la soumission à des sujétions particulières au cours de la période litigieuse ; qu'au cas présent, la Société SAFEN exposait que les salariés ayant travaillé au cours de la période litigieuse avaient dû en plus de l'accomplissement de leurs tâches habituelles, accueilli, orienté et organisé le travail de leurs collègues extérieurs qui n'avaient aucune connaissance de l'établissement de CHOLET et de l'organisation du travail en son sein, cette démarche étant au demeurant accomplie pour éviter le risque de perdre un client important de l'entreprise ; que la prime exceptionnelle avait donc pour objet de compenser la charge inhabituelle de travail résultant de cette sujétion ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme il lui était expressément demandé, si le versement de la prime à tous les salariés ayant accompli un travail au cours de la période du 1er au 6 juin 2007 n'était pas justifié par un élément objectif résultant de la charge inhabituelle de travail au cours de cette période, le Conseil de prud'hommes a privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés ;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE toute décision de justice doit être motivée et que méconnaît cette exigence le Conseil de Prud'hommes qui se détermine sans viser la moindre pièce versée aux débats ni analyser, même sommairement, les éléments de preuve sur lesquels il se fonde ; que la Société SAFEN exposait que la prime litigieuse avait été attribuée aux seuls salariés ayant travaillé au cours de la période du 1er au 6 juin 2007 et ayant, par conséquent, subi une surcharge de travail liée à l'encadrement des salariés venant d'établissements extérieurs ; qu'elle exposait, en produisant son bulletin de paie, que Monsieur X... qui était absent de l'entreprise, non pas en raison de sa participation au mouvement de grève mais par suite d'un arrêt maladie, n'avait pas perçu la prime litigieuse ; qu'elle exposait en outre qu'elle avait versé la prime forfaitaire à cinq salariés grévistes car, du fait du caractère limité de leur participation à la grève, ils avaient travaillé au cours de lé période litigieuse et avait subi les sujétions donnant lieu à l'attribution de la prime ; qu'en affirmant néanmoins à deux reprises, pour considérer que l'attribution de la prime aurait eu pour objet de récompenser la non participation à la grève, que la prime aurait été attribuée « à tous les salariés », « y compris des salariés n'ayant pas travaillé durant la grève », sans indiquer les éléments de preuve sur lesquels il se fonde ni le nom des salariés ayant perçu la prime sans avoir travaillé au cours de la période du 1er au 6 juin 2007, le Conseil de prud'hommes a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

ALORS, ENFIN ET SUBSIDIAIREMENT, QUE la Société SAFEN faisait valoir, en produisant son bulletin de paie, que Monsieur X... était absent de l'entreprise non pas en raison de sa participation au mouvement de grève mais par suite d'un arrêt maladie ; qu'en allouant néanmoins à ce salarié un rappel de prime et des dommages-intérêts résultant d'une discrimination fondée sur l'exercice du droit de grève, sans rechercher la raison de l'absence de ce dernier au cours de la période litigieuse, le Conseil de prud'hommes n'a pas répondu à ce chef déterminant de conclusions, violant à nouveau l'article 455 du Code de procédure civile.
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