Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 26 mai 2010, 09-12.282, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, statuant en référé, que M. et Mme X..., respectivement engagés en 1973 et 1978 par la société Village d'Orsel et licenciés en 2005 et 2006, ont manifesté à plusieurs reprises contre leurs licenciements à compter d'avril 2006 ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :

Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt de leur faire interdiction d'entraver le libre exercice du commerce de la société Village d'Orsel et de porter atteinte à son image, de quelque manière que ce soit, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en retenant, pour justifier les interdictions prononcées à leur encontre, des incitations à se tourner vers la concurrence faites à la clientèle de la société Village d'Orsel, entravant le libre exercice du commerce de leur ancien employeur et portant atteinte à son image, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les incitations alléguées n'émanaient pas, comme le confirmaient les propres constats de la société Village d'Orsel, de personnes tierces dont ils ne pouvaient être considérés comme responsables, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 809 du code de procédure civile et de l'article 1382 du code civil, ensemble l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946 ;

2°/ qu'en jugeant que le trouble causé par leurs licenciements sans cause réelle et sérieuse serait réparé, la chambre sociale de la Cour d'appel de Paris ayant par arrêts du 8 octobre 2008 alloué à ceux-ci diverses indemnités réparatrices dont elle a majoré le montant, sans prendre en considération le fait qu'aujourd'hui proches de la soixantaine et sans emploi, ils manifestaient pour demander leur réintégration dans l'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 809 du code de procédure civile, ensemble l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946 ;

Mais attendu qu'ayant constaté que les époux X... ne pouvaient, au nom de la liberté d'expression, inciter la clientèle de la société Village d'Orsel à se tourner vers la concurrence, ce dont il se déduisait que ces incitations étaient de leur fait, la cour d'appel, devant laquelle il n'était pas soutenu que les intéressés manifestaient pour obtenir leur réintégration, a pu décider que ce comportement, alors même que le trouble causé par les licenciements avait été réparé par la juridiction prud'homale, était constitutif d'une entrave à la liberté du commerce et d'une atteinte à l'image de marque de la société justifiant qu'il leur soit fait interdiction sous astreinte de s'adresser au public aux alentours et à l'entrée du magasin pour l'inciter à se rendre chez un concurrent ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique, pris en ses troisième et quatrième branches :

Vu l'article 809 du code de procédure civile, ensemble l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 6 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 ;

Attendu que, pour empêcher les époux X... d'entraver le libre exercice du commerce de la société Village d'Orsel et de porter atteinte à son image, l'arrêt leur fait en outre interdiction d'imprimer des banderoles ou des tracts «de quelque nature que ce soit» ou de les distribuer, de diffuser ou de placarder des affiches mettant en cause la société et de faire signer des pétitions «à toute personne notamment dans la rue» ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les restrictions apportées au principe de la liberté d'expression sont d'interprétation stricte, et qu'elles doivent être proportionnées au but recherché, la cour d'appel, qui devait se borner à interdire aux époux X... d'inciter la clientèle à se tourner vers la concurrence, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il fait interdiction sous astreinte aux époux X... de s'adresser au public aux alentours et à l'entrée du magasin pour l'inciter à se rendre chez un concurrent, l'arrêt rendu le 19 décembre 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne la société Village d'Orsel aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Village d'Orsel à payer aux époux X... la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mai deux mille dix.



MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux conseils pour M. et Mme X... ;

MOYEN UNIQUE DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR fait interdiction aux époux X... d'entraver le libre exercice du commerce de la société VILLAGE D'ORSEL et de porter atteinte à son image en imprimant ou faisant imprimer des banderoles, déployant ou faisant déployer des banderoles devant et aux alentours du magasin, imprimant ou faisant imprimer des tracts, distribuant ou faisant distribuer des tracts de quelque nature que ce soit, éditant ou faisant éditer, diffusant ou faisant diffuser des affiches la mettant en cause, collant ou faisant placarder des affiches la mettant en cause, faisant signer des pétitions à toute personne notamment dans la rue, s'adressant au public aux alentours et à l'entrée du magasin pour l'inciter à se rendre chez un concurrent, et ce, sous astreinte de 100 € par jour de retard dans les huit jours à compter de la signification de l'arrêt et d'AVOIR condamné les époux X... à payer à la SAS VILLAGE D'ORSEL la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « les dispositions de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont une égale valeur normative ; qu'aux termes de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a également droit à la liberté d'expression ; que si le fait pour les époux X... d'avoir organisé ou fait organiser des manifestations, brandi ou fait brandir des banderoles en face de l'entrée du magasin de la société VILLAGE D'ORSEL comme le mettent en évidence les constats d'huissier des 4 mai 2006, 5 octobre 2007 et 7 juin 2008, d'avoir distribué ou fait distribuer des tracts à proximité du magasin voire d'avoir apposé ou fait apposer des affichettes autour dudit magasin, et ce, pour contester les mesures de licenciement prises à leur encontre participent de la liberté d'expression, ils ne pouvaient, au nom de cette liberté d'expression qu'ils sont en droit de revendiquer, par des incitations faites à la clientèle de la société VILLAGE D'ORSEL à se tourner vers la concurrence, entraver le libre exercice du commerce de leur employeur et même porter atteinte à son image ; qu'après deux années de procédure, il apparaît qu'à ce jour, le trouble causé par les licenciements des époux X... est réparé, la chambre sociale de la cour d'appel de Paris ayant par arrêts du 8 octobre 2008, par voie de confirmation partielle, alloué à chacun d'eux diverses indemnités réparatrices dont elle a majoré le montant ; que dans ces conditions, les époux X... n'ont plus à présent, en manifestant contre leurs licenciements, et ce, de quelle que (sic) manière que ce soit, à entraver le libre exercice du commerce de leur employeur et à porter atteinte à son image ; que, ceci exposé, il y a lieu de dire que les époux X... devront cesser tous agissements comme indiqué au dispositif du présent arrêt, et ce, sous astreinte de 100 € par jour de retard dans les huit jours à compter de la signification de l'arrêt et selon les modalités indiquées au dispositif de la présente décision ; que l'équité commande de condamner les époux X... à payer à la SAS VILLAGE D'ORSEL une somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile » ;

ALORS en premier lieu QU'en retenant, pour justifier les interdictions prononcées à l'encontre des époux X..., des incitations à se tourner vers la concurrence faites à la clientèle de la société VILLAGE D'ORSEL, entravant le libre exercice du commerce de leur ancien employeur et portant atteinte à son image, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les incitations alléguées n'émanaient pas, comme le confirmaient les propres constats de la société VILLAGE D'ORSEL, de personnes tierces dont Monsieur et Madame X... ne pouvaient être considérées comme responsables, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 809 du Code de procédure civile et de l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946 ;

ALORS en deuxième lieu QU'en jugeant que le trouble causé par les licenciements sans cause réelle et sérieuse des époux X... serait réparé, la chambre sociale de la Cour d'appel de PARIS ayant par arrêts du 8 octobre 2008 alloué à ceux-ci diverses indemnités réparatrices dont elle a majoré le montant, sans prendre en considération le fait que Madame et Monsieur X..., aujourd'hui proches de la soixantaine et sans emploi, manifestaient pour demander leur réintégration dans l'entreprise, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'articles 809 du Code de procédure civile, ensemble l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946 ;

ALORS en troisième lieu QU'en interdisant aux époux X... d'imprimer des banderoles ou des tracts «de quelque nature que ce soit» ou de les distribuer, de diffuser ou de placarder des affiches mettant en cause la société VILLAGE D'ORSEL et même de faire signer des pétitions «à toute personne notamment dans la rue», pour dénoncer leur licenciement à l'âge de 51 ans après 27 ans d'ancienneté pour Madame X... et à l'âge de 55 ans après 33 ans d'ancienneté pour son époux, lesquels n'ont pas pu retrouver de travail depuis, licenciements jugés sans cause réelle et sérieuse par des décisions revêtues de l'autorité de la chose jugée, et pour demander en conséquence leur réintégration dans l'entreprise, sans qu'aucune accusation diffamatoire ou erronée ni aucun acte de blocage du magasin n'aient jamais été relevés à leur encontre, et ce au seul nom du libre exercice du commerce et pour préserver l'image de leur ancien employeur, la Cour d'appel a violé l'article 809 du Code de procédure civile, ensemble l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946 ;

ALORS en quatrième lieu, subsidiairement, QU'en interdisant de façon générale aux époux X... d'imprimer des banderoles ou des tracts « de quelque nature que ce soit » ou de les distribuer, de diffuser ou de placarder des affiches mettant en cause la société VILLAGE D'ORSEL et même de faire signer des pétitions « à toute personne notamment dans la rue », pour dénoncer leur licenciement à l'âge de 51 ans après 27 ans d'ancienneté pour Madame X... et à l'âge de 55 ans après 33 ans d'ancienneté pour son époux, lesquels n'ont pas pu retrouver de travail depuis, licenciements jugés sans cause réelle et sérieuse par des décisions revêtues de l'autorité de la chose jugée, et pour demander en conséquence leur réintégration dans l'entreprise, sans qu'aucune accusation diffamatoire ou erronée ni aucun acte de blocage du magasin n'aient jamais été relevés à leur encontre, au seul nom du libre exercice du commerce et pour préserver l'image de leur ancien employeur, la Cour d'appel a prononcé une sanction disproportionnée violant l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946.

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