Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 26 mai 2010, 08-42.893, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 15 avril 2008), que Mme X... a été engagée à compter du 1er mars 2002 en qualité de responsable cafétéria par la société Expresso pronto ADV-Nîmes, aux droits de laquelle vient la société Médiance ; qu'à la suite d'un contrôle, l'employeur a adressé à la salariée un message électronique, daté du 26 juillet 2004, articulant un certain nombre de critiques et réclamant un changement radical ; que le lendemain, la salariée était convoquée à un entretien préalable à un licenciement, lequel était prononcé par courrier du 20 septembre 2004 ; que contestant son licenciement, la salariée a saisi la juridiction prud'homale ;

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et d'avoir condamné l'employeur au paiement d'une certain somme à titre de dommages-intérêts et au remboursement au organismes sociaux des indemnités de chômage dans la limite de six mois, alors, selon le moyen :

1 ) que le pouvoir de direction de l'employeur ne saurait être confondu avec son pouvoir disciplinaire, ni donc une directive ou un rappel à l'ordre du salarié avec une sanction disciplinaire ; que ne constitue pas une sanction, l'envoi au salarié d'un courrier électronique dans lequel l'employeur, tout en lui faisant part de son impression sur un certain relâchement, rappelle au salarié les directives qu'il doit mettre en oeuvre, l'invite à se ressaisir dans l'accomplissement de ses fonctions, et lui indique qu'il fera le point sur sa situation dans un délai donné ; qu'un tel message manifeste de la part de l'employeur l'exercice de son pouvoir de direction, et le cas échéant de contrôle, mais non pas disciplinaire ; qu'en décidant que le courrier électronique du 26 juillet 2004 constituait une sanction, et que les faits en cause ne pouvaient dès lors être sanctionnés une seconde fois par le prononcé du licenciement, tout en constatant que ce message enjoignait à la salariée de se conformer aux instructions, règlements, et pratiques en vigueur dans l'entreprise, ce qui révélait l'exercice par l'employeur de son pouvoir de donner des directives au salarié, mais non pas de son pouvoir disciplinaire, la cour d'appel a violé l'article L. 122-40 du code du travail (recodifié. L. 1331-1) et le principe «non bis in idem» ;

2 ) que ne constitue pas un licenciement disciplinaire, celui prononcé pour insuffisance professionnelle ; qu'en décidant que revêtait un caractère disciplinaire, le licenciement de la responsable d'une cafétéria notifié pour incapacité à «gérer les ventes et manager votre équipe», d'où résultait «un manque grave de maîtrise des coûts et de gestion administrative de l'établissement», des «prix de ventes…inférieurs au prix d'achat de vos produits», un «chiffre d'affaires…en chute constante» et lui reprochant en définitive ses «insuffisances de compétence…incompatibles avec le poste de responsable d'unité», la cour d'appel a violé les articles L. 122-40, 122-14-3 et L. 122-14-4 du code du travail (recodifié. L. 1331-1, L. 1232-1, L. 1235-1 et L. 1235-3) et le principe «non bis in idem» ;

3 ) qu'un licenciement peut reposer à la fois sur un comportement fautif et sur une insuffisance professionnelle non fautive ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations selon lesquelles la lettre de licenciement faisait expressément état d'une insuffisance professionnelle (insuffisance de compétences), ce dont il résultait que le licenciement reposait, au moins pour partie, sur des faits non fautifs qu'elle devait examiner, la cour d'appel a violé les articles L. 122-14-3 et L. 122-14-4 du code du travail (recodifié. L. 1232-1, L. 1235-1 et L. 1235-3) et le principe «non bis in idem» ;

4 ) que le fait pour l'employeur de laisser le salarié exécuter son préavis exclut seulement la possibilité d'invoquer une faute grave, justifiant le départ immédiat du salarié de l'entreprise, mais ne saurait priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, a fortiori lorsque sa cause repose sur une insuffisance professionnelle et que le licenciement n'a pas de caractère disciplinaire ; qu'en déduisant du maintien de la salariée à son poste pendant la durée de son préavis, l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, la cour d'appel a violé les articles L. 122-14-3 et L. 122-14-4 du code du travail (recodifié. L. 1232-1, L. 1235-1 et L. 1235-3) ;

5 ) qu'en se fondant sur la circonstance que l'employeur avait maintenu la salariée à son poste comme responsable des ventes et de son équipe pendant la durée du préavis, pour dénier l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement, sans aucunement prendre en considération le fait qu'il avait justement été précisé à la salariée que «pendant le préavis, la gestion financière et administrative de l'établissement sera prise en charge par votre responsable hiérarchique et il vous appartiendra d'assurer la responsabilité des ventes et des équipes qui y sont liées, en suivant scrupuleusement les instructions qui vous seront données par votre directeur de zone», la cour d'appel a, en tout état de cause, statué par un motif inopérant, et ce faisant privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-14-3 et L. 122-14-4 du code du travail (recodifié. L. 1232-1, L. 1235-1 et L. 1235-3) ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que, dans son message électronique du 26 juillet 2004, l'employeur adressait divers reproches à la salariée et l'invitait de façon impérative à un changement radical, avec mise au point ultérieure au mois d'août, la cour d'appel a justement décidé que cette lettre sanctionnait un comportement fautif et constituait un avertissement, en sorte que les mêmes faits ne pouvaient plus justifier le licenciement ;

Et attendu que l'employeur, qui a soutenu dans ses conclusions d'appel que le licenciement constituait une sanction, n'est pas recevable à présenter devant la Cour de cassation un moyen contraire à ses propres écritures ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en ses deuxième et troisième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Médiance aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à Mme Y... la somme de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mai deux mille dix.








MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux conseils pour la société Médiance ;

MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR décidé que le licenciement de Madame Y... était sans cause réelle et sérieuse et d'AVOIR en conséquence condamné la société Médiance à lui payer la somme de 65.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et ordonné le remboursement aux organismes sociaux des indemnités de chômages versées dans la limite de six mois ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE la salariée soutenait principalement que les faits énoncés à l'appui de la mesure de licenciement avaient été sanctionnés dans le courrier électronique du 26 juillet 2004 ainsi rédigé : «il est important dès aujourd'hui de tout faire pour utiliser Hermès, j'ai l'impression d'un certain relâchement tant au niveau administratif que de gestion de votre équipe. Tous vos employés sont en sandalette de plage (chaussure fermée obligatoire, port de bijou interdit en préparation) ; vitrine réfrigérée en panne depuis plus de 8 jours urgent voir froid OC. Produits à la vente non appétissants surveiller la cuisson et la préparation. Sol du local aussi sale rien n'a été fait depuis 3 semaines pour y remédier. Beaucoup trop de produits non référencés à la vente, éviter si possible toutes conserves et surveiller vos prix achats (supérieur au prix de vente). Malgré formation à Hermès aucun effort de compréhension et d'utilisation par vous-même il faut impérativement ranger votre bureau (archives). Je ferai à nouveau le point avec vous début et fin août car il est impératif qu'il y ait un changement radical» ; que le lendemain la salariée était convoquée à un entretien préalable au licenciement qui était prononcé le 20 septembre 2004 pour ces mêmes motifs ; que ce courriel listant les griefs reprochés et lui enjoignant de se conformer au instructions, règlements, et pratiques en vigueur dans l'entreprise constituait un avertissement ; qu'ainsi, bien que la lettre de licenciement fasse état d'une insuffisance professionnelle (insuffisance de compétences), le licenciement avait été déterminé par le non respect de consignes auxquelles devait se conformer la salariée et que ces circonstances conféraient au licenciement une qualification disciplinaire, cette mesure sanctionnant des faits par ailleurs déjà sanctionnés ; qu'au demeurant, l'employeur ne pouvait soutenir sans contradiction que le courriel reprenant les différents manquements reprochés à la salariée ne constituerait qu'une lettre de recadrage pour s'emparer de ces mêmes griefs au soutien de la mesure de licenciement ; qu'en effet, la lettre de licenciement faisait expressément référence aux constatations effectuées lors de la dernière visite en juillet 2004, du Directeur des Exploitations, qui avait précisément donné lieu à l'envoi du courriel du 26 juillet ; qu'il convenait pour ces motifs et ceux non contraires des premiers juges de confirmer le jugement sauf à porter à 65.000 € le montant de l'indemnité ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE les griefs adressés à la salariée remettaient en cause selon l'employeur le bon fonctionnement du service, le bon déroulement du contrat et que les insuffisances de compétence étaient incompatibles avec le poste de responsable d'unité ; mais que malgré ce constat, l'employeur avait maintenu la salariée à son poste comme responsable des ventes et de son équipe pendant toute la durée de son préavis de deux mois ; qu'il en résultait que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse ;

ALORS 1°) QUE le pouvoir de direction de l'employeur ne saurait être confondu avec son pouvoir disciplinaire, ni donc une directive ou un rappel à l'ordre du salarié avec une sanction disciplinaire ; que ne constitue pas une sanction, l'envoi au salarié d'un courrier électronique dans lequel l'employeur, tout en lui faisant part de son impression sur un certain relâchement, rappelle au salarié les directives qu'il doit mettre en oeuvre, l'invite à se ressaisir dans l'accomplissement de ses fonctions, et lui indique qu'il fera le point sur sa situation dans un délai donné ; qu'un tel message manifeste de la part de l'employeur l'exercice de son pouvoir de direction, et le cas échéant de contrôle, mais non pas disciplinaire ; qu'en décidant que le courrier électronique du 26 juillet 2004 constituait une sanction, et que les faits en cause ne pouvaient dès lors être sanctionnés une seconde fois par le prononcé du licenciement, tout en constatant que ce message enjoignait à la salariée de se conformer aux instructions, règlements, et pratiques en vigueur dans l'entreprise, ce qui révélait l'exercice par l'employeur de son pouvoir de donner des directives au salarié, mais non pas de son pouvoir disciplinaire, la cour d'appel a violé l'article L. 122-40 du Code du travail (recodif. L. 1331-1) et le principe « non bis in idem » ;

ALORS 2°) QUE ne constitue pas un licenciement disciplinaire, celui prononcé pour insuffisance professionnelle ; qu'en décidant que revêtait un caractère disciplinaire, le licenciement de la responsable d'une cafétéria notifié pour incapacité à «gérer les ventes et manager votre équipe », d'où résultait «un manque grave de maîtrise des coûts et de gestion administrative de l'établissement », des «prix de ventes…inférieurs au prix d'achat de vos produits », un « chiffre d'affaires…en chute constante » et lui reprochant en définitive ses «insuffisances de compétence…incompatibles avec le poste de responsable d'unité », la cour d'appel a violé les articles L. 122-40, 122-14-3 et L. 122-14-4 du Code du travail (recodif. L. 1331-1, L.1232-1, L. 1235-1 et L. 1235-3) et le principe « non bis in idem » ;

ALORS 3°) EN TOUT ETAT DE CAUSE QU'un licenciement peut reposer à la fois sur un comportement fautif et sur une insuffisance professionnelle non fautive ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations selon lesquelles la lettre de licenciement faisait expressément état d'une insuffisance professionnelle (insuffisance de compétences), ce dont il résultait que le licenciement reposait, au moins pour partie, sur des faits non fautifs qu'elle devait examiner, la cour d'appel a violé les articles L. 122-14-3 et L. 122-14-4 du Code du travail (recodif. L.1232-1, L. 1235-1 et L. 1235-3) et le principe « non bis in idem » ;

ALORS 4°) QUE le fait pour l'employeur de laisser le salarié exécuter son préavis exclut seulement la possibilité d'invoquer une faute grave, justifiant le départ immédiat du salarié de l'entreprise, mais ne saurait priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, a fortiori lorsque sa cause repose sur une insuffisance professionnelle et que le licenciement n'a pas de caractère disciplinaire ; qu'en déduisant du maintien de la salariée à son poste pendant la durée de son préavis, l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, la cour d'appel a violé les articles L. 122-14-3 et L. 122-14-4 du Code du travail (recodif. L.1232-1, L. 1235-1 et L. 1235-3) ;

ALORS 5°) QU'en se fondant sur la circonstance que l'employeur avait maintenu la salariée à son poste comme responsable des ventes et de son équipe pendant la durée du préavis, pour dénier l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement, sans aucunement prendre en considération le fait qu'il avait justement été précisé à la salariée que « pendant le préavis, la gestion financière et administrative de l'établissement sera prise en charge par votre responsable hiérarchique et il vous appartiendra d'assurer la responsabilité des ventes et des équipes qui y sont liées, en suivant scrupuleusement les instructions qui vous seront données par votre directeur de zone », la cour d'appel a, en tout état de cause, statué par un motif inopérant, et ce faisant privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-14-3 et L. 122-14-4 du Code du travail (recodif. L.1232-1, L. 1235-1 et L. 1235-3).



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