Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 12 mai 2010, 08-70.382, Inédit
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 08-70.382
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
- Président
- M. Chauviré (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., engagée le 10 mai 1982 par la société SNIG, devenue Agintis, acheteuse depuis janvier 1984, a été mise à pied et convoquée à un entretien préalable le 27 février 2004 ; qu'elle a alors fait état de faits d'un harcèlement sexuel et moral de la part de son supérieur hiérarchique, M. Y... ; qu'elle a été licenciée pour faute grave le 16 mars 2004 ;
Sur le second moyen :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement repose sur une faute grave et de la débouter de ses demandes alors, selon le moyen, qu'en ne recherchant pas si la cause véritable du licenciement de Mme X... ne résidait pas dans son refus de subir les faits de harcèlement moral et sexuel de la part de M. Y..., que la cour d'appel avait, à tort, cru pour pouvoir écarté, celle-ci a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1232-1 du code du travail, ensemble les articles L. 1152-1 et L. 1153-1 et L. 1153-2 du même code ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a retenu que les faits fautifs reprochés à la salariée étaient établis et constituaient une faute grave, a par là même décidé que le licenciement n'avait pas d'autre cause que celle mentionnée dans la lettre de licenciement ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l'article L. 1154-1 du code du travail ;
Attendu que pour débouter Mme X... de ses demandes au titre d'un harcèlement moral et sexuel, l'arrêt retient que les éléments versés aux débats ne permettent pas d'acquérir la conviction que M. Y... a commis des actes de harcèlement moral ou sexuel à l'encontre de Mme X... ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que des enveloppes contenant des documents et montages photographiques à caractère sexuel avaient été adressés à la salariée et qu'elle avait été soignée à raison de faits survenus au travail, éléments permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral ou sexuel, et que les défendeurs n'établissaient pas que ces agissements n'étaient pas constitutifs d'un tel harcèlement, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE et ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme X... de ses demandes au titre d'un harcèlement moral et sexuel, l'arrêt rendu le 14 octobre 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne MM. Z... et A..., ès qualités, et la société Agintis aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne MM. Z... et A..., ès qualités, et la société Agintis à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Spinosi, avocat aux Conseils pour Mme X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme Sylvette X... de ses demandes au titre du harcèlement moral et sexuel dont elle avait été victime ;
Aux motifs que : « en application de l'article L 1152-1 du Code du Travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
Qu'en application des articles L 1153-1 et L 1553-2 du même code, les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers sont interdits et aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel.
Qu'en application de l'article L 1154-1, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L 1152-1 à L 1152-3 et L 1153-1 à L 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
qu'en l'espèce, Madame X... prétend avoir fait l'objet de la part de Monsieur Y..., son responsable hiérarchique, de nombreux actes de harcèlement moral et sexuel qui ont dégradé son état de santé et conduit à son licenciement ;
qu'elle reste toutefois très vague sur la période au cours de laquelle ces actes auraient été commis alors qu'elle a travaillé plus de 18 ans dans le service dirigé par Monsieur Y... et ne donne pas d'élément précis concernant les actes de harcèlement eux-mêmes qu'elle n'a dénoncés qu'après l'engagement de la procédure de licenciement et pour lesquels elle n'a pas porté plainte ;
Qu'à l'appui de ses allégations, elle produit :
- le jugement rendu le 4 avril 2007 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LYON,
- des attestations d'anciennes salariées ;
qu'en application de l'article 480 du Code de Procédure Civile, seul le dispositif du jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale qui a dit que Madame X... avait été victime d'un accident du Travail le 4 mars 2004 a l'autorité de la chose jugée, à l'exclusion des motifs ; qu'en tout état de cause, ce jugement est inopposable à Monsieur Y... qui n'était pas partie à la procédure et n'a pu faire valoir ses éléments de défense ;
que selon les conclusions du rapport d'expertise graphologique de l'expert commis en référé, Monsieur Y... est l'auteur des mentions manuscrites figurant sur chacune des enveloppes à savoir : « Compte rendu » « Diplôme » « Récompense » « Fnc 1 » « Fnc 2 » « A ouvrir si satisfaite de la récompense » ;
Que ce rapport est toutefois contesté par Monsieur Y... qui reproche à l'expert d'avoir pris comme élément de comparaison un document (C2) qu'il a toujours nié avoir écrit ;
que sur les six documents de Comparaison retenus par l'expert, seuls trois (C1, C4 et C6) ont été reconnus par Monsieur Y... comme étant de sa main (attestation du 1er février 2005, cahier de bord qu'il a lui-même communiqué et spécimen d'écriture recueilli par l'expert) ;
Qu'il s'avère que ces documents sont aussi ceux qui, selon l'expert, présentent plus de différences avec les éléments de Question ;
Que dans ces conditions, l'expertise ne permet pas d'imputer avec certitude à Monsieur Y... les mentions manuscrites figurant sur les enveloppes litigieuses ;
que Madame C... affirme dans sa seconde attestation du 8 février 2008, « A ma reprise de travail septembre 2001, Madame X... m'a montré le montage photographique à caractère pornographique que Monsieur Y... lui avait remis en mains propres lors de son retour de congés. J'ai tout de suite reconnu 1 / la photo de son visage qu'il avait pris auparavant avec l'appareil numérique de la société ( ) 2 / l'écriture de Monsieur Y... qui figurait sur les cinq enveloppes dans laquelle se trouvait ce montage photos » ; qu'elle atteste que Monsieur Y... maîtrisait parfaitement l'informatique ;
que dans ses conclusions initiales devant le Conseil de Prud'hommes, Madame X... avait indiqué que les documents litigieux lui avaient été remis le 24 août 2003 tandis que dans son courrier du 17 mars 2004, elle se plaignait d'un harcèlement sexuel et moral « qui durait depuis deux ans » ; que le témoignage de Madame C... n'est pas concordant s'agissant de la date ; qu'il apparaît également bien tardif puisqu'établi en cause d'appel, quatre ans après le licenciement ;
Que surtout, son impartialité peut être mise en doute dans la mesure où il émane d'une personne manifestement très proche de Madame X... puisqu'elle a exercé des fonctions de secrétaire dans le même service Achats pendant plusieurs années jusqu'à sa démission en février 2004 et surtout qu'elle a fait le choix, comme Madame X..., de devenir associée au sein de la Société BBP Services, fournisseur de la Société AGINTIS ;
Qu'il est à noter que Madame D... qui a également travaillé auprès de Monsieur Y... en qualité de secrétaire du service Achats du 23 février 2004 au 9 mars 2004, atteste n'avoir jamais constaté de la part de Monsieur Y... envers elle-même ou toute autre salariée un comportement déplacé ;
que les autres attestations versées aux débats par Madame X... émanent d'anciennes salariées qui n'ont été témoins directs d'aucun fait de harcèlement de la part de Monsieur Y... et qui ne font que rapporter de manière non circonstanciée les propos tenus par Madame X... elle-même ; que certaines d'entre elles soulignent que Madame X... n'a jamais voulu en informer sa hiérarchie ni même le comité d'entreprise comme elles le lui conseillaient, attitude qu'il apparaît difficile en l'espèce d'expliquer par la crainte de perdre son emploi, au regard notamment de l'ancienneté dans l'entreprise dont l'intéressée bénéficiait ;
que Monsieur Y... produit de son côté 20 attestations d'anciens salariés de la Société AGINTIS qui se déclarent étonnés des reproches faits à Monsieur Y..., qui n'ont constaté aucun comportement déplacé de la part de ce dernier à l'égard de Madame X... ou de toute autre salariée, qui au contraire, pour la plupart, déclarent que la collaboration de Monsieur Y... et de Madame X... semblait de bonne qualité et cordiale ; que parmi ces attestations figure celle de Madame E...juriste au sein de la société, qui déclare avoir vainement indiqué, fin 2003, à Madame X... la procédure à mettre en oeuvre si elle s'estimait victime de harcèlement ;
que Madame X... prétend également que Monsieur Y... a tout mis en oeuvre pour que la procédure de licenciement engagée à son encontre puisse aboutir et ce dans un contexte de procédure collective ouverte au même moment ;
Que cependant, aucun élément du dossier ne corrobore cette allégation ; qu'il résulte au contraire de l'attestation de Monsieur F..., ancien Président du conseil d'administration de la Société AGINTIS, que Monsieur Y... a été informé de la décision de procéder au licenciement de Madame X... mais n'a pas participé à la procédure proprement dite compte tenu des circonstances ;
qu'eu égard à l'ensemble des éléments ci-dessus, la Cour ne retire pas la conviction que Monsieur Y... a commis des actes de harcèlement moral ou sexuel à l'encontre de Madame X... ;
Que la décision du Conseil des (sic) Prud'hommes sera donc confirmée sur ce point » ;
Alors que : lorsque survient un litige relatif à un cas de harcèlement moral ou sexuel, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, le juge formant sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a expressément constaté qu'à défaut de son dispositif, les motifs du jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Lyon du 4 avril 2007 avaient retenu l'existence de cas de harcèlement, que l'expert graphologue avait retenu que certains courriers et montages à caractère pornographique qui avaient été envoyés à Mme X... portaient bien l'écriture de M. Y... et que l'appelante fournissait un certain nombre d'attestations et de témoignages qui venaient conforter, ne serait-ce qu'indirectement, ses accusations de harcèlement à l'encontre de son supérieur hiérarchique ; qu'il s'en évinçait nécessairement que la salariée établissait des faits qui permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement, de sorte qu'en déboutant Mme X... de ses demandes au motif que la Cour d'appel n'en retirait pas la conviction que M. Y... avait commis des actes de harcèlement moral ou sexuel à son encontre, la juridiction du fond n'a pas tiré les conséquences qui découlaient de ses propres constatations, a fait peser sur Mme X... la charge d'une preuve complète, et non d'un simple commencement de preuve, et a, de ce fait, violé les articles 1315 du Code civil et L. 1154-1 du Code du Travail.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le licenciement de Mme Sylvette X... reposait sur une faute grave et de l'avoir déboutée de ses demandes en contestation de cette mesure ;
Aux motifs que : « il résulte des dispositions combinées des articles L 1232-1, L 1232-6, L 1234-1 et L 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis ;
que la procédure d'achat en vigueur au moment des faits dans la Société AGINTIS prévoyait :
- un circuit normal comportant six opérations (vérification du stock, consultation, comparaison des offres en fonction de l'enjeu représenté par l'acte d'achat, la négociation, le choix du fournisseur, la commande),
- un circuit court permettant de transformer directement la demande d'achat en commande, réservé aux achats dont les caractéristiques et les prix sont courants, normalisés et parfaitement connus de l'acheteur et du fournisseur, notamment à l'achat de matériel entrant dans les « marchés cadres » ;
que dans le cadre de ses fonctions d'acheteuse, Madame X... était plus particulièrement chargée des approvisionnements (marchés cadres et achats pour Etablissement Antilles) ainsi que cela résulte de la note de correspondance interne du 15 janvier 2003 ;
que la société AGINTIS produit un certain nombre de factures démontrant qu'en février 2004, la Société BBP Services a fourni à plusieurs reprises à la Société AGINTIS, pour un montant global de l'ordre de 26. 000 euros, de l'outillage à des prix légèrement supérieurs aux prix figurant dans l'accord cadre passé avec la société CLS (3 % sauf pour les coffres de chantiers livrés à la Société AGINTIS RAM à des prix supérieurs de 50 %) alors que cette société ne bénéficiait pas d'un marché cadre, factures qui ont été payées comptant par chèque contrairement aux directives données par la hiérarchie compte tenu des difficultés de trésorerie que la société AGINTIS connaissait ;
Qu'elle apporte la preuve qu'un certain nombre de commandes, celles effectuées pour SNIG ANTILLES, ont été signées par Madame X... elle-même ;
que les explications données par Madame X... à savoir qu'il n'y avait plus d'accord cadre avec la Société CLS depuis 2001, que les difficultés de l'entreprise amenaient de nombreux fournisseurs à refuser de lui faire crédit, que la société BBP Services n'a finalement pas été réglée comptant puisqu'elle a dû déclarer une créance dans le cadre de la procédure collective, ne sont pas de nature à justifier les manquements de Madame X... à la procédure d'achat qu'elle connaissait parfaitement ;
que ces manquements sont graves par (sic) dans la mesure où ils ont été effectués au profit d'une Société BBP Services créée le 18 décembre 2003 dans laquelle Madame X... avait des intérêts importants puisqu'elle détenait 30 % des parts sociales tandis qu'un autre membre de sa famille en détenait 30 %, de sorte que sa famille en détenait la majorité des parts, les deux autres associés étant Madame C..., ancienne salariée de la Société AGINTIS, et M. G..., ancien salarié de la Société CLS avec laquelle le marché cadre avait été passé ;
que même si les commandes qu'elle passait devaient être contresignées par un chargé d'affaires lorsqu'elles dépassaient 500 euros, Mme X..., acheteuse expérimentée, avait nécessairement un rôle prépondérant dans les achats de matériel courant et pouvait ainsi facilement privilégier la société dans laquelle elle avait des intérêts ;
que Madame X... prétend que son chef hiérarchique direct, Monsieur Y..., qui a contresigné les commandes, avait une parfaite connaissance de sa participation au capital de la Société BBP Services ;
Que cela est toutefois contesté par Monsieur Y... et n'est établi par aucune pièce du dossier, précision étant faite que les attestations de Monsieur G...et de Madame C...ne comportent aucune indication sur ce point précis ;
qu'après examen de l'ensemble des éléments fournis tant par l'employeur que par Madame X..., la Cour estime que le manquement de Madame X... à l'obligation de loyauté découlant de son contrat de travail est caractérisé, qu'il rendait impossible le maintien de la salariée dans l'entreprise pendant la durée du préavis compte tenu de ses fonctions et que le licenciement pour faute grave est justifié » ;
Alors que : en ne recherchant pas si la cause véritable du licenciement de Mme X... ne résidait pas dans son refus de subir les faits de harcèlement moral et sexuel de la part de M. Y..., que la Cour d'appel avait, à tort, cru pour pouvoir écarté, celle-ci a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1232-1 du Code du Travail, ensemble les articles L. 1152-1 et L. 1153-1 et L. 1153-2 du même Code.