Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 24 mars 2010, 09-81.153, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Eric,
- Y... Alain,
- Z... Claude,
- Y... Julie, épouse X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 13 janvier 2009, qui a condamné, le premier, pour prise illégale d'intérêts, à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 5 000 euros d'amende, les deuxième et troisième, pour complicité, chacun à 2 000 euros d'amende, la quatrième, pour recel, à 3 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire, commun aux demandeurs, et le mémoire en défense produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-6, 121-7, 321-1 et 432-12 du code pénal, 388, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que la cour d'appel a déclaré Julie X... coupable de recel de prise illégale d'intérêt par chargé de mission de service public ;

" aux motifs que les faits reprochés à Julie X..., qui a réalisé les deux études et perçu la somme totale de 24 365, 61 euros, qualifiés de complicité de prise illégale d'intérêts, s'analysent en réalité comme un bénéfice d'une prestation dont elle connaissait l'illégalité puisqu'elle a nécessité un portage salarial et l'utilisation de la société de son père pour la dissimuler ; que ces faits établis traduisent suffisamment l'intention frauduleuse de son auteur qui s'est limité à fournir des explications dépourvues de pertinence et doivent être qualifiés de recel de prise illégale d'intérêts faits prévus et réprimés par les articles 321-1 et 432-12, 432-17 du code pénal ;

" alors que, s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que les prévenus aient été en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification proposée ; qu'ainsi la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître ce principe, procéder d'office à la requalification du délit de complicité de prise illégale d'intérêt, pour lequel Julie X... était poursuivie, en délit de recel de prise illégale d'intérêt, sans avoir invité la prévenue à s'expliquer sur cette nouvelle qualification " ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 711-2 à L. 711-5, D. 711-67-1 à D. 711-67-4, L. 710-1 du code de commerce, 121-6, 121-7, 321-1 et 432-12 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que la cour d'appel a déclaré Eric X... coupable de prise illégale d'intérêt par chargé de mission de service public, Julie X... coupable de recel de ce délit, Alain Y... et Claude Z... coupables de complicité de prise illégale d'intérêt par chargé de mission de service public ;

" aux motifs que l'article 432-12 du code pénal dispose que le délit de prise illégale d'intérêt vise le fait « par une personne chargée d'une mission de service public de prendre, recevoir ou conserver directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement … » ; qu'Eric X... est poursuivi comme " étant chargé d'une mission de service public, en l'espèce en sa qualité de chargé de mission auprès de l'association Aquitaine Internationale " et d'avoir pris un intérêt dans une opération dont il avait la charge d'assurer au moins en partie l'administration ou la surveillance en confiant à son épouse des études relatives à ce même projet ; qu'Alain Y..., Julie X..., Claude Z... sont poursuivis pour complicité du délit de prise illégale d'intérêt reproché à Eric X... ; qu'il convient, par conséquent, de vérifier si le prévenu Eric X... était effectivement chargé d'une mission de service public ou d'intérêt général au moment et à l'occasion des faits poursuivis ; et s'il y a eu exercice concomitant de la qualité de surveillant et de la qualité de surveillé ; que l'association Aquitaine International est financée à 100 % par des fonds publics, que la majorité de ses membres sont des établissements publics ou des collectivités locales, qu'elle a pour objet, la promotion des relations commerciales internationales du sud-ouest de la France à travers l'action des chambres de commerce et d'industrie et de leurs mandants en partenariat avec les collectivités territoriales et les acteurs du commerce international ; que le programme Eurek @ consistait en la création d'un moteur de recherche dédié au commerce international pour aider les entreprises de la région Aquitaine dans leur développement et exportation en facilitant l'accession à l'information internationale directement par secteurs d'activités, que ce projet était financé exclusivement par les fonds de l'usine européenne par le biais d'une subvention d'un montant de 466 440 euros ; qu'une personne morale de droit privé doit être regardée, en raison de la nature spécifique des missions qui lui sont dévolues, du financement par des fonds publics, du nombre de ses missions, du contrôle exercé par les pouvoirs publics sur son organisation et son fonctionnement comme exerçant une mission de service public au sens de l'article 432-12 du code pénal ; que l'association Aquitaine International répondait à ces critères en raison des conditions de sa création, de la composition de son conseil d'administration, de son organisation, du mode de financement et du contrôle exercé tant par l'administration sur le déroulement du projet que par la chambre régionale des comptes sur la gestion des fonds ; que l'article L. 712-1 du code de commerce qui distingue les missions de service public, les missions d'intérêt général et les missions d'intérêt collectif n'exclut pas les missions exercées à l'initiative des chambres de commerce et d'industrie du domaine des missions de service public ou du domaine d'intérêt général ; que le projet Eurek @ élaboré et suivi par l'association Aquitaine International sous le contrôle des C. C. I. et de la C. R. C. I. d'Aquitaine contribuait au développement des acteurs économiques de la région et constituait une mission d'intérêt général, qui doit être regardée comme une mission de service public, au sens de l'article 432-12 du code pénal ;

" alors qu'il résulte des dispositions des articles L. 711-2 à L. 711-5, D. 711-67-1 à D. 711-67-4 du code de commerce que les CCI doivent exercer des missions obligatoires et de représentation auprès des pouvoirs publics d'une part, et, d'autre part, peuvent exercer des missions à leur initiative, qualifiées par l'article L. 710-1 du code de commerce de missions d'intérêt collectif, exclusives des missions de service public et des missions d'intérêt général ; qu'en jugeant que la mission « Eurek @ », prise à l'initiative de M. A..., président de la CCI du Lot-et-Garonne, relevait d'une mission de service public pour affirmer qu'Eric X... avait la qualité de chargé de service public et entrer en voie de condamnation du chef de prise illégale d'intérêt, complicité et recel de ce délit à l'encontre des prévenus, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que l'association Aquitaine international, financée par des fonds publics et regroupant des chambres de commerce et d'industrie de la région Aquitaine, la chambre régionale de commerce et d'industrie, le conseil régional, et des représentants des grandes entreprises de la région, a développé un projet nommé Eurek @, dont l'objet était l'élaboration d'un moteur de recherche permettant aux entreprises de la région d'accéder à l'information commerciale internationale ; que la gestion de ce projet a été confié à Eric X..., salarié de la chambre de commerce et d'industrie du Lot-et-Garonne, mis à disposition de ladite association ; que ce dernier a commandé à son épouse Julie Y... deux études sur le positionnement et l'impact du projet Eurek @, par l'entremise de la société Assistance services promotion, sans activité réelle depuis 2004, dont le gérant Alain Y... et le directeur Claude Z... étaient respectivement le père et l'oncle de cette dernière, qu'ils avaient salariée à cette fin ; qu'Eric X... a été poursuivi du chef de prise illégale d'intérêts, Julie X..., Alain Y... et Claude Z... du chef de complicité de ce délit ;

Attendu que, pour déclarer Eric X..., Alain Y... et Claude Z... coupables des chefs précités, l'arrêt relève notamment que le projet Eurek @, financé par le Fonds européen de développement régional, élaboré et suivi par l'association Aquitaine international, sous le contrôle des chambres de commerce et d'industrie, de la chambre régionale de commerce d'Aquitaine, et de la chambre régionale des comptes, contribuait au développement des acteurs économiques de la région et constituait une mission de service public, au sens de l'article 432-12 du code pénal ; que les juges ajoutent que Alain Y... et Claude Z... ont, en toute connaissance de cause, mis la société Assistance services promotion à la disposition d'Eric X... afin de dissimuler aux responsables d'Aquitaine international le véritable attributaire des études ; qu'ils retiennent encore que les faits reprochés à Julie Y..., qui a réalisé les deux études et perçu la somme de 26 365, 61 euros, doivent être requalifiés en recel de prise illégale d'intérêts ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que les faits retenus à l'encontre de Julie Y... entrent dans les prévisions du délit de complicité, de sorte que la requalification par la cour d'appel, sans que la prévenue ait été mise en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée, n'avait pas lieu d'être, la cour d'appel qui a caractérisé, en tous leurs éléments, les délits dont elle a déclaré Eric X..., Alain Y... et Claude Z... coupables, a justifié sa décision ;

D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

FIXE à 700 euros la somme que Eric X..., Alain Y..., Claude Z..., et Julie Y... devront payer chacun à l'association Aquitaine International au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Labrousse conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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