Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 17 mars 2010, 08-15.658, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu que le 23 décembre 1996, Lucien X..., né le 20 septembre 1909, a souscrit auprès de la Fédération nationale mutualiste française un contrat d'assurance-vie "Bon Médéric 2000" pour un montant de 2 000 000 francs (304 898,03 euros) en désignant en qualité de bénéficiaire sa nièce, Mme X..., veuve Y... ; que le 23 avril 1997, le juge des tutelles a prononcé la mise sous curatelle renforcée de Lucien X... et désigné en qualité de curateur M. Z..., ami et ancien collègue de travail du majeur protégé ; que le 15 juillet 1999, Lucien X... a souscrit, seul, auprès de la société Sogecap un contrat d'assurance-vie "Séquoia" pour un montant de 1 600 000 francs (243 918,42 euros) en désignant en qualité de bénéficiaire son curateur, M. Z... ; que le 20 août 1999, Lucien X... a désigné comme nouveau bénéficiaire du contrat "Bon Médéric 2000" M. Z... aux lieu et place de sa nièce ; que Lucien X... est décédé le 24 octobre 1999 en laissant pour unique héritière sa nièce, Mme Y... ; que par assignation du 11 octobre 2001, cette dernière a agi en nullité des actes de souscription du contrat du 15 juillet 1999, de paiement de la prime correspondante et de changement de bénéficiaire du 20 août 1999 et, subsidiairement, a sollicité la requalification de ces actes en donations indirectes ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 13 mars 2008) d'avoir rejeté ses demandes, alors, selon le moyen, que l'existence d'un conflit d'intérêts exclut que le curateur, spécialement dans l'hypothèse d'une curatelle renforcée, assiste le majeur protégé chaque fois que l'acte que le majeur protégé se propose d'accomplir, l'est dans l'intérêt du curateur ; que dans cette hypothèse, l'acte ne peut être accompli que sur autorisation du juge des tutelles ; que ce dernier est seul apte à décider si, nonobstant les obligations pesant sur le curateur et sa position auprès du majeur protégé, l'acte en cause peut être autorisé ; que si cette règle concerne les intérêts du majeur protégé, elle touche également l'ordre public en tant qu'elle concerne l'exercice d'une fonction tutélaire ; que sa méconnaissance doit dès lors être sanctionnée par une nullité de plein droit ; qu'en l'espèce, si les juges du fond ont retenu à bon droit que les actes critiqués par Mme Y... étaient des actes de disposition, c'est à tort qu'ils ont retenu que ces actes, accomplis dans l'intérêt personnel du curateur, étaient sanctionnés conformément à l'article 510-1 du code civil par une nullité facultative ; qu'en refusant de prononcer la nullité, quand les actes en cause (désignation du curateur comme bénéficiaire d'une assurance-vie, souscription d'une assurance-vie au profit du curateur et paiement d'une prime destinée à alimenter un contrat d'assurance-vie au profit du curateur) encouraient une nullité de plein droit, les juges du fond ont violé les articles 502, 508, 509-1, 509-2, 510,510-1 anciens du code civil ;

Mais attendu que, même accomplis dans l'intérêt du curateur, les actes de disposition faits par le majeur en curatelle, seul, sans l'assistance d'un curateur ad hoc, sont susceptibles d'annulation sur le fondement de l'article 510-1 du code civil, dans sa rédaction de la loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 applicable en l'espèce, que ce texte n'édicte pas une nullité de droit et laisse au juge la faculté d'apprécier s'il doit ou non prononcer la nullité, eu égard aux circonstances de la cause ; qu'ayant relevé qu'il ressortait de l'ensemble des éléments versés aux débats qu'en désignant M. Z... en qualité de bénéficiaire des deux contrats d'assurance vie qu'il avait souscrits, Lucien X... avait entendu manifester sa reconnaissance à son curateur pour son amitié de longue date et les soins dévoués dont celui-ci l'avait entouré, notamment dans ses dernières années, la cour d'appel a souverainement estimé qu'il n'y avait pas lieu d'annuler les actes litigieux qui correspondaient à la volonté lucide du majeur protégé ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que Mme Y... fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que pour déterminer si un contrat d'assurance-vie constitue une libéralité, les juges du fond doivent rechercher si les circonstances dans lesquelles le bénéficiaire est désigné, relève de la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur l'intention de M. X..., les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article 894 du code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel a constaté d'une part, que le contrat d'assurance sur la vie "Bon Médéric 2000" souscrit le 23 décembre 1996, à durée indéterminée, pouvant prendre fin à tout moment par le rachat total de la valeur acquise et le contrat "Séquoia", souscrit le 16 juin 1999, pour une durée de huit années prorogeable annuellement, étaient tous deux affectés d'un aléa dès lors qu'à la date de leur souscription Lucien X... ignorait qui de lui ou du bénéficiaire recevrait le capital ; d'autre part, que Lucien X..., qui, en septembre 1999, était encore en pleine possession de ses moyens, était propriétaire, seul ou en indivision, de cinq biens immobiliers et que postérieurement à la souscription du second contrat d'assurance, son épargne était encore de 56 863,48 euros ; que les juges du second degré, qui ont ainsi fait ressortir que le souscripteur n'avait pas eu la volonté de se dépouiller de manière irrévocable, ont légalement justifié leur décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les trois demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mars deux mille dix.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Foussard, avocat aux Conseils pour Mme Y...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué encourt la censure :

EN CE QU' il a refusé d'annuler l'acte du 15 juillet 1999 portant souscription d'un second contrat d'assurance vie avec le curateur pour bénéficiaire, l'acte du 20 août 1999 désignant le curateur comme bénéficiaire du premier contrat d'assurance vie, ainsi que l'acte de paiement de la prime correspondant à la souscription du second contrat d'assurance vie, ensemble rejeté les demandes formées par Madame Y... ;

AUX MOTIFS QUE « selon l'article 510 du Code civil, le majeur en curatelle ne peut, sans l'assistance de son curateur, faire aucun acte qui, sous le régime de la tutelle des majeurs, requerrait une autorisation du conseil de famille et qu'il ne peut non plus, sans cette assistance, recevoir des capitaux, ni en faire emploi ; que la révocation et le changement de bénéficiaire d'une assurance-vie ne sont pas des actes d'administration, mais de disposition et requièrent l'assistance du curateur ; que, de même, l'emploi d'un capital en la constitution d'une assurancevie doit être fait avec l'assistance du curateur ; qu'il est acquis aux débats que c'est sans l'assistance de M. Z... que, le 16 juin 1999, Lucien X..., sous curatelle, a souscrit, le contrat « Séquoia » pour un montant de 1.600.000 F (243.918,42 €) et que, le 20 août 1999, il a changé le bénéficiaire du contrat « Bon Médéric 2000 » ; qu'en conséquence, Mme Y..., héritière de Lucien X..., peut réclamer l'annulation de ces actes sur le fondement de l'article 510-1 du Code civil ; que M. Z... ne peut prétendre que l'action en nullité s'est trouvée éteinte par l'approbation qu'il aurait donnée auxdits actes dès lors qu'étant bénéficiaire des contrats d'assurance-vie et curateur, l'approbation, en raison de cette opposition d'intérêts, ne pouvait être valablement donnée que par un curateur ad hoc désigné par le juge des tutelles ; qu'il appartient au juge d'apprécier s'il y a lieu ou non de prononcer la nullité eu égard aux circonstances de la cause ; qu'il résulte des attestations versées aux débats, notamment, de celle de M. Rodolphe B..., ancien collègue et ami du défunt, en date du 4 janvier 2002, que Lucien X... connaissait M. Z... depuis 1953 pour avoir travaillé dans la même entreprise, qu'après le départ à la retraite du de cujus, ce dernier et l'intimé étaient restés très proches, M. Z... lui donnant régulièrement des nouvelles de son ami « en particulier au moment où il a connu de gros problèmes de santé » ; que le médecin traitant, M. Roger C..., témoigne du dévouement de M. Z... lorsque Lucien X... était malade, effectuant notamment, toutes les démarches administratives et accompagnant le médecin à la maison de retraite ; que l'orthophoniste, Mme Patricia D..., indique, dans son attestation du 8 novembre 2001, qu'à plusieurs reprises, elle a eu l'occasion de rencontrer M. Z... qui venait rendre visite à M. X..., tandis que, durant la période où elle lui prodiguait ses soins, elle « n'a jamais eu affaire à un membre de la famille de M. X... » ; qu'aucune des pièces versées aux débats n'établissent l'existence de relations entre Lucien X... et Mme Y... ; qu'il ressort de ces éléments qu'en désignant M. Z... en qualité de bénéficiaire des deux contrats d'assurance-vie qu'il avait souscrits, Lucien X..., qui était en pleine possession de ses moyens et ceci, même le 20 septembre 1999, ainsi qu'en témoigne Mme Maryse F..., a entendu manifester sa reconnaissance à M. Z... pour son amitié de longue date et les soins dévoués dont celui-ci l'avait entouré, notamment, dans ses dernières années ; qu'en conséquence, il n'y a pas lieu d'annuler les actes litigieux qui correspondent à la volonté lucide de Lucien X... » (arrêt, p. 7 dernier paragraphe à 9 premier paragraphe).

ALORS QUE l'existence d'un conflit d'intérêts exclut que le curateur, spécialement dans l'hypothèse d'une curatelle renforcée, assiste le majeur protégé chaque fois que l'acte que le majeur protégé se propose d'accomplir, l'est dans l'intérêt du curateur ; que dans cette hypothèse, l'acte ne peut être accompli que sur autorisation du juge des tutelles ; que ce dernier est seul apte à décider si, nonobstant les obligations pesant sur le curateur et sa position auprès du majeur protégé, l'acte en cause peut être autorisé ; que si cette règle concerne les intérêts du majeur protégé, elle touche également à l'ordre public en tant qu'elle concerne l'exercice d'une fonction tutélaire ; que sa méconnaissance doit dès lors être sanctionnée par une nullité de plein droit ; qu'en l'espèce, si les juges du fond ont retenu à bon droit que les actes critiqués par Madame Y... étaient des actes de disposition, c'est à tort qu'ils ont retenu que ces actes, accomplis dans l'intérêt personnel du curateur, étaient sanctionnés conformément à l'article 510-1 du Code civil par une nullité facultative ; qu'en refusant de prononcer la nullité, quand les actes en cause (désignation du curateur comme bénéficiaire d'une assurance vie, souscription d'une assurance vie au profit du curateur et paiement d'une prime destinée à alimenter un contrat d'assurance vie au profit du curateur) encouraient une nullité de plein droit, les juges du fond ont violé les articles 502, 508, 509-1, 509-2, 510, 510-1 anciens du Code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué encourt la censure :

EN CE QU' il a refusé d'annuler l'acte du 15 juillet 1999 portant souscription d'un second contrat d'assurance vie avec le curateur pour bénéficiaire, l'acte du 20 août 1999 désignant le curateur comme bénéficiaire du premier contrat d'assurance vie, ainsi que l'acte de paiement de la prime correspondant à la souscription du second contrat d'assurance vie, ensemble rejeté les demandes formées par Madame Y... ;

AUX MOTIFS TOUT D'ABORD QU' « il sera dit ci-après que les contrats souscrits par Lucien X... sont des contrats d'assurance-vie et qu'ils ne sont donc pas des donations ; qu'en conséquence, l'alinéa 513, alinéa 2, n'est pas applicable » (arrêt p. 7, § 7).

AUX MOTIFS ENCORE QUE « le contrat d'assurance dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa au sens de l'article 1964 du Code civil, L.310-1, 1 et R. 321-1,20 du Code des assurances et constitue un contrat d'assurance sur la vie ; qu'il résulte des conditions générales du contrat souscrit, le 23 décembre 1996, par Lucien X... auprès de la FNMF, dénommé « Bon Médéric 2000 » pour un montant de 2.000.000 F (304.989,03 €) qu'il s'agit d'un contrat d'assurance sur la vie à durée indéterminée à cotisation unique avec remboursement de la valeur acquise en cas de décès ; que ce contrat prend fin, soit, à tout moment par le rachat total de la valeur acquise de la cotisation investie, soit au décès de l'assuré où le capital égal à la valeur acquise de la cotisation investie est versé au bénéficiaire désigné ; que ce contrat est affecté d'un aléa dès lors qu'à la date de sa souscription Lucien X... ignorait qui de lui ou du bénéficiaire recevrait le capital dès lors que le créancier de l'obligation de l'assureur différait selon que l'adhérent était vivant ou non au moment où le versement du capital devait intervenir ; qu'il résulte du bulletin d'adhésion au contrat collectif d'assurance sur la vie souscrit le 16 juin 1999 par Lucien X... auprès de la société SOGÉCAP, dénommé « Séquoia », pour un montant de 1.600.000 F (243.918,42 €) versé à titre de cotisation unique, d'une durée de huit années prorogeable annuellement, que le bénéficiaire de l'adhésion, en cas de vie de l'intéressé au terme, est l'adhérent-assuré et, en cas de décès de l'assuré avant le terme, le bénéficiaire désigné ; que ce contrat est affecté d'un aléa dès lors qu'à la date de sa souscription Lucien X... ignorait qui de lui ou du bénéficiaire recevrait le capital dès lors que le créancier de l'obligation de l'assureur différait selon que l'adhérent était vivant ou non au moment où le versement du capital devait intervenir ; qu'en conséquence, ces contrats ne constituent pas des donations qui devraient être réintégrées à la succession de Lucien X... » (arrêt p. 9) ;

ALORS QUE, pour déterminer si un contrat d'assurance-vie constitue une libéralité, les juges du fond doivent rechercher si les circonstances dans lesquelles le bénéficiaire est désigné, relève de la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur l'intention de Monsieur X..., les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article 894 du Code civil.

Retourner en haut de la page