Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 février 2010, 08-41.412, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 janvier 2008), que Mme X... a été engagée à temps partiel, le 20 novembre 2000, en qualité d'employée de cafétéria, par la société Casino cafétéria Chatou, son contrat prévoyant à la suite d'un avenant qu'elle pourrait être affectée dans tout établissement Casino situé dans la ville de Chatou ou dans les localités limitrophes ; que, le 1er février 2003, le magasin Casino de Chatou a été cédé à la société Leader Price Chatou qui a fermé l'établissement pour y effectuer des travaux, les salariés qui y étaient affectés, dont Mme X..., cessant momentanément de travailler tout en continuant à être payés ; que, le 29 août 2003, le nouvel employeur a fait connaître à Mme X... qu'elle devrait reprendre son travail à partir du 1er septembre suivant au magasin Leader Price de Saint-Denis et qu'elle occuperait à nouveau son poste de travail à Chatou, dès la fin des travaux ; qu'ayant refusé cette affectation, la salariée a été licenciée pour faute grave, par lettre recommandée du 25 septembre 2003 lui reprochant son absence injustifiée depuis le 1er septembre 2003, malgré deux mises en demeure ; que Mme X... a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail ;

Attendu que la société Leader Price fait grief à l'arrêt d'avoir dit le licenciement de Mme X... sans cause réelle et sérieuse et de l'avoir condamnée à lui verser à ce titre diverses sommes, alors, selon le moyen :

1°/ qu'une affectation ne perd pas son caractère temporaire du seul fait que l'employeur n'a pas déterminé de façon précise, au moment où il a informé le salarié de sa décision de l'affecter provisoirement sur un autre lieu de travail, la durée de ladite affectation ; que la cour d'appel a constaté que par courrier du 29 août 2003, la société indiquait à Mme X... qu'elle reprendrait son poste de travail "au magasin de Chatou dès la fin des travaux" et que les salariés de ce magasin ont été de retour sur le site le 16 octobre 2003 ; qu'il résultait de ces constatations que l'affectation de Mme X... à Saint-Denis était temporaire, peu important que la société Leader Price Chatou n'ait pu, au moment où elle informait la salariée de cette affectation provisoire, déterminer avec précision sa durée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 121-1, alinéa premier, du code du travail, devenu l'article L. 1221-1, ensemble l'article 1134 du code civil ;

2°/ qu'en ne recherchant pas si l'employeur pouvait connaître avec précision la durée des travaux effectués dans le magasin de Chatou au moment où il a informé Mme X... de son détachement temporaire, et donc en n'établissant pas en quoi l'absence de précision au moment de l'information du salarié du déplacement occasionnel qui lui était imposé était fautive, faute qui aurait privé la société Leader Price Chatou de son droit d'exiger de Mme X..., au titre de son pouvoir de direction, qu'elle aille travailler temporairement dans un magasin situé à Saint-Denis, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 121-1 du code du travail, ensemble l'article 1134 du code civil ;

3°/ que pour dire le licenciement de l'intéressée sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a constaté que le contrat de travail transféré avait été modifié le 14 novembre 2002 par un avenant aux termes desquels "dans le cadre de l'évolution de votre situation professionnelle, ou de la préservation de votre emploi, vous pourrez être affectée dans l'un ou l'autre des établissements que le groupe possède ou pourrait détenir dans la même agglomération, ou dans les localités limitrophes" et en a déduit que Mme X... ne pouvait dès lors être affectée que dans une structure située soit à Chatou soit dans les localités limitrophes, sans distinguer selon la durée de l'affectation en question ; qu'en statuant ainsi, cependant que la clause visait les hypothèses d'évolution de la situation professionnelle de l'intéressée ou de la préservation de son emploi, ce dont il ressortait clairement et nécessairement, comme le soutenait la société dans ses conclusions, qu'elle ne s'appliquait qu'à des affectations définitives et non à des affectations provisoires, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;

4°/ que le déplacement occasionnel du salarié ne constitue pas une modification de son contrat de travail dès lors qu'il est justifié par l'intérêt de l'entreprise, au regard des fonctions exercées par le salarié ; qu'une clause délimitant les zones au sein desquelles le salarié peut être amené à travailler n'empêche donc pas l'employeur d'user de son pouvoir de direction en affectant temporairement ledit salarié hors de ces zones, dès lors que cette affectation est justifiée par l'intérêt de l'entreprise ; qu'en ne recherchant pas si la décision de faire travailler Mme X... de façon provisoire au sein d'un magasin situé à Saint-Denis était justifié par l'intérêt de l'entreprise, notamment en raison de l'impossibilité d'affecter les salariés au magasin de Chatou durant les travaux qui y intervenaient et de l'objectif de formation sur les techniques de vente de l'enseigne Leader Price, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 121-1, alinéa premier, du code du travail, devenu l'article L. 1221-1 et l'article 1134 du code civil ;

Mais attendu que si l'affectation occasionnelle d'un salarié en dehors du secteur géographique où il travaille habituellement ou des limites prévues par une clause contractuelle de mobilité géographique peut ne pas constituer une modification de son contrat de travail, il n'en est ainsi que lorsque cette affectation est motivée par l'intérêt de l'entreprise, qu'elle est justifiée par des circonstances exceptionnelles, et que le salarié est informé préalablement dans un délai raisonnable du caractère temporaire de l'affectation et de sa durée prévisible ;

Et attendu qu'ayant relevé que la notification brutale à la salariée de son changement d'affectation ne comportait aucune indication quant à la durée de cette affectation, la cour d'appel a, sans encourir aucun des griefs du moyen, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Leader Price Chatou aux dépens ;

Vu l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, condamne la société Leader Price Chatou à payer à Me Balat la somme de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois février deux mille dix.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils, pour la société Leader Price Chatou.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit le licenciement de Madame X... sans cause réelle et sérieuse et d'AVOIR condamné la Société LEADER PRICE CHATOU à lui verser à ce titre diverses sommes ;

AUX MOTIFS QUE « Madame X... a été licenciée par lettre en date du 25 septembre 2003 pour faute grave ; que la lettre est ainsi rédigée : « vous n'avez pas justifié votre absence depuis le 1er septembre 2003 et ce jusqu'à ce jour, malgré une mise en demeure des 5 et 9 septembre 2003, vous enjoignant soit de fournir un certificat médical, soit de reprendre votre travail et de respecter vos horaires » ; que Madame X... a été engagée par la Société SAS CASINO CAFETERIA selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 20 novembre 2000 comprenant une clause de mobilité rédigée comme suit : « en cas de besoin, vous pourrez être appelée à travailler dans l'un ou l'autre des établissements que possède ou pourrait ouvrir la Société CASINO SAS ou dans tous les établissements du Groupe CASINO et de ses propres filiales situés dans la ville de PARIS ou dans les localités limitrophes » ; que le 29 décembre 2000, un avenant a été signé entre la SAS CAFETERIA CASINO stipulant une nouvelle clause de mobilité rédigée comme suit : « en cas de besoin, vous pourrez être appelée à travailler dans l'un ou l'autre des établissements que possède ou pourrait ouvrir la Société CASINO CAFETERIA ou dans tous les établissements du Groupe CASINO et de ses propres filiales situés dans la ville de CHATOU ou dans les localités limitrophes » ; que le 14 novembre 2002, un nouvel avenant a été signé entre la Distribution CASINO France et Madame X... nommée employée commerciale confirmée niveau 2 échelon B à compter du 1er octobre 2002 pour un horaire hebdomadaire de 30 heures moyennant un salaire brut mensuel de 988,83 € ; qu'il est également stipulé dans ce même document : « dans le cadre de l'évolution de votre situation professionnelle, ou de la préservation de votre emploi, vous pourrez être affectée dans l'un ou l'autre des établissements que le groupe possède ou pourrait détenir dans la même agglomération, ou dans les localités limitrophes » ; que par lettre en date du 6 février 2003, la Société LEADER PRICE CHATOU a notifié à la salariée qu'elle reprenait l'activité de ce magasin dans le cadre de l'article L. 122-12 du Code du travail à compter du 1er février 2003 ; qu'elle lui a également annoncé la mise en place, au regard de l'importance des travaux entrepris, d'une mesure de chômage partiel avec maintien de la rémunération ; que par télégramme en date du 29 août 2003, l'employeur a invité Madame X... à « reprendre son travail à partir du lundi 1er septembre 2003 à 9 heures au magasin Leader Price situé angle 20 rue GENIN et rue ANATOLE France 93200 SAINT-DENIS » ; que par lettre recommandée en date du 29 août 2003, la Société LEADER PRICE CHATOU a invité Madame X... à reprendre son travail conformément aux conditions précédemment rappelées en précisant : « Votre planning horaire vous sera donné par le responsable du magasin… Vous reprendrez votre poste de travail au magasin de CHATOU dès la fin des travaux » ; que par lettre en date du 5 septembre 2003, l'employeur a mis en demeure la salariée de justifier de son absence ; que l'employeur, par lettre en date du 9 septembre 2003, a mis en demeure la salariée de réintégrer son poste, lui rappelant que « le changement provisoire du lieu de travail, en outre dans le même secteur géographique, ne s'analyse pas en une modification de votre contrat de travail » ; que d'une part, la lettre en date du 29 août 2003 ne contient aucune précision quant à la durée précise de l'affectation de la salariée dans ce magasin situé à SAINT DENIS (93) ni sur les conditions de mise à disposition auprès d'un autre employeur ; que le fait, a posteriori que le retour des salariés sur le site soit intervenu le 16 octobre 2003 ne peut avoir aucune incidence sur la situation de madame X... ; que si l'employeur évoque une affectation dans un autre magasin limitée à quelques semaines aux fins de « la familiariser avec les techniques de vente de la Société LEADER PRICE », aucune information en ce sens n'a été donnée à la salariée au moment où elle a été invitée à rejoindre le magasin de SAINT-DENIS ; que, d'autre part, l'article L. 122-12 du code du travail, qui est d'ordre public, énonce le principe du maintien des contrats de travail en cas de reprise de l'activité aux conditions initialement consenties, sans modification du contrat de travail ; qu'il n'est justifié d'aucun nouvel avenant signé par la salariée mettant en place notamment une nouvelle clause de mobilité géographique ; qu'il en résulte que les dispositions de l'avenant en date du 14 novembre 2002 sont applicables ; que la salariée ne peut dès lors être affectée que dans une structure située soit à CHATOU ou dans les localités limitrophes ; que tel n'est point le cas du magasin situé à SAINT-DENIS (93) ; que l'existence d'une clause de mobilité géographique ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée ; que l'employeur s'étant affranchi des obligations contractuelles lui incombant, il ne pouvait tirer quelques conséquences que ce soient de l'absence de la salariée au poste d'affectation de SAINT-DENIS qui ne répondait pas aux engagements contractuels liant les parties ; que la faute grave reprochée à la salariée n'est nullement établie ; que le licenciement dont a été l'objet Madame X..., âgée de 30 ans au moment de la rupture des relations contractuelles est dépourvu de cause réelle et sérieuse » ;

ALORS, D'UNE PART, QU' une affectation ne perd pas son caractère temporaire du seul fait que l'employeur n'a pas déterminé de façon précise, au moment où il a informé le salarié de sa décision de l'affecter provisoirement sur un autre lieu de travail, la durée de ladite affectation ; que la Cour d'appel a constaté que par courrier du 29 août 2003, l'exposante indiquait à Madame X... qu'elle reprendrait son poste de travail « au magasin de CHATOU dès la fin des travaux » et que les salariés de ce magasin ont été de retour sur le site le 16 octobre 2003 ; qu'il résultait de ces constatations que l'affectation de Madame X... à SAINT-DENIS était temporaire, peu important que la Société LEADER PRICE CHATOU n'ait pu, au moment où elle informait la salariée de cette affectation provisoire, déterminer avec précision sa durée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé l'article L. 121-1, alinéa premier, du Code du travail, devenu l'article L. 1221-1, ensemble l'article 1134 du Code civil ;

ALORS QU' EN TOUT ETAT DE CAUSE, en ne recherchant pas si l'employeur pouvait connaître avec précision la durée des travaux effectués dans le magasin de CHATOU au moment où il a informé Madame X... de son détachement temporaire, et donc en n'établissant pas en quoi l'absence de précision au moment de l'information du salarié du déplacement occasionnel qui lui était imposé était fautive, faute qui aurait privé la Société LEADER PRICE CHATOU de son droit d'exiger de Madame X..., au titre de son pouvoir de direction, qu'elle aille travailler temporairement dans un magasin situé à SAINT-DENIS, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 121-1 du Code du travail, ensemble l'article 1134 du Code civil ;

ET ALORS, D'AUTRE PART, QUE pour dire le licenciement de l'intéressée sans cause réelle et sérieuse, la Cour d'appel a constaté que le contrat de travail transféré avait été modifié le 14 novembre 2002 par un avenant aux termes desquels « dans le cadre de l'évolution de votre situation professionnelle, ou de la préservation de votre emploi, vous pourrez être affectée dans l'un ou l'autre des établissements que le groupe possède ou pourrait détenir dans la même agglomération, ou dans les localités limitrophes » et en a déduit que Madame X... ne pouvait dès lors être affectée que dans une structure située soit à CHATOU soit dans les localités limitrophes, sans distinguer selon la durée de l'affectation en question ; qu'en statuant ainsi, cependant que la clause visait les hypothèses d'évolution de la situation professionnelle de l'intéressée ou de la préservation de son emploi, ce dont il ressortait clairement et nécessairement, comme le soutenait l'exposante dans ses conclusions, qu'elle ne s'appliquait qu'à des affectations définitives et non à des affectations provisoires, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

ALORS QU'EN TOUTE HYPOTHESE, le déplacement occasionnel du salarié ne constitue pas une modification de son contrat de travail dès lors qu'il est justifié par l'intérêt de l'entreprise, au regard des fonctions exercées par le salarié ; qu'une clause délimitant les zones au sein desquelles le salarié peut être amené à travailler n'empêche donc pas l'employeur d'user de son pouvoir de direction en affectant temporairement ledit salarié hors de ces zones, dès lors que cette affectation est justifiée par l'intérêt de l'entreprise ; qu'en ne recherchant pas si la décision de faire travailler Madame X... de façon provisoire au sein d'un magasin situé à SAINT-DENIS était justifié par l'intérêt de l'entreprise, notamment en raison de l'impossibilité d'affecter les salariés au magasin de CHATOU durant les travaux qui y intervenaient et de l'objectif de formation sur les techniques de vente de l'enseigne LEADER PRICE, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 121-1, alinéa premier, du Code du travail, devenu l'article L. 1221-1 et l'article 1134 du Code civil.

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