Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 19 janvier 2010, 08-21.476, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre commerciale
- N° de pourvoi : 08-21.476
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
- Président
- Mme Favre
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que dans le cadre d'une vérification de comptabilité de la société Montpellier sport (la société) portant sur la période du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2002, le conseil des époux X...- Y..., associés de cette société, a indiqué, dans un courrier adressé à l'administration fiscale, que les actions détenues dans cette société par ces derniers provenaient de donations effectuées par leurs parents respectifs consenties en mars 2000 ; qu'en novembre 2003 et janvier 2004, l'administration fiscale a mis en demeure les époux X...- Y... de déposer la déclaration de dons manuels révélés par ce courrier ; qu'en l'absence de réponse dans le délai légal, l'administration fiscale, recourant à la procédure de taxation, leur a adressé le 16 février 2004 des notifications de redressement suivies d'avis de mise en recouvrement des droits de mutation ; que leur réclamation ayant été rejetée, les époux X...- Y... ont assigné la direction générale des impôts en décharge de ces impositions ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les époux X...- Y... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leurs demandes, alors, selon le moyen :
1° / qu'est sujet au droit de donation, la révélation par le donataire lui-même et lui seul d'un don manuel à l'administration fiscale ; que la lettre du 10 octobre 2003 par laquelle il est fait état de dons manuels n'émanait pas de M. et Mme X..., mais était signée de leur conseil, de sorte qu'en estimant néanmoins qu'une telle lettre valait révélation par les donataires de dons manuels à l'administration fiscale, la cour d'appel viole l'article 757 du code général des impôts ;
2° / qu'en toute hypothèse, hormis le cas où l'avocat est investi par son client d'un mandat de représentation en justice, il n'est pas présumé dans ses rapports avec les tiers représenter son client et ne peut l'engager qu'en vertu d'un pouvoir spécial ; qu'en affirmant dès lors que les époux X... avaient mandaté leur avocat sans pour autant constater l'existence d'un pouvoir spécial qui ne résultait pas du courrier du 10 octobre 2003- quand ce dernier n'intervenait qu'à titre de conseil à l'occasion d'une procédure de redressement non contentieuse, la cour d'appel prive son arrêt de base légale au regard de l'article 1987 et 1988 du code civil, ensemble des articles 4 et 6 de la loi du 31 décembre 1971 ;
3° / que manque à l'obligation de loyauté et viole l'article 10 du code civil l'administration fiscale qui tire profit de la correspondance du conseil du contribuable à l'occasion d'un contentieux fiscal déterminé pour notifier un redressement en matière de droit d'enregistrement sur le fondement de dispositions fiscales différentes ;
Mais attendu en premier lieu, qu'ayant énoncé que l'article 757 du code général des impôts prévoit que les actes renfermant, soit la déclaration par le donataire ou ses représentants, soit la reconnaissance judiciaire d'un don manuel sont sujets au droit de donation et que la même règle s'applique lorsque le donataire révèle un don manuel à l'administration fiscale, la cour d'appel, dès lors que la possibilité pour un avocat de représenter un contribuable au cours de la procédure d'imposition n'est subordonnée à la justification du mandat qu'il a reçu, a décidé, à bon droit, que le courrier de ce dernier valait révélation au sens de cet article ;
Attendu en second lieu, que les époux X...- Y... ne se sont pas prévalus, devant la cour d'appel, d'un manquement par l'administration fiscale à son obligation de loyauté en utilisant la correspondance de leur conseil à l'occasion d'un contentieux fiscal ; que le grief tel que formulé par la troisième branche, est donc nouveau, et mélangé de fait et de droit ;
D'où il suit qu'irrecevable en sa troisième branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le second moyen :
Après avertissement délivré aux parties ;
Vu l'article 1728 1 du code général des impôts ;
Attendu que, selon ce texte dans sa version en vigueur à l'époque des faits, lorsqu'une personne physique ou morale, ou une association tenue de souscrire une déclaration ou de présenter un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation d'un des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes établis ou recouvrés par la direction générale des impôts s'abstient de souscrire cette déclaration ou de présenter un acte dans les délais, le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 et d'une majoration de 10 % ; que la majoration visée au 1 est portée à 40 % lorsque le document a été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure notifiée par pli recommandé d'avoir à le produire dans ce délai et à 80 % lorsque le document n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une deuxième mise en demeure notifiée dans les mêmes formes que la première ;
Attendu que pour rejeter la demande des époux X...- Y... tendant à l'annulation de la pénalité de 80 %, l'arrêt retient que les parties aux donations ont pris soin d'agir de façon croisée afin d'éluder sciemment l'impôt, caractérisant ainsi leur mauvaise foi ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les majorations prévues à l'article 1728 1 ancien du CGI, applicable en l'espèce, ne sont pas des pénalités de mauvaise foi, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, le texte sus visé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes des époux X...- Y... portant sur la pénalité de 80 %, l'arrêt rendu le 7 octobre 2008 entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée ;
Condamne le directeur général des finances publiques aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé et signé par Mme Tric, conseiller doyen, en l'audience publique du dix-neuf janvier deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Blondel, avocat aux Conseils pour les époux X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Philippe X... et son épouse, Claire X..., née Y..., de leurs demandes et confirmé en conséquence, dans leur intégralité, les décisions de rejet de l'administration fiscale datées du 11 octobre 2004 et, subséquemment, les avis de mise en recouvrement numéros 3400402 2 07080 et 3400402 2 0779 adressé à Philippe et à Claire X... le 24 mai 2004 ;
AUX MOTIFS QUE l'article 757 du Code Général des Impôts dispose que les actes renfermant, soit la déclaration par le donataire ou ses représentants, soit la reconnaissance judiciaire d'un don manuel, sont sujets au droit de donation ; que la même règle s'applique lorsque le donataire révèle un don manuel à l'administration fiscale ; que le conseil des époux X... a adressé, le 10 octobre 2003, à l'administration fiscale, en réponse à une notification de taxation au titre de la plus-value de cession de leurs droits sociaux, un courrier rédigé en ces termes : « la seconde catégorie d'actions cédées provient de : donation effectuées par Monsieur Henri X... et Madame Marie-Paule X... pour 500 actions au profit de Madame Claire X... pour une valeur de 600. 000 francs, donation effectuée de la part de Monsieur et Madame Y... pour 751 actions au profit de Monsieur Philippe X... pour une valeur de 901. 200. 00 francs ; ces donations ont été réalisées le 10 mars 2000 et ont été dûment enregistrées auprès des services compétents ; à toutes fins utiles, nous vous transmettons copie des ordres de mouvements qui ont été établis, matérialisant les donations » ; que les époux X... estiment que ce courrier n'emporte pas révélation de leur part, en leur qualité de donataires, des dons manuels dont ils ont bénéficié le 10 mars 2000, alors que l'administration soutient le contraire ; que le fait que cette constitue une réponse à une notification de taxation est inopérant ; qu'il faut et il suffit que la révélation soit contenue dans un acte écrit du donataire ; qu'il importe peu que la révélation soit spontanée, fortuite ou provoquée ; que sa cause est indifférente dès lors qu'elle st obtenue loyalement et elle peut découler d'une démarche volontaire ou d'un acte imposé au contribuable par la loi ; que le fait que cette correspondance évoque des donations sans faire état, à aucun moment, de dons manuels, est également sans effet, cette qualification résultant nécessairement des éléments de fait portés à la connaissance de l'administration ; que s'il est vrai, enfin, que la révélation doit émaner du donataire lui-même, les époux X... ne peuvent se retrancher derrière le fait que le courrier a été rédigé par leur conseil, et donc que la condition tenant à l'origine de la révélation n'est pas remplie ; qu'ils ont, en effet, mandaté leur avocat et celui-ci les a donc valablement représentés ;
ET AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES QUE pour être efficiente, la révélation doit procéder de tout acte, établi par le donataire ou pour son compte, mentionnant sans ambiguïté l'existence de ce don, peu important que la production de cet acte soit spontanée, fortuite ou provoquée ; qu'au cas présent, dans le courrier adressé à l'administration fiscale le 10 octobre 2003, en réponse à une notification de redressements du 12 septembre 2003, le conseil de Monsieur et Madame X... écrit : " La seconde catégorie d'actions cédées provient de : donations effectuées par Monsieur Henri X... et Madame Marie-Paule X... pour 500 actions au profit de Madame Claire X... pour une valeur de 600. 000 francs et de donations effectuées de la part de Monsieur et Madame Y... pour 751 actions au profit de Monsieur Philippe X... pour une valeur de 901. 200 francs ; ces donations ont été réalisées le 10 mars 2000 et ont été dûment enregistrées auprès des services compétents " ; que ce courrier emporte donc bien révélation par les donataires des dons manuels reçus ; qu'il est sans effet que ce courrier ne contienne pas formellement l'expression " don manuel ", cette qualification juridique résultant nécessairement des éléments de faits portés à la connaissance de l'administration fiscale ; que de même, les époux X... ne peuvent sérieusement contester être les auteurs de cette révélation, au sens des dispositions de l'article 757 du code général des impôts, au seul motif que cet écrit émanerait de leur avocat-conseil ; qu'en effet, ce mandataire investi par les articles 4 et 6 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 d'un pouvoir général de représentation, est intervenu en défense de leurs intérêts, comme le confirme la première phrase de son courrier du 10 octobre 2003, ainsi libellée : " En réponse à votre notification de redressement du 12 septembre 2003 adressée à nos clients Monsieur et Madame X..., nous vous faisons parvenir par la présente nos observations " ; que de manière surabondante, le tribunal observe que les époux X... ne peuvent tout à la fois prétendre échapper à une taxation au titre de la plus-value de cession de leurs droits sociaux, en invoquant un prix de revient de leurs titres égal à leur valeur de donation, et en même temps éviter la soumission aux droits de mutation à titre gratuit de la donation de ces titres ; que de même, s'il est vrai que les dons manuels non soumis aux droits de mutation en application des dispositions de l'article 757 sont en principe imposables au décès du donateur, en vertu de l'obligation générale de rapport des donations entre successibles, le tribunal note qu'au cas présent, opportunément, les dons manuels litigieux sont intervenus de manière croisée ;
ALORS QUE, D'UNE PART, est sujet au droit de donation, la révélation par le donataire lui-même et lui seul d'un don manuel à l'administration fiscale ; que la lettre du 10 octobre 2003 par laquelle il est fait état de dons manuels n'émanait pas de M. et Mme X..., mais était signée de leur conseil, de sorte qu'en estimant néanmoins qu'une telle lettre valait révélation par les donataires de dons manuels à l'administration fiscale, la Cour d'appel viole l'article 757 du Code générale des impôts ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, en toute hypothèse, hormis le cas où l'avocat est investi par son client d'un mandat de représentation en justice, il n'est pas présumé dans ses rapports avec les tiers représenter son client et ne peut l'engager qu'en vertu d'un pouvoir spécial ; qu'en affirmant dès lors que les époux X... avaient mandaté leur avocat sans pour autant constater l'existence d'un pouvoir spécial qui ne résultait pas du courrier du 10 octobre 2003 quand ce dernier n'intervenait qu'à titre de conseil à l'occasion d'une procédure de redressement non contentieuse, la Cour d'appel prive son arrêt de base légale au regard de l'article 1987 et 1988 du Code civil, ensemble des articles 4 et 6 de la loi du 31 décembre 1971 ;
ALORS QUE, DE DERNIERE PART, manque à l'obligation de loyauté et viole l'article 10 du Code civil l'administration fiscale qui tire profit de la correspondance du conseil du contribuable à l'occasion d'un contentieux fiscal déterminé pour notifier un redressement en matière de droit d'enregistrement sur le fondement de dispositions fiscales différentes.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Philippe X... et son épouse, Claire X..., née Y..., de leur demande tendant à l'annulation des pénalités de mauvaise fois appliquées ;
AUX MOTIFS QUE s'il est constant que les donas manuels, en dehors des cas prévus à l'article 657 du Code général des impôts, sont susceptibles d'être soumis au droit de donation, à l'occasion d'une donation postérieure constatée par un acte et intervenue entre les mêmes personnes, ainsi que lors du décès du donateur, si le donataire figure parmi les successibles, et ce par application de la règle du rapport fiscal des donations antérieures, il doit être observé, en l'espèce, que les parties aux donations ont pris soin d'agir de façon croisée, les époux Henri X...- Z... consentant une donation à leur belle-fille, claire Y... épouse de Philippe X..., et les époux Jacques Y... A... procédant de même envers leur gendre Philippe X... ; que le volonté des époux X... d'éluder sciemment le paiement de l'impôt étant caractérisé, leur demande tendant à l'annulation des pénalités de mauvaise foi doit être rejetée ;
ALORS QUE, D'UNE PART, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que dans ses conclusions d'appel, l'administration fiscale n'opposait aucun moyen à la demande subsidiaire des époux X... tendant à l'annulation des pénalités de mauvaise foi, de sorte qu'en relevant un moyen non invoqué par l'administration pour justifier les pénalités au titre d'une mauvaise foi du redevable de l'impôt, la Cour d'appel viole l'article 4 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, le juge doit en toute circonstance observer la contradiction ; qu'en se fondant d'office sur le moyen tiré de donation croisées pour établir la mauvaise foi des redevables de l'impôt, la Cour d'appel viole l'article 16 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
ALORS QUE, DE DERNIÈRE PART, la bonne foi est toujours présumée et aucune disposition légale n'interdisant de procéder à des dons croisées dont la révélation à l'administration par le donataire n'est pas une obligation, la Cour d'appel ne caractérise pas à l'aide de ces seules constatations la volonté des époux X... d'éluder le payement de l'impôt, ce qu'ils contestaient précisément, et prive de ce fait son arrêt de base légale au regard de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales.