Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 10 novembre 2009, 08-18.337, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 mai 2008), que la société Legal Le Goût, aux droits de laquelle vient la société Legal (la société Legal), dont l'activité consiste à torréfier du café et à le vendre sous sa propre marque ou celle de distributeurs, a noué, en 1985, des relations commerciales avec le groupe Carrefour et sa centrale d'achat et de référencement, la société Interdis ; que, par lettre du 12 mars 2007, la société Interdis a notifié à la société Legal sa décision de mettre fin à leurs relations commerciales, en procédant à un déférencement de la totalité des produits de la marque Legal, et ce dans un délai de six mois ; qu'après l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à son endroit, cette dernière a assigné en référé les sociétés Carrefour hypermarchés et Interdis afin d'obtenir une prolongation de la durée du préavis de rupture et la poursuite des relations commerciales ;

Attendu que les sociétés Carrefour hypermarchés et Interdis font grief à l'arrêt d'avoir confirmé l'ordonnance de référé rendue le 24 septembre 2007 par le tribunal de commerce, en ce qu'il avait ordonné à la société Interdis de poursuivre ses achats de café "Legal" au rythme mensuel moyen de 2006 750 t/an et dans des conditions globales de prix au moins équivalentes, et ce jusqu'au 1er juillet 2008, sauf décision contraire du juge du fond dans l'intervalle ou accord différent des parties, alors, selon le moyen :

1°/ que le juge des référés commerciaux, qui dispose du pouvoir d'ordonner toute mesure conservatoire ou de remise en état qui s'impose, même en présence d'une contestation sérieuse, et qui peut ordonner la cessation de pratiques discriminatoires ou abusives ou toute autre mesure provisoire, n'a pas la faculté de trancher le fond du litige, en aucun de ses éléments ; qu'en l'espèce, pour décider, après que la rupture des relations contractuelles est intervenue le 15 septembre 2007 à l'issue d'un préavis de 6 mois, conformément aux dispositions contractuelles, que ce contrat devait se poursuivre jusqu'au 1er juillet 2008, la cour a retenu "qu'en droit engage sa responsabilité le commerçant qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et en respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, etc.", et que "la brutalité de la rupture s'entend, notamment, de l'insuffisance du préavis donné" ; qu'en se déterminant ainsi, sur le terrain des principes relatifs à la responsabilité contractuelle, et en remettant en cause l'application convenue par les parties du délai de préavis, pour le prolonger au-delà de la durée du contrat arrivé à son terme, la cour, qui s'est prononcée ainsi, comme juge de référé, sur le fond du droit, a violé les articles 873 du code de procédure civile et L. 442-6-IV du code de commerce ;

2°/ que, par motifs adoptés, la cour a retenu "qu'une société la société Legal ne peut faire prendre en charge à une autre la société Carrefour ou Interdis les délais éventuellement requis par le redressement d'une situation compromise antérieurement aux faits de la cause" ; qu'elle a pourtant décidé de prolonger le délai de préavis conventionnellement arrivé à son terme, jusqu'à la date du 1er juillet 2008 ; que cette date a été retenue par le juge des référés parce qu'elle était le terme de la période (prolongée) d'observation, telle qu'elle a été prévue par le tribunal de commerce de Paris, dans son jugement du 2 juillet 2007 (ordonnance, p. 8, in fine) ; qu'ainsi la cour a décidé de "prolonger" le délai de préavis, pourtant conventionnellement arrivé à son terme, dans le but d'accompagner le redressement financier de la société Legal, dont la situation était pourtant compromise antérieurement aux faits de la cause, ce qui n'est pas la vocation d'une mesure de référé, ni celle de la société Carrefour ou de la société Interdis ; qu'en se déterminant dès lors ainsi, la cour, qui n'a pas tiré les conséquences légales du principe qu'elle a elle-même posé, par adoption de motifs, et qui a détourné la procédure de référé de son objet, a violé les articles 873 du code de procédure civile et L. 442-6-IV du code de commerce ;

3°/ qu'il appartient aux parties à une convention de déterminer le prix et l'objet de cette dernière, selon les modalités qu'elles décident d'arrêter dans le cadre des lois ; que la société Interdis ne s'est jamais engagée vis-à-vis de la société Legal sur les quantités de marchandises devant être commandées par les enseignes du groupe Carrefour, n'ayant nulle possibilité de le faire puisqu'elle n'était chargée que du seul référencement des produits ; qu'en décidant dès lors, par motifs propres et adoptés, pour justifier la prolongation du préavis conventionnellement arrivé à son terme et la cessation du trouble retenu, que les sociétés Carrefour et Interdis devaient être condamnées à poursuivre les relations commerciales selon des volumes pré-définis et à des conditions globales de prix au moins équivalentes, la cour, outrepassant ses pouvoirs, a violé les articles 1134 du code civil, 873 du code de procédure civile et L. 442-6-IV du code de commerce ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcée sur la responsabilité contractuelle, mais sur le caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies, n'a fait qu'user des pouvoirs que lui confèrent les articles L. 442-6-IV du code de commerce et 873 du code de procédure civile en ordonnant la poursuite des relations commerciales entre les parties jusqu'au 1er juillet 2008, selon des modalités équivalentes à celles ayant été suivies en 2006, après avoir retenu que la rupture litigieuse constituait un trouble manifestement illicite et était de nature à causer à la société Legal un dommage imminent et relevé que la société Legal avait fait état de la diminution significative de commandes pendant la durée du préavis initial ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Carrefour hypermarchés et Interdis aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à la société Legal la somme globale de 2 500 euros et rejette leur demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix novembre deux mille neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Odent, avocat aux Conseils, pour la société Carrefour Hypermarchés et autre

Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé l'ordonnance de référé rendue le 24 septembre 2007 par le tribunal de commerce de Nanterre, en ce qu'il avait ordonné à la société INTERDIS de poursuivre ses achats de café "Legal" au rythme mensuel moyen de 2006 750 t/an et dans des conditions globales de prix au moins équivalentes, et ce jusqu'au 1er juillet 2008, sauf décision contraire du juge du fond dans l'intervalle ou accord différent des parties ;

AUX MOTIFS ADOPTES QUE le délai de trois ans sollicité par LEGAL n'est pas justifié par cette dernière et excède largement ceux habituellement octroyés en pareil cas, même en tenant compte du contexte ; que LEGAL ne saurait faire prendre en charge par CARREFOUR les délais éventuellement requis par le redressement d'une situation compromise antérieurement aux faits de la cause ; qu'il n'est pas contesté que le préavis initial n'a pas été respecté, les commandes ayant été réduites de moitié par rapport à 2006 sur la période considérée et cette réduction ayant commencé dès le premier mois d'application dudit préavis (Avril 2007) ;

ET AUX MOTIFS PROPRE QUE le 12 mars 2007, la société INTERDIS a mis fin aux relations commerciales qu'elle entretenait avec la société LEGAL, concernant les produits de marque LEGAL, avec un préavis de six mois ; qu'en droit, engage sa responsabilité le commerçant qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et en respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, etc. ; que la brutalité de la rupture s'entend, notamment, de l'insuffisance du préavis donné et que, pour déterminer si une relation commerciale est "établie", il y a lieu de tenir compte de la durée des relations entre les partenaires et la continuité de celles-ci ; que si un préavis de six mois est insuffisant pour faire cesser le trouble manifestement illicite et prévenir un dommage imminent, il ne peut être, pour autant être fait droit à la demande de la société LEGAL ; qu'en le prolongeant jusqu'au 1er juillet 2008, le premier juge a fait une juste appréciation de la durée du délai raisonnable à accorder à cette dernière ; que les sociétés CARREFOUR et INTERDIS font encore grief à l'ordonnance entreprise d'avoir imposé la poursuite des relations commerciales à des conditions de volume et de prix fixés par le juge des référés lui-même et soutiennent qu'en ordonnant la poursuite des relations commerciales selon des volumes prédéfinis et à des « conditions globales de prix au moins équivalentes », le juge n'a pas pris une mesure conservatoire, puisqu'il a mis à leur charge des obligations nouvelles vis-à-vis de la société LEGAL, alors qu'il n'en a pas le pouvoir ; que cependant cette thèse ne peut être suivie ; qu'en prévoyant la poursuite des relations selon des volumes et des prix en vigueur pendant le cours d'exécution du contrat, le juge des référés n'a pas mis à la charge des appelantes des obligations nouvelles, il a simplement imposé les conditions permettant d'assurer la cessation effective du trouble manifestement illicite pendant la durée du préavis, la société LEGAL ayant fait état de la diminution significative des commandes pendant le préavis ; qu'il n'a donc aucunement outrepassé ses pouvoirs ;

1°/ ALORS QUE le juge des référés commerciaux, qui dispose du pouvoir d'ordonner toute mesure conservatoire ou de remise en état qui s'impose, même en présence d'une contestation sérieuse, et qui peut ordonner la cessation de pratiques discriminatoires ou abusives ou toute autre mesure provisoire, n'a pas la faculté de trancher le fond du litige, en aucun de ses éléments ; qu'en l'espèce, pour décider, après que la rupture des relations contractuelles est intervenue le 15 septembre 2007 à l'issue d'un préavis de 6 mois, conformément aux dispositions contractuelles, que ce contrat devait se poursuivre jusqu'au 1er juillet 2008, la cour a retenu « qu'en droit engage sa responsabilité le commerçant qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et en respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, etc. », et que « la brutalité de la rupture s'entend, notamment, de l'insuffisance du préavis donné » ; qu'en se déterminant ainsi, sur le terrain des principes relatifs à la responsabilité contractuelle, et en remettant en cause l'application convenue par les parties du délai de préavis, pour le prolonger au-delà de la durée du contrat arrivé à son terme, la cour, qui s'est prononcée ainsi, comme juge de référé, sur le fond du droit, a violé les articles 873 du code de procédure civile et L. 442-6-IV du code de commerce ;

2°/ ALORS QUE, par motifs adoptés, la cour a retenu « qu'une société la société LEGAL ne peut faire prendre en charge à une autre la société CARREFOUR ou INTERDIS les délais éventuellement requis par le redressement d'une situation compromise antérieurement aux faits de la cause » ; qu'elle a pourtant décidé de prolonger le délai de préavis conventionnellement arrivé à son terme, jusqu'à la date du 1er juillet 2008 ;
que cette date a été retenue par le juge des référés parce qu'elle était le terme de la période (prolongée) d'observation, telle qu'elle a été prévue par le tribunal de commerce de Paris, dans son jugement du 2 juillet 2007 (ordonnance, p.8, in fine) ; qu'ainsi la cour a décidé de "prolonger" le délai de préavis, pourtant conventionnellement arrivé à son terme, dans le but d'accompagner le redressement financier de la société LEGAL, dont la situation était pourtant compromise antérieurement aux faits de la cause, ce qui n'est la vocation d'une mesure de référé, ni celle de la société CARREFOUR ou de la société INTERDIS ; qu'en se déterminant dès lors ainsi, la cour, qui n'a pas tiré les conséquences légales du principe qu'elle a elle-même posé, par adoption de motifs, et qui a détourné la procédure de référé de son objet, a violé les articles 873 du code de procédure civile et L. 442-6-IV du code de commerce ;

3° ALORS QU'il appartient aux parties à une convention de déterminer le prix et l'objet de cette dernière, selon les modalités qu'elles décident d'arrêter dans le cadre des lois ; que la société INTERDIS ne s'est jamais engagée vis-à-vis de la société LEGAL sur les quantités de marchandises devant être commandées par les enseignes du groupe CARREFOUR, n'ayant nulle possibilité de le faire puisqu'elle n'était chargée que du seul référencement des produits ; qu'en décidant dès lors, par motifs propres et adoptés, pour justifier la prolongation du préavis conventionnellement arrivé à son terme et la cessation du trouble retenu, que les sociétés CARREFOUR et INTERDIS devaient être condamnées à poursuivre les relations commerciales selon des volumes prédéfinis et à des conditions globales de prix au moins équivalentes, la cour, outrepassant ses pouvoirs, a violé les articles 1134 du code civil, 873 du code de procédure civile et L.442-6-IV du code de commerce.

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