Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 24 septembre 2009, 08-16.305, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Donne acte aux consorts X... Y... du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société RAM ;

Sur le second moyen :

Vu l'article 1382 du code civil, ensemble l'article 1315 du même code ;

Attendu que Mme X..., épouse Y..., atteinte d'un adénocarcinome à cellulaires claires du col utérin qu'elle imputait à la prise, par sa propre mère, durant sa grossesse, de l'hormone de synthèse dénommée diéthylstilbestrol (DES), a assigné la société UCB pharma et la société Novartis santé familiale, toutes deux fabricantes de la même molécule distribuée sous deux appellations différentes ;

Attendu que pour débouter les consorts X... Y... de leur demande en réparation de leurs préjudices dirigée contre les deux laboratoires, l'arrêt retient que le fait que ceux ci aient tous deux mis sur le marché la molécule à l'origine du dommage, fait non contesté, ne peut fonder une action collective, ce fait n'étant pas en relation directe avec le dommage subi par Mme Y..., et qu'aucun élément de preuve n'établissait l'administration à celle ci du distilbène (R) fabriqué par la société UCB pharma ni du Stilboestrol Borne fabriqué par la société Novartis santé familiale ;

Qu'en se déterminant ainsi, après avoir constaté que le DES avait bien été la cause directe de la pathologie tumorale, partant que Mme Y... avait été exposée in utero à la molécule litigieuse, de sorte qu'il appartenait alors à chacun des laboratoires de prouver que son produit n'était pas à l'origine du dommage, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 avril 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société UCB pharma et la société Novartis santé familiale aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne, ensemble, la société UCB pharma et la société Novartis santé familiale à payer aux consorts X... Y... la somme de 3 500 euros ; rejette la demande de la société Novartis santé familiale ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;



Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille neuf.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils, pour les consorts X... Y....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté une victime du diéthylstilboestrol (Mme Marie-Elise X... épouse Y..., exposante) ainsi que certains membres de sa famille (les consorts X... et Y..., également exposants) de leur demande en réparation de leurs préjudices par le laboratoire (la société UCB PHARMA) ayant commercialisé cette molécule sous le nom de distilbène ;

AUX MOTIFS QUE la preuve du rôle causal de la molécule DES dans la pathologie de Mme Marie-Elise X...- Y... pouvait valablement résulter des analyses et avis du collège expertal qui avait affirmé de façon formelle que le DES était la cause directe de la pathologie tumorale ; qu'il restait en conséquence à Mme Marie-Elise X... Y... à démontrer qu'elle avait été exposée au distilbène, produit fabriqué par la société UCB PHARMA dont elle recherchait à titre principal la responsabilité ; que s'agissant d'un fait juridique, la preuve en était libre ; que le dossier médical de Mme A... épouse X... n'ayant pas été retrouvé près de quarante ans après les faits, aucun certificat médical de prescription n'avait été produit ; qu'en effet, en réponse à la demande du conseil de sa fille, Mme A... épouse X... avait indiqué qu'il lui était impossible de fournir son dossier gynécologique du fait du décès du docteur B... et qu'elle n'avait gardé aucune ordonnance du médecin ; que bien qu'ayant adressé le 8 mars 2004 une lettre à la pharmacie MAIREY-LORETZ à LUXEUIL LES BAINS, Mme Marie Elise Y... ne produisait aucun justificatif de prescription de distilbène durant la grossesse dont elle était issue ; qu'elle ne pouvait utilement se prévaloir de la copie de son carnet de santé rédigé par sa mère et n'ayant en conséquence pas de force probante ; que Mme Marie Elise X...- Y... se référait à deux attestations rédigées par sa mère, l'une datée du 18 février 2003, soit dans les six mois précédents l'assignation, la seconde établie le 20 janvier 2004, soit en cours de procédure ; qu'il convenait d'estimer que ces deux documents étaient à eux seuls d'une faible force probante dès lors qu'ils émanaient de la propre mère de Mme Marie-Elise X... Y..., qui, de surcroît, était elle même partie à la procédure, et en raison de leurs dates de rédaction par rapport à la procédure en cours ; que Mme Marie-Elise X...- Y... se fondait ensuite sur deux attestations établies par le docteur C..., l'une datant du 15 avril 2007, soit postérieurement au prononcé du jugement, selon laquelle ce praticien certifiait que, depuis sa première consultation en 1980, Mme Raymonde A... épouse X... lui avait déclaré avoir pris du distilbène pendant la grossesse de sa fille Marie-Elise, la seconde établie le 15 janvier 2008, soit l'avant-veille du prononcé de l'ordonnance de clôture, document reprenant les mêmes termes et ajoutant : « prescription que son médecin traitant m'a confirmée par la suite » ; qu'il convenait d'estimer que ces attestations, qui ne faisaient que reprendre les propos de Mme Raymonde A... épouse X... tenus une quinzaine d'années après sa grossesse, et qui n'émanaient pas du médecin prescripteur, étaient dépourvues de force probante ; que, s'agissant plus précisément de la seconde attestation, il convenait de relever, outre l'interrogation soulevée par sa particulière tardiveté, que la circonstance selon laquelle le docteur C... ajoutait que les dires de Mme Raymonde A... épouse X... lui avaient été confirmés par le médecin traitant de cette dernière ne permettait pas davantage d'établir la réalité de la prescription du produit incriminé au cours de sa grossesse, dès lors que, en l'absence de précision du nom du médecin traitant, il pouvait s'agir d'un médecin généraliste devant lequel Mme Raymonde A... épouse X... aurait elle-même fait état de cette prescription et que, de plus, cet ajout ne précisait en aucun cas qu'il s'agissait du médecin gynécologue ayant suivi Mme Raymonde A... épouse X... durant sa grossesse ; que Mme Marie Elise X...- Y... versait également un document émanant du docteur D..., gynécologue obstétricien, lequel déclarait avoir suivi en 1986 Mme Marie-Elise X... Y... et l'avoir opérée d'un adénocarcinome à cellules claires et ajoutait : « cette pathologie, découverte chez une jeune femme de 21 ans, est une pathologie iatrogène. Elle est liée à la prise de distilbène que la mère avait absorbé dans les premiers mois de gestation de Marie-Elise. Toute cette partie des antécédents de la mère avait été documenté par le docteur E... qui m'avait confié cette patiente en m'expliquant ses antécédents » ; qu'aux termes d'un autre écrit du 5 janvier 2008, ce médecin déclarait n'avoir eu connaissance d'aucun générique du distilbène dans sa pratique professionnelle et l'enseignement qu'il avait pu recevoir au niveau de la faculté de Strasbourg puis de Besançon ; que les seules prescriptions et explications faites concernaient le distilbène et qu'il n'avait découvert l'autre générique de l'époque que lorsque l'avocat de Mme X... avait pris contact avec lui ; qu'il convenait d'estimer que ces éléments qui se référaient aux dires du docteur E..., fondés sur les propres assertions de Mme Raymonde A... épouse X..., non contemporaines de sa grossesse, et qui n'émanaient pas du médecin prescripteur, étaient dépourvus de force probante ; que le dossier de suivi médical de Mme Marie Elise X...- Y... faisait mention à plusieurs reprises de son exposition in utero au distilbène ; que l'analyse de ces documents démontrait qu'ils ne s'étaient fondés sur aucune source contemporaine de la grossesse de Mme Raymonde A... épouse X..., mais sur les seuls propos tenus par cette dernière et rapportés ensuite par le docteur D... dont il n'était pas contesté qu'il ne l'avait pas suivie au cours de cette grossesse ; qu'en conséquence, les éléments contenus dans le dossier médical de Mme Marie-Elise X... étaient dépourvus de toute force probante de son exposition in utero au distilbène ; qu'au surplus, la société UCB PHARMA produisait des éléments de preuve de ce que la marque distilbène, par sa notoriété, était souvent assimilée au terme générique du produit, le diéthylstilboestrol ou DES, et que le terme distilbène était employé même par des spécialistes au sens générique ; que des articles de presse, même spécialisée, faisaient référence au distilbène pour désigner l'un ou l'autre des deux produits, notamment en raison de la position dominante sur le marché de cette hormone, soit entre 80 et 90 %, quand à la même époque les produits des deux laboratoires étaient concurremment commercialisés, de sorte que cette mention n'était pas significative de la marque administrée ; qu'au demeurant, il n'était pas indifférent d'observer que, dans son attestation du 20 janvier 2004, Mme Raymonde A... épouse X... se référait précisément à la lecture d'un article sur le distilbène et les risques occasionnés par ce produit ; qu'il ne pouvait être déduit des observations émises par les experts, sur la base d'éléments que la cour avait écartés comme étant dépourvus de force probante, aucune preuve à l'exposition effective de Mme Marie-Elise X... Y... au distilbène ; que les attestations et pièces versées aux débats ne constituaient donc pas des preuves certaines de l'exposition de Mme X...- Y... au distilbène durant la grossesse de sa mère, ni davantage des présomptions précises et concordantes (arrêt attaqué, p. 8, alinéas 1 à 3 ; pp. 9 à 11 ; p. 12, alinéas 1 et 2) ;

ALORS QUE, d'une part, la preuve des faits juridiques est libre ; qu'en retenant que la preuve d'une exposition in utero au distilbène de la victime ne pouvait être administrée que par des documents médicaux contemporains de la grossesse et émanant du médecin prescripteur, tout en constatant que, quarante ans après l'administration de diéthylstilboestrol, molécule à l'origine de la pathologie tumorale dont elle avait souffert, la victime était dans l'impossibilité de fournir une telle preuve, la cour d'appel a violé les articles 1315 et 1382 du Code civil ;

ALORS QUE, d'autre part, en écartant l'ensemble des éléments produits en preuve de la prescription de distilbène au prétexte qu'ils étaient fondés sur les déclarations de la mère de la victime, partie à la procédure, et non pas sur des documents médicaux contemporains de sa grossesse, tout en relevant que, dès l'année 1980, c'est-à-dire six ans avant toute manifestation d'un adénocarcinome à cellules claires chez sa fille, et vingt-quatre ans avant l'engagement de ladite procédure, c'est-à-dire à une époque où aucune motivation contentieuse ne pouvait l'avoir animée, elle avait indiqué à son médecin gynécologue, lors d'une première consultation, que du distilbène lui avait été administré pendant sa grossesse, la cour d'appel a violé les articles 1315 et 1382 du Code civil ;

ALORS QUE, enfin, en retenant qu'en raison de la position dominante du distilbène sur le marché, le nom de ce médicament était communément employé en lieu et place du terme générique de l'hormone de synthèse, à savoir le diéthylstilboestrol, par ailleurs commercialisé par un autre laboratoire sous le nom de stilboestrol-borne, sans vérifier concrètement que la mère de la victime, à qui des hormones de synthèse avaient été prescrites quotidiennement pendant sept mois, aurait commis une telle confusion, se prononçant ainsi par un motif d'ordre général et abstrait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles susvisés.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté une victime du diéthylstilboestrol (Mme Marie-Elise X... épouse Y..., exposante), ainsi que certains membres de sa famille (les consorts X... et Y..., également exposants) de leur demande en réparation de leurs préjudices par les deux laboratoires (les sociétés UCB PHARMA et NOVARTIS SANTE FAMILIALE) ayant commercialisé cette molécule respectivement sous les noms de distilbène et de stilboestrol-borne ;

AUX MOTIFS QUE la preuve du rôle causal de la molécule DES dans la pathologie de Mme X...- Y... résultait de l'analyse des experts ; que Mme X... Y... soulevait le moyen tiré de la responsabilité solidaire des participants à une action collective ou commune ; qu'elle ne versait aux débats aucun élément de nature à justifier de son exposition in utero au stilboestrol-borne commercialisé par la société NOVARTIS SANTE FAMILIALE ; que, en droit, la notion d'action collective ou commune ne pouvait trouver à s'appliquer que dans les cas où tous les participants avaient commis des fautes indissociables ou des fautes connexes, ou une action concertée, chacun ayant contribué à la réalisation du dommage ; qu'il n'existait aucune présomption de lien de causalité en cette matière ; qu'ainsi, si plusieurs chasseurs avaient pu être reconnus solidairement responsables pour avoir causé un dommage unique dans leur action commune de tir, c'était en raison de l'existence d'une gerbe unique de plombs ayant causé le dommage ; qu'il incombait en conséquence de rechercher la preuve certaine d'une action collective ; qu'il n'était pas fait état par Mme X...- Y... de fautes connexes ou indissociables, ni d'une concertation des laboratoires en relation avec son dommage ; que le fait qu'ils eussent tous deux mis sur le marché la molécule à l'origine du dommage, fait non contesté, ne pouvait en tenir lieu, ce fait n'étant pas en relation directe avec le dommage subi par Mme X...- Y... ; qu'il aurait convenu qu'il fût de plus établi que les molécules DES qu'ils produisaient eussent toutes deux concouru au dommage particulier subi par Mme X...- Y..., c'est-à-dire qu'elles lui avaient été toutes deux administrées, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, aucun élément de preuve d'une administration du produit de la société NOVARTIS SANTE FAMILIALE n'étant versé aux débats, et la cour ayant estimé que les éléments de preuve de l'administration de distilbène de la société UCB PHARMA étaient insuffisants (arrêt attaqué, p. 8, alinéas 1 à 3 ; p. 12, alinéas 3 à 7 ; p. 13) ;

ALORS QU'en écartant la faute collective de deux laboratoires pour la raison que la victime ne rapportait par la preuve que l'un et l'autre des médicaments concurremment commercialisés par ces derniers lui avaient été administrés, tout en constatant qu'ils avaient tous deux mis sur le marché la molécule à l'origine du dommage et que la victime ne parvenait pas à prouver, quarante ans après les faits, lequel des deux médicaments lui avait été effectivement administré, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil.

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