Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 16 septembre 2009, 08-16.238, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Vu les articles 694 et 1315 du code civil ;

Attendu que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix en Provence, 29 janvier 2008), que la SCI Le Saint Benoît (la SCI) a assigné Mme X..., propriétaire de l'immeuble contigu au sien, en interdiction d'utiliser l'escalier et l'entrée de son immeuble ; que Mme X... a invoqué l'existence d'une servitude par destination du père de famille ; qu'à la suite de son décès, ses héritiers ont repris la procédure ;

Attendu que, pour dire que le fonds des consorts X... bénéficie d'une servitude de passage par destination du père de famille sur celui de la SCI, interdire à celle-ci d'entraver leur passage et la condamner à leur payer des dommages-intérêts, l'arrêt retient que les éléments relevés par l'expert judiciaire établissent la volonté du propriétaire originaire du fonds ultérieurement divisé d'assujettir par les aménagements créés le fonds actuellement propriété de la SCI d'une servitude permettant l'accès du fonds actuellement propriété X... et qu'aucune disposition contraire d'un acte de division n'est invoquée pour permettre d'écarter la servitude en cause ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il appartient à celui qui invoque l'existence d'une servitude discontinue constituée par destination du père de famille de produire l'acte par lequel s'est opérée la séparation des deux héritages et d'établir qu'il ne contient aucune disposition contraire à l'existence de cette servitude, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le fonds X... bénéficie d'une servitude de passage par destination du père de famille et en ce qu'il condamne la SCI à payer aux consorts X... des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, lui ordonne de remettre à Mme Renée X..., épouse Y..., ou à toute personne que celle-ci entendra se substituer une clé de la nouvelle serrure de la porte d'entrée de l'immeuble et la condamne à ne pas entraver le passage des héritiers de Mme Z... ou de leurs ayants droits, l'arrêt rendu le 29 janvier 2008, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne les consorts X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des consorts X... et les condamne à payer à la SCI Le Saint Benoît la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize septembre deux mille neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils pour la SCI Le Saint Benoît

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le fonds X... bénéficiait d'une servitude de passage par destination du père de famille et, en conséquence, d'avoir condamné la SCI LE SAINT BENOIT à payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts aux consorts X... et d'avoir ordonné à la SCI LE SAINT BENOIT de ne pas faire entrave à ce droit de passage ;

AUX MOTIFS QUE l'hoirie X... est bien fondée à exciper de l'existence d'une servitude par destination du père de famille, vainement combattue par l'appelante au motif que ne serait pas rapportée ni l'origine de propriété unique ni l'absence de conventions contraires à la servitude ; qu'en l'espèce, le signe apparent de servitude exigé par l'article 694 du Code civil est constitué par l'existence dans l'immeuble de la SCI LE SAINT BENOIT d'un escalier permettant l'accès au moyen d'un palier et d'une porte à l'appartement Z..., situé au deuxième étage ; que l'expert judiciaire a relevé que les deux maisons ont été construites au XVIIIème siècle sur une parcelle unique cadastrée n° 138, la maison la plus ancienne (SCI SAINT BENOIT) comprenant l'escalier ; que l'escalier de la maison Est (SCI SAINT BENOIT) a été construit contre le mur pignon Ouest la séparant de l'actuelle maison Z... ; que le palier du 2ème étage se retourne sur 1, 50 m environ depuis la dernière marche d'escalier jusqu'à la porte de l'appartement Z... ; que l'absence de mention de constitution de servitude alors que les porte d'accès à l'immeuble Ouest (X...) existaient sur les paliers et que les occupants de cette maison utilisaient ce seul passage ne peut s'expliquer que parce qu'à l'origine les immeubles appartenaient vraisemblablement au même propriétaire qui n'avait pas besoin de se constituer à lui-même de servitude de passage ; que du fait des successions et des ventes au cours des siècles, les maisons ont finalement appartenu à des propriétaires différents et les transcriptions des actes notariés se sont faites sans mention de servitude pour l'usage de l'escalier commun qui ne créait aucune difficulté ; qu'il est donc vraisemblable que cette situation étonnante d'un seul escalier desservant les deux maisons résulte du fait de son auteur initial, les propriétaires successifs n'ayant pas été étonnés de cette situation préexistante ce qui conduit l'expert à conclure que " l'auteur commun des parties, certainement au XVIIIème siècle a desservi les appartements de la maison Ouest par l'escalier et le vestibule de la maison Est qu'il avait construite en première " ; que l'ensemble de ces éléments établit bien la volonté du propriétaire originaire d'assujettir par les aménagements ainsi créés le fonds actuellement propriété de la SCI SAINT BENOIT d'une servitude permettant l'accès du fonds actuellement propriété X... ; qu'aucune disposition contraire d'un acte de division n'étant invoquée pour permettre d'écarter la servitude en cause, il convient de faire droit à la demande de l'hoirie X... à cet égard ;

ALORS, D'UNE PART, QUE la constitution d'une servitude par destination du père de famille suppose à l'origine une identité de propriétaire, celui-ci réunissant en une seule main les deux fonds ultérieurement divisés ; qu'en se bornant à relever, sur le fondement du rapport d'expertise judiciaire, qu'il était " vraisemblable " que les deux fonds en cause avaient eu un propriétaire originaire commun (arrêt attaqué, p. 5 § 1), la cour d'appel s'est déterminée par une motivation hypothétique et a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes discontinues, telles les servitudes de passage, lorsqu'existent, lors de la division du fonds, des signes apparents de servitudes et que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien ; qu'il appartient à celui qui se prévaut d'une telle servitude d'en établir les éléments constitutifs ; qu'en estimant qu'il convenait de faire droit à la demande des consorts X... invoquant l'existence de la servitude de passage par destination du père de famille, " aucune disposition contraire d'un acte de division n'étant invoquée pour permettre d'écarter la servitude en cause " (arrêt attaqué, p. 5 § 3), cependant que c'était aux consorts X... qu'il incombait de produire cet acte de division et d'établir qu'il ne contenait aucune disposition contraire à l'existence de la servitude, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315 du Code civil.

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