Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 28 mai 2009, 08-16.829, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 1147 du code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit ;

Attendu que pour l'indemnisation du préjudice corporel, la réparation des postes de préjudice dénommés déficit fonctionnel temporaire et déficit fonctionnel permanent inclut, le premier, pour la période antérieure à la date de consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le second, pour la période postérieure à cette date, les atteintes aux fonctions physiologiques, la perte de la qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales ; qu'il s'ensuit que la réparation d'un poste de préjudice personnel distinct dénommé préjudice d'agrément vise exclusivement à l'indemnisation du préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Cécile X..., épouse Y..., ayant reçu des transfusions de produits sanguins au cours d'une intervention chirurgicale réalisée le 16 octobre 1984, a été déclarée atteinte du virus de l'hépatite C en septembre 1996 ; qu'à la suite d'une expertise médicale ordonnée en référé, M. et Mme Y... et leurs enfants ont assigné en responsabilité et indemnisation l'Etablissement français du sang (EFS), venant aux droits de l'Etablissement de transfusion sanguine de Strasbourg et son assureur, la société Axa assurances (l'assureur), en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de Haguenau (la caisse) ; que par jugement du 24 septembre 2001, l'EFS a été déclaré responsable de la contamination et condamné à verser des indemnités à Mme Y... au titre du préjudice spécifique de contamination et aux consorts Y... au titre de leurs préjudices moraux, en ordonnant, avant dire droit sur les autres préjudices de Mme Y..., une expertise complémentaire ; qu'un jugement du 15 décembre 2003 a fixé le préjudice soumis à recours et le préjudice personnel de Mme Y... et a condamné in solidum l'EFS et l'assureur à payer des sommes à celle-ci et à la caisse ; que Cécile Y... est décédée le 19 février 2004 ;

Attendu que pour condamner l'EFS, sous la garantie de l'assureur, à payer à M. Y... pris en qualité d'héritier de Cécile Y... la somme de 92 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2001, l'arrêt, après avoir évalué à 50 000 euros l'indemnité réparant le préjudice spécifique de contamination, énonce que Cécile Y... avait cessé son activité professionnelle en 1989, à l'âge de 57 ans, en raison de l'évolution de son lymphosarcome opéré et non du fait de sa cytolyse hépatique à l'époque encore qualifiée de modérée ; que les périodes d'incapacité de travail retenues par l'expert à partir d'octobre 1996 sont donc restées sans incidence professionnelle et ne se sont manifestées que dans la gêne éprouvée par la victime dans les différentes activités de la vie quotidienne ; qu'en l'absence de consolidation acquise en mars 2002, ces périodes d'incapacité se sont étendues jusqu'au décès ; qu'il y a lieu de globaliser les montants réclamés au titre des incapacités temporaire et permanente et d'indemniser ce préjudice par un montant de 35 000 euros ; que l'expert indique que Cécile Y... a été, à la suite de l'aggravation de sa maladie hépatique entraînant une grande asthénie, dans l'impossibilité de s'adonner à ses activités de loisirs antérieures et même de s'occuper de ses petits-enfants et qu'elle s'est trouvée confinée à son domicile devant la télévision ; que ce préjudice d'agrément doit être évalué à 7 000 euros ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le dommage réparé au titre du préjudice d'agrément se rattachait à la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante prise en compte dans l'indemnisation de " l'incapacité temporaire totale ou partielle " désormais comprise dans le poste de préjudice dénommé " déficit fonctionnel temporaire ", la cour d'appel, qui a indemnisé deux fois le même préjudice, a violé le texte et le principe susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne l'Etablissement français du sang in solidum avec la société Axa France IARD, dans la limite de sa garantie, à payer à M. Charles Y..., en sa qualité d'héritier de Cécile Y..., la somme de 92 000 euros, en deniers ou quittances, avec intérêts de droit à compter du jugement du 24 septembre 2001 outre une indemnité de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, l'arrêt rendu le 4 avril 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des consorts Y... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mai deux mille neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils pour l'Etablissement français du sang.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné l'E. F. S., sous la garantie de son assureur, à payer à M. Charles Y..., pris en sa qualité d'héritier de Mme Y..., la somme de 92. 000 euros, avec intérêts de droit à compter du 24 septembre 2001,

AUX MOTIFS QUE l'expert a relevé que Mme Y... avait cessé son activité professionnelle en 1989, à l'âge de 57 ans, en raison de l'évolution de son lymphosarcome opéré et non du fait de sa cytolyse hépatique à l'époque encore qualifiée de modérée ; que les périodes d'incapacité de travail retenues par l'expert à partir d'octobre 1996 sont donc restées sans incidence professionnelle et ne se sont manifestées que dans la gêne éprouvée par la victime dans les différentes activités de la vie quotidienne ; qu'en l'absence de consolidation acquise en mars 2002, ces périodes d'incapacité se sont étendues jusqu'au décès en février 2004 ; qu'il y a lieu de globaliser les montants réclamés au titre des incapacités temporaire et permanente et d'indemniser ce préjudice par un montant de 35. 000 euros ; qu'enfin, l'expert indique dans son rapport que Mme Y... s'est trouvée, à la suite de l'aggravation de sa maladie hépatique entraînant une grande asthénie, dans l'impossibilité de s'adonner à ses activités de loisirs antérieures et même de s'occuper de ses petits-enfants ; qu'elle s'est trouvée confinée devant la télévision ; que ce préjudice d'agrément doit être évalué à 7. 000 euros ;

ALORS QUE le déficit fonctionnel temporaire correspond aux incidences de la réduction du potentiel physique et psychique de la victime sur sa sphère personnelle, avant la consolidation ; qu'il inclut la privation des activités privées ou des agréments auxquels se livre habituellement ou spécifiquement la victime ; qu'en indemnisant, d'une part, au titre de l'incapacité temporaire de travail, la gêne éprouvée par Mme Y... dans les activités de la vie quotidienne et, d'autre part, au titre de son préjudice d'agrément, le fait qu'elle soit restée confinée à son domicile et ait cessé de s'adonner à ses activités de loisirs et de s'occuper de ses petits-enfants, la cour d'appel, qui a réparé deux fois le même dommage, a violé l'article 1147 du code civil et le principe de réparation intégrale.

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