Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 mars 2009, 07-44.082, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 26 juin 2007), que Mme X..., qui avait été engagée le 1er juillet 1989 par M. Y... en qualité de technicienne de laboratoire et était passée secrétaire de direction en février 2004, a été licenciée le 4 avril 2005 pour inaptitude physique à tout emploi dans l'entreprise ; que soutenant que le harcèlement sexuel puis moral de la part de son employeur avait été à l'origine de cette inaptitude, elle a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de dommages et intérêts ;

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt confirmatif de l'avoir condamné à payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages-intérêts pour harcèlement sexuel, alors, selon le moyen :

1° / que le harcèlement sexuel qui se caractérise par le but spécifique qui anime son auteur d'obtenir à son profit ou au profit d'un tiers des faveurs de nature sexuelle, se distingue d'une entreprise de séduction qui recouvre un ensemble d'agissements qui ne sont pas sous-tendus par une intention maligne (celle s'obtenir des faveurs sexuelles ou d'avilir la personne) et qui ne font qu'exprimer un sentiment amoureux ou d'affection sincère ; qu'en estimant qu'il avait commis des faits constitutifs d'un harcèlement sexuel cependant que l'employeur n'avait fait que manifester un sentiment amoureux ou une affection sincère envers la salariée, la cour d'appel, qui a confondu ces notions, a violé l'article L. 122-46 du code du travail ;

2° / qu'en l'absence de pression, contrainte, ou menace en vue d'obtenir des faveurs sexuelles, la qualification de harcèlement sexuel doit être écartée ; qu'en jugeant qu'il avait commis un harcèlement sexuel sans même constater qu'il aurait exercé des pressions, contraintes, ou menaces en vue d'obtenir des faveurs sexuelles, la cour d'appel a encore violé l'article L. 122-46 du code du travail ;

3° / qu'en jugeant qu'il avait commis des faits constitutifs d'un harcèlement sexuel sans rechercher si les éléments concrets qu'elle avait relevés pour justifier sa décision constituaient des actes humiliants ou offensant la dignité de la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-46 du code du travail ;

4° / que le juge ne peut pas se déterminer par un motif hypothétique ; que le motif hypothétique équivaut à une défaut de motifs ; qu'en se déterminant par des motifs dont le caractère hypothétique ne permet pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

5° / que l'annulation d'un licenciement en raison du harcèlement sexuel dont une salariée soutient avoir fait l'objet ne peut être prononcée que s'il est établi que celle-ci a été licenciée pour avoir subi ou refusé de subir ces agissements ; qu'en estimant, pour annuler le licenciement de la salariée, que les faits de harcèlement sexuel étaient établis, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que la salariée avait été licenciée pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement de l'intéressé, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-46 du code du travail ;

6° / que la salariée faisait valoir qu'elle avait fait l'objet d'une attention particulière de la part de son employeur qui espérait la séduire, puis d'un harcèlement moral qui aurait eu pour effet de ruiner sa santé au point de la rendre malade et d'être à l'origine de son licenciement pour inaptitude prononcé le 4 avril 2005 ; qu'ayant écarté l'existence d'un harcèlement moral imputable à l'employeur, la cour d'appel qui a annulé le licenciement et condamné l'employeur au paiement de dommages et intérêts pour la rupture du contrat de travail a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

7° / que le juge ne peut pas dénaturer les documents qui lui sont soumis ; qu'en considérant que les certificats médicaux de son médecin traitant et du médecin du travail démontraient que l'état de santé de la salariée résultait du comportement fautif de l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a relevé par motifs propres et adoptés que l'employeur avait tenté d'obtenir des faveurs de nature sexuelle de la part de sa salariée en multipliant les cadeaux et les appels, en se rendant à son domicile et en faisant intrusion dans sa vie privée, dans le but de la convaincre et même de la contraindre à céder à ses avances, a caractérisé un harcèlement sexuel dont elle a constaté, sans dénaturer les pièces produites aux débats, qu'il était à l'origine de l'inaptitude de l'intéressée, justifiant ainsi l'annulation de son licenciement ; qu'ainsi le moyen, qui critique des motifs surabondants dans sa quatrième et sixième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. Y... à payer à la SCP Boré et Salve de Bruneton la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 37-2 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois mars deux mille neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Peignot et Garreau, avocat aux Conseils pour M. Y....

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que Monsieur Philippe Y... avait commis à l'égard de Madame Nadine X... un harcèlement sexuel, et d'avoir, en conséquence, prononcé la nullité du licenciement et condamné Monsieur Y... à payer à Madame X... les sommes de 40 000 à titre de dommages et intérêts pour la rupture du contrat de travail et 10 000 à titre de dommages et intérêts pour harcèlement pendant l'accomplissement de la prestation de travail ;

AUX MOTIFS QUE « le licenciement de Madame X... a été prononcé pour « inaptitude à tout emploi dans l'entreprise » reconnue par la médecine du Travail et non pour insuffisance professionnelle, ce qui permet d'écarter des débats les explications de l'employeur sur les éventuels manquements professionnels de la salariée pendant l'exercice de son contrat de travail ; que d'autre part, Monsieur Y..., biologiste, professionnel de la santé qui ne peut ignorer les recours prévus par la loi, n'a pas contesté devant l'autorité compétente le certificat médical du médecin du Travail en date du 10 mars 2005 qui a constaté qu'à cette date Madame X... ne pouvait plus réintégrer l'entreprise ; qu'il est donc particulièrement mal venu de critiquer la manière dont ce médecin du Travail a fait son diagnostic et pris sa décision ; que Madame X... imputant la détérioration de son état de santé qui ne lui a pas permis de conserver son emploi au sein du laboratoire à l'attitude de son employeur qui aurait fait preuve à son égard d'un harcèlement sexuel et d'un harcèlement moral, il convient d'examiner ces deux griefs ; qu'il est établi à l'examen du journal personnel que tenait Madame X... chaque soir après sa journée de travail et des très nombreuses attestations de voisins et parents de la salariée, que Monsieur Y... qui était en instance de divorce, sans doute très affecté par cette procédure, supportant difficilement d'être régulièrement séparé de l'affection de ses filles, a tenté par tous les moyens, à compter du début de l'année 2004, de séduire Madame X... qui élevait seule ses trois enfants, pour la convaincre de venir vivre avec lui et fonder un nouveau foyer ; que cette entreprise de séduction, tout à fait incompatible avec le devoir de réserve que doit observer et s'imposer un employeur à l'égard de ses salariées, s'est manifestée par des faits concrets : achats de cadeaux, bijoux, vêtements de prix, chaussures ; installation à son domicile de matériel informatique ; mise à sa disposition d'un véhicule neuf ; proposition de partager la même chambre d'hôtel lors de journées de formation sur le logiciel MEGA-BUS dans la région parisienne en février 2004 ; entreprise de séduction auprès des enfants de Madame X... et de ses parents pour tenter de s'imposer dans le foyer de la salariée ;- visites régulières à son domicile, envoi de fleurs ; remise d'un billet rédigé par Monsieur Y... à issue d'un repas dans un restaurant sur lequel il est écrit « je vous le répète, je vous affirme, je vous aime, s'il vous plaît, arrêtez de vous valoriser, je suis déjà vaincu » ; qu'il est établi par les dépositions des voisins Monsieur A..., Monsieur B... que Madame X..., compte tenu de l'attitude de son employeur qui ne respectait plus sa vie de famille, s'imposait pour tous les moyens en lui adressant régulièrement des appels téléphoniques, des messages SMS à toutes heures, en se rendant à la kermesse de l'école de ses enfants en juin 2004 « ne supportait plus cette persécution, avait envisagé de démissionner et a été contrainte de prendre des calmants pour tenir » ; que le comportement de Monsieur Y... à l'égard de Madame X... dépassait largement l'attitude de compassion qu'un employeur peut avoir envers une salariée qui rencontre des difficultés dans sa vie familiale, mais constitue un véritable harcèlement dont le but était de convaincre et même de contraindre la salariée à céder à ses avances ; que d'ailleurs, nul doute que si Madame X... n'avait pas refusé, son employeur lui aurait proposé au sein de l'entreprise un poste de choix et des horaires de travail compatibles avec ses obligations familiales ; que Madame X..., justifiant par la production de certificats médicaux de son médecin traitant (le docteur en médecine C...) et de la médecine du Travail (docteur en médecine D... qui a examiné la patiente en juin, octobre 2004, et février et mars 2005) que son état de santé, un syndrome dépressif majeur qui a justifié une prise en charge par un médecin psychiatre, résulte du comportement fautif de son employeur » ;

ALORS D'UNE PART QUE le harcèlement sexuel qui se caractérise par le but spécifique qui anime son auteur d'obtenir à son profit ou au profit d'un tiers de faveurs de nature sexuelle, se distingue d'une entreprise de séduction qui recouvre un ensemble d'agissements qui ne sont pas sous-tendus par une intention maligne (celle s'obtenir des faveurs sexuelles ou d'avilir la personne) et qui ne font qu'exprimer un sentiment amoureux ou d'affection sincère ; qu'en estimant que Monsieur Y... avait commis des faits constitutifs d'un harcèlement sexuel cependant que l'employeur n'avait fait que manifester un sentiment amoureux ou une affection sincère envers la salariée, la Cour d'appel, qui a confondu ces notions, a violé l'article L. 122-46 du Code du travail ;

ALORS D'AUTRE PART QU'en l'absence de pression, contrainte, ou menace en vue d'obtenir des faveurs sexuelles, la qualification de harcèlement sexuel doit être écartée ; qu'en jugeant que l'employeur avait commis un harcèlement sexuel sans même constater qu'il aurait exercé des pressions, contraintes, ou menaces en vue d'obtenir des faveurs sexuelles, la Cour d'appel a encore violé l'article L. 122-46 du Code du travail ;

ALORS DE PLUS QU'en jugeant que Monsieur Y... avait commis des faits constitutifs d'un harcèlement sexuel sans rechercher si les éléments concrets qu'elle avait relevés pour justifier sa décision, constituaient des actes humiliants ou offensant la dignité de la salariée, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-46 du Code du travail ;

ALORS EN OUTRE QUE le juge ne peut pas se déterminer par un motif hypothétique ; que le motif hypothétique équivaut à une défaut de motifs ; qu'en se déterminant par des motifs dont le caractère hypothétique ne permet pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle, la Cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

ALORS PAR AILLEURS QUE l'annulation d'un licenciement en raison du harcèlement sexuel dont une salariée soutient avoir fait l'objet ne peut être prononcée que s'il est établi que celle-ci a été licenciée pour avoir subi ou refusé de subir ces agissements ; qu'en estimant, pour annuler le licenciement de Madame X..., que les faits de harcèlement sexuel étaient établis, la Cour d'appel qui n'a pas constaté que la salariée avait été licenciée pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement de l'intéressé, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-46 du Code du travail ;

ALORS ENSUITE QUE la salariée faisait valoir qu'elle avait fait l'objet d'une attention particulière de la part de son employeur qui espérait la séduire, puis d'un harcèlement moral qui aurait eu pour effet de ruiner sa santé au point de la rendre malade et d'être à l'origine de son licenciement pour inaptitude prononcé le 4 avril 2005 ; qu'ayant écarté l'existence d'un harcèlement moral imputable à l'employeur, la Cour d'appel qui a annulé le licenciement et condamné l'employeur au paiement de dommages et intérêts pour la rupture du contrat de travail a violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

ALORS ENFIN QUE le juge ne peut pas dénaturer les documents qui lui sont soumis ; qu'en considérant que les certificats médicaux de son médecin traitant et du médecin du Travail démontrait que l'état de santé de Madame X... résultait du comportement fautif de l'employeur, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil.
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