Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 20 janvier 2009, 07-88.122, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Jean-Marc, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'ORLÉANS, chambre correctionnelle, en date du 9 octobre 2007, qui l'a débouté de ses demandes après relaxe de Gil Y... du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 29, alinéa 1er, 30, 31, alinéa 1er, et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 2 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a prononcé la relaxe de Gil Y..., mis hors de cause la SARL Amos Prospective et ainsi débouté Jean-Marc X... de ses demandes de dommages-intérêts dirigées contre eux ;

"aux motifs que Jean-Marc X... se fait un grief du passage le concernant, dont l'analyse montre qu'il contient une double affirmation ; que selon la première, faite sous la forme ironique, il n'a pas le droit de porter le titre de «docteur» qui précédait son nom dans le compte-rendu ; que la seconde, très liée à la précédente, le présente comme un «simple chargé de recherches» ; que le refus par Gil Y... de donner à Jean-Marc X... le titre de «docteur» ne constitue pas l'allégation ou l'imputation d'un fait ; qu'en effet, selon le sens qui doit être donné aux propos incriminés dans le contexte où ils ont été tenus, il ne s'est pas agi pour l'auteur de contester factuellement le niveau universitaire de Jean-Marc X..., qui est titulaire d'un doctorat, mais de le présenter comme n'appartenant pas au corps médical, alors, d'une part, qu'en France l'usage est que le titre de « docteur » précède seulement le nom des personnes qui exercent la médecine et que, d'autre part, cette dénégation du titre de "docteur" intervient précisément dans le cadre d'un débat polémique ayant pour enjeu des questions de santé publique ; qu'en second lieu, pour avoir affirmé que Jean-Marc X... était un «simple chargé de recherches» Gil Y... ne lui a imputé aucun fait de nature diffamatoire ; qu'il ne peut, en effet, être considéré qu'une position aussi distinguée que celle de chargé de recherches au CNRS porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la partie civile, qui est précisément et selon ses propres écritures (citation directe page 4), employé par le CNRS comme chargé de recherches, quoiqu'étant au sommet des échelons du grade ; que certes Gil Y... a fait précéder ce titre honorable du mot simple qui a pu donner à Jean-Marc X... le sentiment que sa notoriété était injustement diminuée, alors qu'il s'est essentiellement agi pour l'auteur de créer un contraste avec le passage concernant la contestation du titre de docteur, étant observé que l'adjectif simple est aussi en rapport avec la désignation d'une position hiérarchique qui n'est pas, à l'évidence, la plus élevée de celles que l'on rencontre au CNRS où exerce Jean-Marc X... ; que, quoique regrettable, que puisse être, sur le plan des règles de la courtoisie, le procédé que déplore la partie civile, Gil Y... n'a pas commis d'infraction pénale à cet égard, puisqu'en effet en qualifiant de simple, la position d'un chargé de recherches au CNRS, il a seulement exprimé une opinion ;

"alors que, d'une part, le fait d'affirmer publiquement que Jean-Marc X... qui a la qualité de docteur en physique-chimie, est «devenu soudainement «docteur» alors qu'il n'est encore à ce jour que simple chargé de recherches (…) » constitue l'insinuation, renforcée par l'emploi délibéré des guillemets et la mise en opposition avec la fonction de chargé de recherches, que Jean-Marc X... n'est qu'un prétendu docteur ; qu'une telle affirmation constitue bien l'affirmation d'un fait précis (l'usurpation de ce titre) portant objectivement atteinte à la considération de la partie civile ; qu'en décidant cependant que les propos incriminés ne constituent pas l'allégation ou l'imputation d'un fait diffamatoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"alors que, d'autre part, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué, d'une part, que l'analyse du passage concernant Jean-Marc X... «montre qu'il contient une double affirmation ; selon la première, faite sous la forme ironique, il n'a pas le droit de porter le titre de «docteur» qui précédait son nom dans le compte-rendu » et, d'autre part, qu'il s'agit d'un «passage concernant la contestation du titre de docteur» ; qu'en décidant, cependant, que les propos incriminés ne constituent pas l'allégation ou l'imputation d'un fait diffamatoire, la cour d'appel qui n'a pas tiré de ses constatations les conséquences qui en découlaient, a violé les textes susvisés ;

"alors que, ensuite, l'affirmation au demeurant inexacte de l'arrêt selon laquelle «en France l'usage est que le titre de «docteur» précède seulement le nom des personnes qui exercent la médecine» est insusceptible d'ôter aux propos incriminés formulés de mauvaise foi, leur caractère diffamatoire, dès lors qu'ils constituent bien l'affirmation d'un fait précis (l'usurpation du titre de docteur) portant objectivement atteinte à la considération de la partie civile ; qu'il en va spécialement ainsi dès lors qu'ils émanent d'un individu se présentant comme spécialisé dans le domaine de l'agriculture et de l'environnement, averti des grades universitaires des scientifiques et de leur emploi, et sont exprimés sur un site précisément dédié à leurs thèmes d'intervention ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"alors que, enfin, le fait d'affirmer publiquement que Jean-Marc X..., qui a la qualité de docteur en physique-chimie, est «devenu soudainement «docteur» alors qu'il est encore à ce jour simple chargé de recherches (…)» ne constitue pas seulement «le refus par Gil Y... de donner à Jean-Marc X... le titre de «docteur» (…)», mais constitue bien l'affirmation d'un fait précis (l'usurpation de ce titre) portant objectivement atteinte à la considération de la partie civile ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Vu l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que, selon ce texte, toute expression qui contient l'imputation d'un fait précis et déterminé de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération de la personne visée constitue une diffamation, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Jean-Marc X..., chargé de recherches au CNRS, a fait citer directement devant le tribunal correctionnel, du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public, Gil Y..., directeur de publication de la "Lettre d'information mensuelle sur l'agriculture et l'environnement", et la société Amos Prospective, éditeur du site, en qualité de civilement responsable, en raison de la diffusion sur le réseau internet d'un article intitulé "L'étrange composition de la section apicole de la coordination rurale" et comportant le passage incriminé suivant : << Et pour appuyer ses revendications, la CRSAN se réfère aux travaux du "Dr X..., du CNRS d'Orléans". Ce dernier - devenu soudainement "docteur", alors qu'il est encore à ce jour simple chargé de recherches -, serait même prêt à assister la délégation de la CRSAN lors des prochaines réunions avec les services du ministère, "afin qu'il puisse évoquer de vive voix ... ce problème important" >> ; que le tribunal a déclaré Gil Y... coupable des faits reprochés et a prononcé sur les intérêts civils ; que le prévenu et le ministère public ont relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour renvoyer Gil Y... des fins de la poursuite, l'arrêt énonce que celui-ci n'a pas entendu contester le niveau universitaire de Jean-Marc X..., qui est titulaire d'un doctorat, mais a voulu montrer qu'il n'appartenait pas au corps médical, alors que, d'une part, en France l'usage est que le titre de docteur précède seulement le nom des personnes exerçant la médecine et que, d'autre part, cette dénégation du titre de docteur intervient précisément dans un débat polémique ayant pour enjeu des questions de santé publique ; que les juges ajoutent qu'en qualifiant de "simple" la position hiérarchique d'un chargé de recherches au CNRS, le prévenu n'a pas entendu porter atteinte à l'honneur et à la considération de Jean-Marc X..., mais a seulement voulu exprimer une opinion ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que les propos incriminés laissent entendre que Jean-Marc X... se prévaut abusivement du titre de docteur, insinuation renforcée par la mise entre guillemets, sans nécessité et à deux reprises, du mot "docteur", et accréditent l'idée que ses avis, émanant d'un "simple" chargé de recherches, ne peuvent avoir qu'une valeur scientifique relative, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'ORLEANS, en date du 9 octobre 2007, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Angers, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

FIXE à 1 500 euros la somme que Gil Y... devra payer à Jean-Marc X... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Orléans et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Joly conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Beauvais conseiller rapporteur, Mme Anzani conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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